1 - KAMRAAL, La Conquête des Mondes Inconnus
Doris Dumabin
> : lors des dialogues indique que le personnage précédent reprend la parole…
L'exploration spatiale… un passage obligé pour les civilisations ayant atteint un niveau technologique avancé.
Au commencement, l'être pensant s'oppose, affronte, acquiert…
Processus d'évolution inéluctable.
Il veut, dans une quête permanente, supplanter son prochain, l'asservir, le dominer.
Et un jour, sa planète devient trop petite.
Ce même jour, il se rend compte que la guerre n'a plus la couleur du sang, des cris et des bombes…
Ce jour là, sa soif de conquête n'a pas disparu.
C'est le moment.
Et lorsque ce moment arrive, la menace de sa propre extinction, la curiosité scientifique ainsi que d'autres prétextes procurent plus de crédit aux ambitions.
Les conséquences inhérentes à cette conquête de l'espace ne sont pas prises en compte. Ce n'est qu'une réponse aux besoins de l'ego surdimensionné des nations.
Et une fois que tous les habitants de toutes les planètes connues auront migré au point de créer un univers interracial et génodiversifié, que restera t-il à conquérir ?
…Et quand un jour, un peuple étranger viendra vers nous mû par ce besoin de conquête… à ce moment là… serons-nous prêts ?
Système LiélosAïos
O Aïos, étoile principale
o Ariane
O Liélos, étoile centrale
o Toge
o Gayalin'Ourar Katalirque
o P-248
o Nétadia
o Smirée
Galaxie de l'Étoile Blanche, schéma du système LiélosAïos, tel que nous le connaissons aujourd'hui.
1*Le phénomène
Colère.
Le vent se faufilait entre les hautes cimes des immeubles : sifflant… hurlant… mugissant… tantôt avec une force éolienne, tantôt avec la douceur d'un souffle. Le moindre halètement ou au contraire un terrible hurlement émettait une fréquence distincte, puis élaborait une combinaison mélodique pour capter l'attention de tous. Mais malgré une ardeur constante, les habitants d'Ariane vivaient sans distinguer cet arrangement d'airs parmi la cacophonie assourdissante que représentait leur quotidien sonore. Avec une agaçante assiduité, ces bruits se livraient une bataille discordante en un véritable affrontement de consonances. Néanmoins… dans cette mêlée polyphonique, aucun phonème n'émergeait véritablement. Juste le perpétuel vacarme de la ville. Enveloppe présente et invisible. Une symphonie à la fois tellement naturelle et tout aussi artificielle, à travers laquelle progressait depuis peu, un son métronomique qui l'accompagnait, elle. Un martellement sourd imitant le pas d'un soldat déterminé à en découdre. À l'ouïe, elle semblait même écraser le sol à chaque foulée, produisant un son étouffé et ferme à la fois. Une résonance impossible à masquer, inhérente à son allure qui définissait l'euphémisme du verbe marcher. Elle avançait, avec une extrême vélocité, à la limite de l'essoufflement, sur un revêtement inégal et souillé de débris et de poussière. La nouvelle patine de ses bottes n'allait bientôt représenter qu'un agréable souvenir d'immaculé malgré ses efforts pour réduire les effets du temps et de l'usure. Un dommage supplémentaire. Et pour cause : des centaines de niveaux au dessus d'elle, la pollution des êtres vivants, des machines, ainsi que la détérioration naturelle de la ville se dispersait continuellement, ici, sur les voies du niveau 0. Dans un secteur où, elle n'était jamais censée se poser et qu'elle arpentait pourtant rageusement en ce moment. Elle n'avait nullement pressenti que ce cycle de jour lui réserverait cette succession de catastrophes. Et contre cela, elle ne pouvait que se résoudre avec empressement à l'esquive. Elle programmait donc mentalement chacun de ses pas afin de progresser le plus rapidement possible et éviter ainsi les obstacles de toute nature. Ceux-ci semblaient tous s'être ligués contre elle, comme animés d'une intention propre. Réunis pour la ralentir. Mais en pure perte, car rien ne l'arrêterait. Elle était beaucoup trop téméraire pour se laisser faire si facilement. Et comme pour accélérer ou encourager sa ferveur, une colère sourde s'insinuait en elle. Une colère qui la rongeait en lui donnant petit à petit cet air superbement diabolique qui épousait son être désormais. Un sentiment aussi familier, aussi dévastateur qu'un hôte parasite qui incubait tranquillement dans sa personnalité, attendant des événements accélérateurs pour se multiplier et dominer. Un trait propre à son tempérament auquel elle ne pouvait décemment pas laisser libre cours. Une sorte d'alter ego méphistophélique se baladant sur son épaule pour lui dicter les actes les moins glorieux de sa vie. Et lorsqu'elle cédait à ses suppliques mélodieuses, elle le regrettait toujours avec une âpre amertume. Dernier épisode en date : une machine de distribution automatique récalcitrante. Ce démon de la colère lui avait évidement suggéré de se servir par des moyens peu académiques, soit un coup de pied. Ce qui lui avait fait vivre un des accidents les plus douloureux et exagérément stupide de sa vie. Car pour retrouver un mollet lisse et galbé, les cent quarante-six points de suture laser et le remodelage en institut spécialisé coûtaient une petite fortune.
