Jusqu'à la folie et à la mort...

Dominique Capo

Souffrance intolérable

Alors que j'écris ces mots, j'ai la gorge nouée. J'ai un nœud d'angoisse et d'anxiété, de malaise, de peur, de souffrance extrême, dans le ventre et dans la gorge. Comme un poids qui m'écrase, comme quelque chose qui m'étouffe, m'empêche de respirer.


Tout à l'heure, j'ai fait une crise de convulsions. Pendant quelques minutes, tout le coté droit de mon corps a été secoué de spasmes. J'ai eu l'impression que mes muscles se tendaient au point de se déchirer. J'ai eu le sentiment que mes os se rebellaient, étaient enserrés dans un étau que quelqu'un vissait, vissait encore, jusqu'à les écraser.


En, ce moment, mon cerveau est broyé par les pensées les plus noires, les plus désespérées. Comme hier, quand j'ai rédigé mon texte précédent relatant mon état d'esprit actuel, je n'ai qu'une seul envie : me recroqueviller sur moi-même dans un coin d'une pièce noire, sans porte ni fenêtre. Me rouler en boule, et me laisser envahir totalement par cette tristesse, par cette détresse, abyssales, qui depuis hier, s'emparent de moi pour ne pas me lâcher. J'ai envie de tout abandonner, de tout quitter, de tout repousser le plus loin de moi possible, afin de me laisser dépérir définitivement.


Si je n'avais pas ma mère, si je n'avais pas cette personne dont j'ai la charge, qui compte sur moi pour tout ce qui a trait au quotidien ; que j'aime parce que, comme ma maman, elle fait partie de ma famille, si je n'avais pas ces deux ou trois personnes qui m'honorent de leur amitié en prenant de mes nouvelles en dehors de Facebook – par téléphone, SMS – régulièrement, j'avalerai une ou plusieurs boites de somnifères afin de disparaître une fois pour toutes de ce monde qui ne veut pas de moi ; de ces gens qui n'acceptent pas cette main que je leur tends.


Ils ou elles ne savent pas à quel point ce refus de l'envie de découvrir qui ces personnes, ce refus d'apprendre à les connaître en dehors des limites de Facebook, me traumatise, me déchire, me heurte, me torture, me détruit. Me détruit, oui, au point de vouloir définitivement en finir avec la vie.


Alors, remplis de leurs certitudes, de leurs à-priori, de leurs préjugés, ces mêmes personnes me considéreront peut-être comme un malade mental, qui a surtout besoin d'une aide psychologique. Ils ou elles seront offusqués que tout ceci prenne de telles proportions. Ils ou elles ne comprendront pas ce que je cherche à leur contact. Ils ou elles se diront que j'ai des désirs inavouables, malsains, à leur encontre – argent, sexe, que sais-je encore. Toujours ces mêmes préjugés, toujours ces mêmes regards suspicieux, sceptique, méfiant, envers quelqu'un qu'ils ou elles ne croisent qu'éphémèrement sur ce réseau social ; que sinon, n'appartient pas à leur cercle amical, familial, professionnel, etc. au quotidien. Ils ou elles se disent aussi que Facebook n'est là que comme un outil de distraction, éphémère, sans conséquences. Que ce n'est que du virtuel qui n'a aucune prise avec ce qu'ils ou elles font journellement. Ils ou elles se disent encore qu'ils n'ont pas le temps, que leur existence est déjà assez riche, assez diverse, assez mouvementée, assez trépidante.


Oui, et j'en oublie au passage certainement. Ils ou elles trouveront toutes les justifications possibles et imaginables, pour expliquer leur comportement. Mais, dans leur raisonnement, ils ou elles oublient un point : c'est qu'il y a certaines personnes comme moi qui n'ont pas d'autres fenêtre sur l'extérieur que ce réseau social. Qui, par obligation professionnelle – je suis écrivain-historien, et mon métier consiste à être assis devant mon ordinateur, penché sur mon clavier, à rédiger textes, articles, à effectuer des recherches historiques entouré de livres, 10h à 12h par jour -, qui par obligation personnelle – s'occuper d'une personne qui a la sclérose en plaques, qui ne se déplace qu'avec un déambulateur, qui est incapable physiquement de sortir de ces elle, qui a besoin de ma présence non loin d'elle en permanence afin de pallier à ses défaillances ou ses incapacités motrices -, est dans l'impossibilité de sortir de chez lui.


