Juste la fin

Hélène Mercier

Comme "Qui ne dit mot", ce texte a été écrit dans le cadre d'un concours de nouvelles comportant deux contraintes: commencer par les mots "C'est la fin" et ne pas excéder une page.

C'est la fin.

Ce sont ses mots.

« La fin. »

Avec l'air contrit du type qui sait qu'il va sortir une énormité et qui serre les dents une fois que c'est fait.

Tout le reste j'adhère, il a enchaîné. Ton intrigue. Ton idée. Ton phrasé. C'est juste la fin. Pas grand-chose en somme. Un détail. Une vétille. Un grand livre comme ça, comme le tien – ou ce qu'il pourrait être ! il a rigolé, oh comme j'aurais voulu lui faire ravaler ce petit rire replet – ce qu'il te faut mon gars, il a continué, c'est une apothéose, non, une apocalypse, quelque chose qui mette ton lecteur à genoux, qui lui coupe le sifflet, qu'il referme le livre en disant : « Ah ben, ça ! »

Et puis il attendait que je renchérisse, et il restait là à me regarder, sûr de son coup, main sur le cœur, satisfaction béate peinte sur son visage gras. Et à cet instant-là tout m'insupportait, cette compassion hautaine qu'il arborait, cette suffisance, et mon silence, incapable que j'étais de dire ce qui sourdait en moi. De le formuler.

Tu sais, être là, dans ce bureau, face à cet homme et sa chemise impeccable, ses lunettes, sa condescendance, avec mon manuscrit entre nous, il me semble que je n'avais jusqu'ici respiré que pour ça. Je n'avais qu'à dire oui, bien sûr, quelle question. Qu'est-ce que c'est qu'une fin, quelques pages sur trois cents, allons-y, je signe où ?

Je voudrais que tu comprennes bien.

Parce que ça ne se change pas, une fin. Tu peux pas lâcher à un gars : Eh mec, j'adore ton histoire, sérieux elle déchire, mais faut juste que tu saches un truc, le prends pas mal, c'est pas pour critiquer, mais ta fin c'est de la merde. Tu changes la fin, tu réécris le bouquin. 

J'aurais voulu le dire. Pas comme ça, mais tout comme. Trouver des mots meilleurs. Mais ce que je sais faire, c'est écrire, pas parler. Alors je me suis tu. J'ai souri comme lui. J'ai pris mon manuscrit, ma fin et mon silence, j'ai détourné les yeux du logo bien connu reproduit sur un mur, et de sa main tendue qui ne comprenait pas, et je suis parti.

Cela, c'est de la chute, n'est-ce pas ?

T'en penses quoi ?

 

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