Malheureusement, force était de constater qu'il était difficile que ses sentiments puissent être d'une autre facture. Émotions générées et entretenues par l'utilisation de cette mécanique primitive : le déplacement pédestre… D'autant plus pénible en centre ville au niveau 0. Elle classait même cette activité en bonne place parmi les tortures abhorrées par le commun des mortels. Transpirer à cause d'une activité physique forcée, juste après être sorti frais et propre de son habitation, l'incommodait, l'agaçait. C'était inacceptable. Inconcevable. Inadmissible. Sans compter le fait d'évoluer entre des êtres suants, aux odeurs désagréables, aussi poisseux et empestant que des manutentionnaires aux heures de sortie. À plus forte raison s'ils ne se gênaient pas pour bousculer tout le monde sans ménagement. Et in fine, il lui manquait cette sensation de vitesse que l'on ressent à bord d'un véhicule. Pas de bonheur de conduire, de mener une machine, d'interagir avec elle… juste l'ennui ajouté au désagrément d'un parcours linéaire. Mais elle n'avait aucun moyen de faire autrement, aucune solution immédiate ou intermédiaire qui lui permettrait de remédier à la mise en arrêt de son système de locomotion habituel et nécessaire. La boîte de transmission ainsi que le dispositif de refroidissement et de purification du carburant de son moteur avait subi une avarie qui avait généré des dommages irréversibles dont la carbonisation de pièces indispensables au bon fonctionnement de son aéronef. De nouveaux injecteurs représentaient, par exemple, une somme considérable, sans compter l'acquisition d'un autre procédé de purification pour le Wart. Ce carburant instable, polluant et surtout beaucoup plus cher pouvait, contrairement à l'hydrothanol, conférer à sa machine la puissance triplement supérieure à laquelle elle aspirait. Aucune autre considération n'avait alors prédominé à ses yeux. Elle avait donc dû faire le choix de réparer au lieu d'utiliser un carburant de substitution, quoique plus accessible. Celui-ci aurait pu lui permettre d'investir sur du matériel moins onéreux mais moins performant, donc inutile. Elle l'avait échappé belle ce matin en diagnostiquant cette panne à temps. Cette sage décision de mettre son Véhicule Spatial – VS – en réparation lui évitait en fait un véritable suicide à l'allure à laquelle elle pilotait. À cause des propriétés extrêmement inflammables du wart, les agents d'entretien auraient eu d'énormes difficultés à identifier et rassembler ses restes s'il y avait eu explosion en plein ciel. Elle leva les yeux à nouveau vers les nuages, sans pour autant ralentir son allure. La vue de ces VS colorés alignés comme des traits en pointillés qui striaient les voies aériennes de transports, lui serrait le cœur. Elle aurait préféré se retrouver là haut, parmi eux. Elle tenta d'évaluer mentalement combien de temps il faudrait à Tan pour réparer. Ses pensées restaient tendues en effet, vers son chasseur civil individuel acheté d'occasion. En piteux état durant les premiers mois de réhabilitation, il était devenu, à force d'acharnement, une machine puissante et rutilante qu'il valait mieux ne pas laisser traîner. Car en dépit de son aspect quelque peu rudimentaire, de son ergonomie simpliste qui rebutait tous les néophytes, son système d'ingénierie aurait donné le vertige à n'importe quel connaisseur.