En outre, depuis que j'habite dans la ville où je suis, j'ai cherché par tous les moyens à ma disposition, pour entrer en contact avec des gens avec lesquelles je serais susceptible de partager les mêmes préoccupations, les mêmes centres d'intérêts, les mêmes passions, etc. Dans cette ville, il n'y en a pas. Et, croyez moi ou non, je me suis démené en utilisant tous les moyens que j'avais, sans succès.


Ils ou elles me diront encore : dans ce cas là, pourquoi ne déménagez-vous pas ? Ailleurs, vous pourrez trouver des personnes avec qui se lier, plus aisément, plus simplement. Quand je suis arrivé dans la ville où je vis actuellement, accéder à un appartement qui correspondaient à mes besoins, et à ceux de cette personne de ma famille malade, a été un véritable parcours du combattant. Au fil du temps, j'ai mis en place autour d'elle tout un tas d'infrastructures l'aidant et m'aidant un peu dans la gestion de sa maladie. Des médecins, des kinési, des aides-ménagères, etc. Tout ce qui a été possible de mettre en place afin que je sois – et elle également – soulagé des difficultés que cette situation entraîne.


Oui, mais à condition de devoir rester chez soi continuellement pour pallier au reste. Et puis, autre chose : quand je vois la façon dont le monde extérieur m'accueille, ça ne me donne pas envie de m'y aventurer. Toute ma vie, j'ai souffert du regard de l'immense majorité des autres du fait du handicap et de la maladie dont je suis moi-même le porteur. Ces moqueries, ces rejets, ces rebuffades, cette violence psychologique, cette indifférence à l'égard de ce que je ressentais, de mon désir de me joindre aux individus, aux communautés, que je croisais sur ma route. Toujours celui qui était oublié, délaissé, vers lequel on se tournait en denier, quand il n'y avait pas d'autre alternative. Que dire de mes tentatives pour aller vers les autres, pour sortir de ma coquille à l'intérieur de laquelle j'étais reconduit systématiquement par cette indifférence généralisée ; ou presque. Que dire de ces personnes dont j'apprenais qu'elles s'étaient rencontrée, qu'elles étaient sorti ensemble, qu'elles avaient échangé, parce que je leur avais permis de se connaître, et qui ensuite, m'avaient relégué en marge de leur existence. Parce que j'étais différent ; autant physiquement qu'intellectuellement. Parce qu'au fil du temps, des ans ou des décennies, leur comportement m'a rendu ultra-sensible, fragile à l'extrême, face à ce genre de façon de faire.


Quand je me suis inscrit sur Facebook, et que j'ai commencé à publier mes écrits, je n'en n'attendais rien. Puis, quand j'ai commencé à avoir un succès relatif au travers eux, j'ai édité aussi des écrits plus personnel. Ils décrivaient les différentes facettes de ma personnalité, de mon parcours, de ce que je ressentais, de mes rêves, de mes espoirs. Au fur et à mesure que de plus en plus de gens me lisaient, partageaient ce que je leur offrais, que ça suscitait leur intérêt, leur curiosité, leurs réflexions, j'ai réalisé que c'était là pour moi une formidable opportunité. Ce que je n'avais plus la possibilité de vivre – contrairement à l'époque où je travaillais à la Bibliothèque Nationale de France à Paris, ou lorsque j'habitais à Laval, et où j'avais de nombreux contacts dans maints domaines, vis-à-vis de maintes passions ou centres d'intérêts – était à nouveau concevable.


