K. « Au point où j’en suis »

Raphaël Tayachi

Extrait de: «Le goujat écrivaillon» (9782955701928)
Après la mignonette, le lettré, et après l'insipide lettré, l'intrépide perché. Le perché est connu, dans la profession ou même de manière moins intime au milieu, soit des extérieurs à l'affaire spectateurs, soit de tout un chacun et de tous et chacun, ou presque, pour la singulière hauteur de son perchoir et l'à tous azimuts mouvement de girouette en permanence opéré par sa légère, volatile attention. Et quoi de plus normal, pour un perché, que le volatil ? Le perché, en fait, est un énergumène, et les pirouettes de cet hurluberlu produisent une distraction, comme elles s'inscrivent en faux au sein de la répétitive chaîne que Fred affronte à contrecœur depuis le début de l'éditique, promotionnel mouvement. Une distraction certainement peu salutaire et insignifiante au qualitatif souci du dire, mais enfin une distraction, et c'est en l'heure un petit rien de pris, à l'image de cette étrange, ambigüe satisfaction résultant du passage à la tant honnie télévision. Oui : le perché fait de la télé. Il fait même ça plutôt bien, pour de la télé, qu'on pour dire Fred déteste toujours autant telle qu'elle se montre mais à laquelle on est comme fier, malgré-tout, un peu, de passer faire une apparition pour défendre pour dire vendre, comme tant de nos cathodiques prédécesseurs, misérablement, son bifteck. Non qu'elle soit par essence antinature, cette belle télévision, en regard de ce que c'est qu'un livre, mais au moins en l'état, maigre, anorexique qu'elle se démontre du contenu, dénature-t-elle tout écrit propos encore plus que tout autre. Non, ce n'est pas que la télévision soit mauvaise en elle-même et que le monde télévisuel n'héberge que les pourris, vaseux esprits comme s'il les enfantait, ceux-là et ceux-là seuls ; non, c'est surtout qu'elle est la cour du moi comme jadis il en était une du roi, à laquelle il s'agissait, et impérativement, encore, comme le ton y plaisait, à qui voulait exister, de faire justement montre d'esprit : aujourd'hui, la scène télévisuelle accueille les fils de courtisans, les enfants de l'esprit sans plus à leur crédit, d'esprit, que celui de la franche rigolade, dilué dans l'apparente camaraderie et la dégueulasse mais tranquillisante inconséquence. Oui : pauvre télévision, qu'on pourrait croire riche de ses brassés millions mais qui souffre d'incarner, en le contemporain spectacle, le média de premier rang, le lieu de toutes les vantardises, le meilleur relai des plus grandes gueules, instituant la moderne cour de nos récréatifs enfantillages ! Oui, d'un siècle et d'une cour aux autres, le même pernicieux impératif vaut intangible règle : criez, au besoin, si le moment est bon, faites-vous surtout remarquer, que ce soit armé du subtil ou dans l'éclat, mais, attention, sans le poids du ridicule, dont vous ne devriez plus parvenir à vous défaire s'il se juchait sur vos épaules !
Le perché, lui, s'en torche volontiers, de ces ubuesques considérations sur la télévision, sinon qu'il en maîtrise fort les ficelles, sinon qu'il sait les règles de récréation, à défaut de se soucier de ses finaux enjeux. C'est qu'il fait de la télé, le bougre, pas de la philosophie, pas et nullement œuvre sociale ni réflexive. Il n'est pas là pour enrichir l'idée ni structurer les êtres. Non, son truc, à lui, la discipline dans laquelle il excelle, c'est de naviguer de semblants d'impairs en simagrées de boulettes, de cultiver la rigolade comme on chérit l'amour, de distraire, en somme, qui pour le coup n'est pas à confondre avec le littéraire pavé, bref, de distraire ces bonnes gens du temps qui passe comme s'il ne passait pas, niant son effectif en sautant d'une unité à l'autre comme on saute les moutons, pour s'endormir, donnant de l'assoupir, en fait, pour vrai du divertir, afin que pas un ne s'aperçoive qu'il passe et bel et bien, le temps, mais pas si beau que ça, au sens où, distrait, on ne voit pas l'absence de main mise à la pâte.