Kamraal gardait encore en tête, comme un lancinement désagréable, tout ce qu'elle avait enduré depuis le début du cycle de la journée. Son réveil trop matinal, sa douche froide, la difficulté de trouver des habits en état, son petit-déjeuner tombé de son emballage… Rien n'avait fonctionné. Et elle vivait le comble à l'instant : la panne de sa machine. Aucune solution alternative ne lui avait paru satisfaisante. Les transporteurs civils de migration pendulaire voyageaient certes entre les voies aérotracées des niveaux inférieurs aux dix premiers étages de la cité. Mais ils constituaient, selon elle, un danger pour la société. À sa décharge, on dénombrait, en effet, plus de morts par VSTC[1] au-dessous du dixième niveau que pour des VS multiplaces ou individuels. Elle ne comptait plus les fois où elle avait dû éviter un accrochage sur les voies de transports, sans compter les embouteillages qu'ils engendraient du fait de leurs pannes fréquentes ; ceci ajouté au manque d'expérience des chauffeurs, à la vétusté des engins, aux arrêts incessants, à... Bref, une trop longue liste en leur défaveur. Autre solution : la location. Mais elle ne pouvait se permettre non plus de louer un véhicule, ou même de prendre un transporteur d'un niveau plus élevé : trop coûteux ! Le vol, ou même l'emprunt momentané étant à proscrire pour éviter une mise en arrêt, elle faisait donc ce qui constituait un moindre mal pour elle en ce moment : elle marchait. Si vite qu'elle courait presque, mais au moins, elle avait la sensation d'avancer.
Une fois de plus, un vieux cyborg à la vision déficiente, la bouscula. Elle jura entre ses dents comme si sa mâchoire trop crispée ne pouvait laisser échapper un langage aussi ordurier. Spontanément elle lui donna un coup de pied. Un mouvement rapide, vif, ciblé, précis, qui lui permit enfin de dépressuriser partiellement sa colère. Un Compagnon de Route se jeta parmi le nombre. Il venait de remarquer le mouvement irrégulier de la foule, ajouté aux invectives d'un être prostré au sol… mais Kamraal, elle, se trouvait déjà loin. Elle continuait maintenant son parcours avec un petit sourire en coin. Moindre satisfaction, mais tout était bon à prendre. Ce robot de surveillance, petite machine mobile au fonctionnement primaire, ne put que constater le démembrement de l'individu immobilisé. Des agents de sécurité de flux viendraient enlever le malheureux du passage avant que cet incident ne crée un véritable accident de parcours et un embouteillage beaucoup moins gérable.
Jamais, elle ne côtoyait habituellement toutes ces créatures aux origines diverses. Ses seuls trajets se limitaient à ses activités diurnes et nocturnes rémunérées, son mécano préféré et sa cellule d'habitation. Elle étouffait au niveau inférieur du centre ville. Les individus grouillaient comme de la vermine dans ces rues uniquement réservées aux piétons. Le générateur de l'aération, censé répondre en partie à cette problématique, en réglant la question de la chaleur oppressante, n'était toujours pas réparé pour cette classe de la population. Il faisait lui aussi partie de la longue liste de mécanismes hyper-évolués totalement hors service tout de même énoncés par le Président comme faisant partie intégrante du Système de Réhabilitation des Niveaux -150 à 10.
Kamraal continuait son chemin. Elle avançait avec détermination accompagnée par sa colère et ses pensées irascibles. Au fur et à mesure qu'elle quittait le centre ville de Kira sectorisé de 1 à 19, la foule se faisait moins dense. Elle pouvait finalement avancer sans pivoter sans cesse pour éviter une collision et surtout sans être frôlée par des êtres répugnants et malodorants. Malheureusement, elle dut aussi profiter du spectacle peu reluisant que formaient les ruelles beaucoup moins éclairées et les cloisons décrépites. Elle ferma les yeux quelques secondes afin de digérer visuellement les immondices qui jonchaient l'immense dallage. Ils s'aggloméraient dans les coins autour d'elle rendant le sol de plus en plus abstrait par endroit. De plus, à partir du secteur 19, elle ne pouvait plus bénéficier des voies de déplacements rapides. Elle soupira, épuisée psychologiquement puis leva les yeux. Le ciel conservait sa pâleur habituelle, sans démarcation nette entre le jour et la nuit. Ici, le début de la période de jour ne marquait nul changement significatif car sa planète était la seule de son système placée entre Aïos, l'étoile centrale et Liélos l'étoile secondaire, donc constamment éclairée. De toute façon elle était en retard.