Cependant, comme à l'époque de la Bibliothèque Nationale ou de mon passage à Laval, il fallait que je déploie des efforts considérables pour être capable d'accrocher le regard des personnes vers lesquelles je désirais aller. Il fallait que je m'épuise physiquement, moralement, psychiquement, jusqu'à dépasser les limites de l'individu que je suis, pour, ne serait-ce que timidement, éphémèrement, succinctement, j'ai l'honneur et le privilège de partager quelques instants de joie et de bonheur parce que j'étais à leurs cotés. Parce que j'étais – un peu – dans leur vie, dans leurs pensées.


Parce que des échanges, des dialogues, des rencontres, des partages, existaient entre nous. Alors que chacun de ces échanges, de ces dialogues, de ces partages, aussi anodins, aussi futile, aussi dérisoire – à leurs yeux en tout cas – fut-il, était pour moi une véritable bouffée d'oxygène. Chaque partage, conversation, chaque rencontre, chaque contact, était une lumière dans mon univers. C'était à ces instants précis que j'avais le sentiment d'exister, de vivre, de respirer, de me nourrir. Me nourrir de cette humanité, de cette bienveillance, de cette ouverture d'esprit à l'égard de l'étranger que j'étais, de cet homme différent par sa nature physique ou intellectuelle qu'ils voyaient en moi. Ils ou elles étaient le jour après la nuit, ils ou elles étaient la délivrance, l'espoir de pouvoir leur offrir ce que j'avais de meilleur, de plus beau, de plus grand, de plus riche, en moi. Ils exacerbaient ce désir d'aller de l'avant, de renverser des montagnes pour donner aux autres. Pour leur apporter tout ce qui pouvait les rendre heureux, comme eux ou elles me rendaient heureux parce que j'étais parmi eux ou elles. Parce qu'ils ou elles me voyaient, me considéraient comme l'un des leurs, parce qu'ils ou elles m'estimaient. Parce qu'ils ou elles percevaient les valeurs que je cherchais à partager avec eux. Et surtout, qu'eux et elles aussi avaient envie de partager avec moi.


Cette lumière incandescente, ce flot emportant tout sur son passage, ce bonheur indescriptible, qui m'envahissait, parce que j'étais un tant soit peu important pour eux ou pour elles. Parce que ma compagnie était accueillie sans restriction. Sans regard de dédain à mon encontre. Oui, cette lumière qui se propageait en moi, qui diffusait une bienveillante chaleur, sentir qu'il y a des gens pour qui je comptais véritablement. Ne pas être rejeté dans les limbes. Ne pas être refusé, avec pour conséquences la détestation de moi-même, les déchirements de mon cœur et de mon âme.


Ne pas avoir ce sentiment d'échec perpétuel rivé à mon esprit parce que mon désir d'aller vers l'autre, juste parce que vous ressentez une attirance – rien de sexuel ou amoureux – vers lui ou vers elle ; ou plutôt, une attirance vers les possibilités que le ou la côtoyer, lui parler, découvrir qui il ou elle est, sa personnalité, son parcours, ses expériences – heureuses ou malheureuses – sont ce qui m'exaltent, m'inondent de joie de les y accompagner. Une attirance vers ce qu'ils ou elles répandent autour d'eux ou d'elles, juste parce qu'ils ou elles existent, sont là, sont présents dans votre entourage. Ce sentiment ancré au plus profond de soi de vivre des événements, d'échanger sur des choses, qui répandent en vous ce quelque chose d'indéfinissable, mais de tellement précieux.


De si précieux que, lorsque je ne parviens pas à le toucher auprès de la personne concernée, je m'effondre. Que je redouble d'efforts pour atteindre cette personne, quitte à me détruire, quitte à tout briser ; mème le lien qui m'unit à elle. Tellement ce manque m'anéantit. Oui, ce besoin d'être aux cotés de cette personne parce que cette personne représente quelque chose de fondamental en vous. Et qu'en refusant cette main tendue, cette amitié, réelle, sincère, totale, sans arrière-pensée autre que celle de partager un peu de ce que nous sommes chacun ou chacune, c'est mon âme, mon cœur, mon corps, qui s'en retrouvent brisés.