Et il fait ça vraiment bien, le con ; oui, on l'a peut-être déjà dit, tant pis, mais il fait vraiment ça bien. Et puis si cet exercice-ci ne se prête pas aux répétitions, c'est qu'on n'en aura rien compris et que la redondance n'aura plus que l'aéronautique pour seul et dernier paradis sur cette Terre. Oui, il réussit ça vraiment bien, le perché, faire de la télé, et l'espace d'un instant Fred veut croire au salut de la manœuvre, ainsi considéré l'évitement d'une énième réédition des désormais classiques questions – de leur type sinon. Mais non, raté ; dommage. Car si le perché, d'entame, les évite, soucieux justement d'une distraction formellement différenciée de celles de ses concurrents de confrères, le charme ne tient pas la longueur de sa route, ni ses effets les promesses du sort. C'est-à-dire que, qualitativement parlant, on ne gagne pas au change, lorsque change il y a, si même change il y a. Il y a bien, en fait, variation, certes, mais variation toujours manquant le point, variation donc en même, mime de distraction, soit variation sans plus, sans gain, sans mérite ni progrès, partant, ni non plus d'intérêt ni de grande vertu. Oui, c'est toujours et même plus encore qu'avant le personnage qu'on aime, l'histoire qu'on cultive, le paraître qui compte et le dire qu'on relègue, pour ce qu'on le croit lourd, pour ce qu'on le craint beaucoup moins plein de passion, moins apte à la produire, la passion, ce qui réduit d'autant auprès des foules l'humaine propension à suivre et la télévisuelle capacité à vendre le temps de son discours, qui compte plus que son discours lui-même. Même et même, et mêmes encore, ainsi, puisque le perché follement s'amuse et joue de ce drôle de hiatus entre la prééminence de l'image et de la voix en le présent média, et l'originalité vestimentaire de Fred, sa dissemblance et son refus de la parole hors de l'écrit moyen ; oui, il joue beaucoup de ce dernier, qui fait un comble lorsqu'on vient défendre son morceau de pain à la télé ! En d'autres termes, pour sûr, que les plus embrouillés précédents, pour ne pas perdre son public ; mais enfin s'amuse et en joue-t-il, du décalage, sans le mettre à profit sinon à celui de son émission. Quant au propos du gribouilleur, il s'efface face aux jeux incongrus que l'on propose à celui-ci, il se perd au milieu des idiots, farfelus défis qu'on le somme de relever au nom de la contagieuse chaleur prétendument revêtue par la bonne humeur, au prétexte que les gens n'aiment pas le compliqué, le froid et sobre compliqué, alors que le simple, seul, est mortifère, ennuyeux et glacial, n'est-ce pas, mais ce n'est pas la question, l'heure n'est pas aux questions, à ces questions qu'ils ne sont, tous, pas prêts à entendre, eux qui ne sont pas prêts à payer de leurs efforts pour peut-être en entrevoir la profonde substance, de ce complexe compliqué, complexant compliqué, condamnée part du sensible au nom d'une commerciale primeur du sensitif. Oui, on s'en excuse au motif que, si la télévision en raffole, des pitreries, c'est parce-que les téléspectateurs les savourent, plus en tout cas que les tristement intellectuelles rêvasseries. Ainsi vantés ou vendus se succèdent déguisements improbables et drôleries peu louables, clowneries et chamailleries, et tant et tant encore, à l'aune de l'adage des fous qui rient en compagnie sans l'autre, de délires cassant Cassandre, prédisant qu'il en faudra bien un, plus tard, en fin de faim et d'appétit, pour rire le dernier. En attendant, la télévision se retrouve en son ensemble à souffrir, pour dramatique pathologie, d'une catastrophique perte de sens, sens dont, comme malgré elle, boulimique, elle se met désespérément en quête, conduite par de mauvaises recettes – mais non dirigée par de moindres bénéfices, monétaires s'entendant. Oui, la quête de sens se trouve vouée à l'échec, puisque, lorsqu'elle est entamée, elle l'est incessamment pendant la course des choses, sans intelligence ni dessein quant à l'homonymique général – et pour autant qu'on en admette un tel – et puisque, le noyau se perpétuant distractif, les pourtours s'adaptent, en périphérie et en tant que telle. Alors, tout bien correctement pesé, Fred pourrait répéter, encore, tant pis, que vaille que vaille ses deux urbains parents l'aimèrent et le soutinrent, et que le goût de l'écrit ne vint point tôt mais suffisamment à point, ou qu'il ne se trouve pas vraiment enclin aux références, que c'en serait éternellement comme du pareil au même. Lorsque le perché en arrive à lui demander son signe astrologique d'un air on ne peut moins badin, il s'en rend parfaitement, oui, trop parfaitement compte et ne demande pas beaucoup plus de reste avant de s'en aller.
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