La révolution de vingt quatre heures de la planète Ariane se calculait en douzièmes "dzm" appelées communément période ou cycle. Douze heures réservées à l'emploi suivaient douze autres acquises au repos – ceci bien sûr quand la situation financière de l'habitant lui permettait de suivre ces phases de vie –. À la dernière heure de la nuit, les arians se réveillaient et se préparaient à commencer la première heure de la période de jour. De même qu'à la dernière heure réservée à la journée, ils savaient que viendrait avec bonheur la première heure du cycle de nuit entièrement réservée à la détente ou au sommeil.
Des interjections se firent soudain entendre. Sa démarche féline avait attiré un groupe de mâles à l'allure répugnante. Kamraal crispa imperceptiblement la mâchoire. Elle se demanda si la chance allait tourner en sa faveur ou si cette journée ne serait qu'une succession de désagréments dont la suite se déroulait comme un mauvais sort. Mais comment ne pas se sentir troublé, ébranlé, subjugué devant ces jambes superbement moulées, ces cuisses musclées et ces fesses fermes dont le balancement impulsé par des hanches pleines donnait des bouffées de désir exponentielles ? Aucun mâle hétérosexuel normalement hormoné ne pouvait conserver toutes ses facultés à son passage. La belle s'assura pourtant, d'un seul regard, qu'ils ne la poursuivraient pas. Elle n'avait pas le temps de leur donner une leçon de respect. Cependant, elle remarqua par la même occasion des reflets lumineux dans la voie obscure qu'ils obstruaient de leur présence. Toutefois elle poursuivit son chemin, ce que lui reprocha sa conscience en une insidieuse torture. Ces éclairs étincelants appartenaient sûrement aux reflets du sabre d'un guerrier ryax. Quoi qu'il en soit : aucune certitude. Pourquoi donc s'en inquiéter ? Peut-être ne courait-il aucun danger ? Peut-être se trouvait-il dans cette ruelle pour les besoins d'une mission top secrète ? Qui, de plus, ne la concernait pas. Peut-être que les bruits perçus ne résultaient pas de coups portés à son encontre mais traduisaient au contraire les plaintes de ses assaillants ? Les règlements de compte avaient force de loi au-dessous du 10ème niveau. Personne ne s'en souciait tant cela faisait partie du quotidien. Comme une justice parallèle qui réglait les problèmes du plus grand nombre. Contre ce fléau, le Président d'Ariane envisageait des changements en profondeurs. Changements qui ne seraient évidemment pas adaptés à tous. Son mode de gestion, empreint de rigueur et de fermeté ne satisfaisait que les exigences de la classe la plus aisée. Ceux qui résidaient dans les lieux les plus sûrs dans la peur de l'insécurité, et qui considéraient néanmoins leur sécurité comme essentielle. Ces nobles n'avaient que faire du peuple d'en bas, ceux qui seraient les premiers à subir les conséquences de nouvelles réformes institutionnelles et juridiques. Un renforcement de la sécurité planétaire avait donc été très bien accueilli par ce premier milieu, même si cela signifiait en réalité réduire les libertés d'actions de chacun, être surveillé jour et nuit et rendre compte en temps réel de ses moindres déplacements.Même les guerriers autonomes de classe supérieure : les Ryax, aidaient aujourd'hui, faute d'une meilleure alternative, à mettre en place ses doctrines peu démocratiques.
Face à face.