Beaucoup de personnes n'éprouvent pas ce besoin viscéral d'aller vers les autres, et en particulier vers ceux et celles pour qui ils ressentent cette attirance psychique, intellectuelle, humaine. Cette lumière, ils ou elles ne la cherchent pas. Ils ou elles ne l'intéressent pas. Leur quotidien, leur famille, leurs amis habituels, leur suffisent. Pas moi. Et aujourd'hui, comme hier ou demain, ce n'a jamais été et ce ne sera jamais le cas. Cette lumière, ce souffle, cette vie dont ils ou elles sont les porteurs, me remuent, me touchent, m'émeuvent, me donnent envie d'en savoir plus sur eux ou elles. De leur offrir ce que je suis au plus profond de mon être.


Aujourd'hui, de façon a la fois volontaire et involontaire, je ne peux sortir de mon domicile. Mais cette soif de vivre, de partager, de côtoyer des personnes qui, à mes yeux, ont cette lumière qui m'attire, existe toujours. Elle est plus vivace que jamais au fil des destins que je croise sur de réseau social. Chaque personne avec laquelle j'ai le souhait d'approfondir mes relations amicales en dehors de Facebook porte en elle des aspirations, des différences, des passions, des personnalités, des destins, etc. qui me poussent malgré moi vers elle. A chaque fois qu'elle refuse la main que je lui tends dans cette perspective, c'est comme si elle me bourrait de coups de poings, comme si elle s'acharnait à me faire du mal, comme si son indifférence à mon égard était une torture qu'elle m'infligeait, comme si ses évitements étaient du mépris, des moqueries, de la violence psychologique qu'elle m'infligeait. A chaque fois.


C'est violent, c'est épuisant. Je n'en ressors jamais indemne. Je multiplie alors mes efforts pour aller vers lui ou elle. Parce que je suis dévasté, humilié, blessé, déchiré. Je me hais de ne pas être capable de susciter naturellement ce désir d'aller vers moi, autant que j'ai le désir d'aller vers lui ou vers elle. Ce besoin viscéral, destructeur, ce manque d'humanité dont je me sens victime alors. Je pense que ce n'est pas parce qu'on a une vie différente, riche, un emploi qui nous prend du temps, une vie de famille, des amis, un quotidien, qu'on ne peut pas s'ouvrir à l'autre naturellement, sans appréhension ou suspicion.


Ma vie n'est pas vide, loin de là. Elle est bien remplie. De différentes manières, mais je n'ai que peu de temps pour moi quotidiennement, en vérité, au travers de mon travail d'écrivain et de mes autres priorités. Cependant, ce besoin d'aller vers ces autres en lesquels je vois cette lumière – qui peut m'apporter autant que je peux leur apporter – est fondamental. Il est nécessaire à mon bien-être, à ma sérénité, à mon bonheur. Ne pas le comprendre, ne pas l'accepter, ne pas prendre ma main quand je la tends en direction de ceux et de celles qui en sont l'objet, m'affecte. M'affecte au point, parfois, de vouloir mourir...


Et tant pis si ceux et celles qui lisent ceci me croient fous, se disent que j'ai besoin d'un psychologue – Dieu que j'en ai croisé pour avoir la capacité de creuser en moi-même, à la recherche des vérités décrites ci-dessus -, c'est qu'ils ou elles n'ont pas cette humanité, cette empathie, dont je suis en quête quand je m'adresse à un tel ou à un tel afin de partager avec lui ou elle une véritable amitié en dehors des limites ici imposées...

  • ce n'est pas de la folie... loin de là. vous êtes une personne réflechie et humaine... je vous souhaites tout le bonheur du monde. soyez heureux..!

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Default user

    wild_flower

    • Merci, au plaisir d'échanger avec vous...

      · Il y a plus de 6 ans ·
      4

      Dominique Capo

  • Au final, l'acceptation et la raison sont deux choses qui prouvent que tu n'est ni fou ni fini. C'est le combat qui fait que nos cicatrices nous démarquent, les estropiés et les écorchés vifs sont plus respectables que les standards au corps et à l'esprit sains.

    · Il y a presque 7 ans ·
    Thmwgjnrs4

    Caïn Bates

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