Alors qu'elle bataillait encore contre sa raison pour établir son choix, elle constata que son corps opérait une marche arrière sans l'approbation de sa conscience. Après quelques pas à reculons, elle se résigna enfin et fit volte-face : la non-assistance à un guerrier ryax, en plus d'un déshonneur, était aussi considérée comme une faute sévèrement punie. Les êtres qui venaient de l'interpeller lancèrent des exclamations de joie comme si elle revenait exclusivement pour eux alors que des dizaines de personnes se déplaçaient dans cette avenue. Quelle arrogance de leur part ! Eux : deux maigres et un gras. Les plus minces paraissaient appartenir à la même espèce avec leurs yeux bleutés et leurs veines saillantes. Le gros, quant à lui, dégageait une odeur putride, ce devait être un de ces "mangeurs de cadavres", surnommés comme tel car cette race, entre autres caractéristiques, se souciait peu de la date de péremption des aliments. Habillés de façon aussi soignée que leur aspect physique ingrat le permettait, ils s'éloignaient de l'entrée de la rue qu'ils gardaient, se dirigeant tout droit dans sa direction. Ils avaient sûrement été grassement rétribués par les agresseurs pour éviter que l'on ne trouble leur besogne ou simplement pour les prévenir d'une éventuelle alerte lancée par un passant. Ils n'étaient tout de même pas assez bêtes pour occulter ce qui se passait derrière eux ! Kamraal commença à se satisfaire d'avoir fait demi-tour. Elle n'appréciait pas du tout ce genre de machinations. De plus, en les rejoignant, elle se rendit compte que la plupart des interjections lui étant destinées, loin de compliments, lui manquaient tout de simplement de respect et en auraient d'ailleurs choqué plus d'un. Elle-même, qui usait souvent d'un vocabulaire fleuri et arboré se demandait s'ils avaient jamais reçu la moindre éducation. Elle leur lança un regard noir puis se calma aussitôt. La colère restait sa première ennemie.
- Salutations messieurs, j'ai cru comprendre que vous appréciez ma personne…
Les réflexions qui suivirent attisèrent son exaspération sous-jacente. "Comment des individus pouvaient faire acte d'autant de vulgarité ?" Par ailleurs l'un d'entre eux se sentit assez audacieux pour se rapprocher d'un peu trop près. Elle attrapa sa squelettique main baladeuse, pivota, puis lui brisa le coude d'un coup sec, et ceci sans se départir de son sourire le plus aguicheur. Diabolique. Le hurlement du jeune homme se répercuta sur les parois des immeubles. Les yeux agrandis d'horreur, il tentait en vain, de rallier son bras désarticulé au reste de son corps. Kamraal sourit de les voir ensuite reculer et de sentir cette crainte poindre dans leurs estomacs crispés.
> Si vous voulez voir des femmes dans une tenue plus aérée, passez au Glad. Maintenant… Déguerpissez !
Elle avait crié tellement fort ce dernier mot que, sans réfléchir, ils avaient pris leurs jambes à leur cou en se demandant comment une femme aussi belle pouvait se révéler aussi cruellement efficace avec ses poings. Faculté qu'elle allait démontrer à cette bande de lâches qui tabassait ce guerrier ryax sans défense. Cette dernière pensée aurait pu la faire sourire dans d'autres circonstances mais là, elle poussa un long soupir puis courut en direction de cet agglomérat de corps.
Elle fit remarquer sa présence immédiatement. En quelques saltos, elle avait atteint le cœur de la mêlée et récupéré l'arme du guerrier qui gisait au sol au lieu de le défendre à bon escient. Elle se demanda à peine si le sabre possédait un système de sécurité. Par mesure de précaution elle l'enclencha en le lançant aussitôt dans les airs. Ceci fait, elle écrasa son poing ganté sur la figure d'un combattant, alors que dans le même temps de fines aiguilles tournoyaient autour de la poignée de l'arme en suspension. Des écailles métalliques jaillirent et se soudèrent instantanément pour en composer le manche. Une lumière étincelante inhérente à la matière s'allia à un son clair puis s'allongea en une lame fuselée. Elle recula et rattrapa le sabre au mode de sûreté désormais désactivé. Elle pouvait maintenant l'utiliser sans craindre la perte de la totalité de ses doigts. Elle trancha d'ailleurs une tête d'un coup sec et précis. Impressionnant ! Cette lame se révélait beaucoup plus aiguisée que toutes celles qu'elle avait eu l'occasion d'utiliser. Kamraal jubilait. Elle réalisait un de ses rêves. L'arme, fabriquée dans un acier expansif allié à des particules scintillantes était légère et effilée. Ces guerriers possédaient décidément des jouets très appréciables. Un luxe dont elle allait profiter avec joie. Ce combat serait en fait un bon moyen pour elle de tester ses capacités. Outre le fait qu'elle allait prendre un immense plaisir à les corriger, elle avait l'opportunité de s'entraîner gratuitement sans crainte de sanctions. Mais trêve d'exultation, elle devait se concentrer sur la tâche car elle ne s'était pas imaginée à quel point il serait difficile de venir à bout de tant d'agresseurs. Vu leur nombre, on pouvait affirmer qu'ils n'étaient pas allés de main morte avec ce guerrier. Cette embuscade avait été préparée avec minutie. Ils avaient étudié leur cible et certainement pensé cette attaque en conséquence. Malgré tout, ils avaient sous-estimé la force du ryax, car plusieurs formes, gisaient déjà au sol, sans connaissance… ou pire…
Un vilain se jeta sur son thorax tête la première. La violence de la collision lui coupa le souffle. Elle perdit l'équilibre ainsi que le fil de ses pensées et se retrouva à terre. Elle transperça néanmoins un second assaillant qui se jetait sur elle profitant de son hébétude, puis coupa la main à un troisième. Sa position inconfortable ne dura pas. Elle n'avait pas l'habitude de se laisser faire, ce qui, n'allait vraisemblablement pas commencer aujourd'hui. Elle avait l'impression que même blessés leur énergie ne diminuait pas. Le ryax de son côté, continuait à se battre énergiquement, alors qu'une dizaine d'autres les cernaient toujours. Elle dût reconnaître une certaine habileté à ce guerrier inconnu pour être resté en vie jusque là. Des larmes de sueur perlaient de son menton. Ses cheveux humides projetaient de l'ADN liquide à chaque mouvement. De multiples coupures sanglantes témoignaient de ces échecs précédents et il ahanait avec force. Néanmoins, il tenait le coup avec endurance. Elle se releva d'un bond, enfonça son poing dans un estomac, prit appui d'une seule main sur le corps maintenant plié en deux et s'élança. Elle survola les brigands en faisant danser son arme improvisée de l'autre main. Leurs masques ne permettaient pas de définir leur race. Mais on pouvait penser à leur façon de se déplacer à des humains génétiquement surévolués : des surhumains. Il n'était pas rare que ces mercenaires mutants se chargent de cibles très éloignées de leur système planétaire. Comment étaient-ils parvenus à se fournir aussi bien en armement sur cette planète ? Telle était la question. Les lance-aiguilles et autres fusils à projectiles jonchaient le sol, apparemment vides de munitions. Des sabres de toutes catégories fendaient l'air et elle sentait même les picotements dus à des grenades fumigènes. Les lois d'Ariane n'autorisaient pas aux civils l'achat et la détention d'armes de la moindre nature, justement pour éviter ce genre de règlements de comptes. Impossible également de sortir de la zone de douane avec une arme de poing, tous les arrivants étant soumis à des contrôles stricts et à des consignations jusqu'à leur départ. Par ailleurs… Kamraal se demandait la cause de tant d'acharnement envers cet infortuné guerrier.
Par malheur, après seulement trois minutes, elle fut désarmée à son tour. Difficulté supplémentaire qui l'obligea donc à frapper à l'aide d'armes de moindre facture mais tout aussi efficaces : ses poings et ses pieds. Elle devait rendre à leurs adversaires de légitimes lauriers pour leur force et leur technique. Leur rapidité surprenante les mettait irrémédiablement en échec. Heureusement, de son fait, leur nombre avait honorablement diminué. Le ryax, de plus en plus mal-en-point, venait de tituber à nouveau. Il recommença néanmoins, à cogner avec une fureur redoublée comme si la présence de Kamraal lui redonnait du courage. Il observa la personne qui lui sauvait la vie du coin de l'œil. Elle lui venait en aide quoiqu'il n'ait aucune idée de son identité. Elle semblait civile. Il se demanda ce qu'elle faisait là. "Pourquoi intervenir en mettant du même coup sa vie en danger ?" Puis, au fil du temps, sans un mot, ils se soudèrent en quelques combinaisons savantes et évoluèrent dos-à-dos en accord et harmonie. Ils arrivaient à se comprendre, à organiser leur résistance en quelques regards sans échanger une parole. Le ryax ne put qu'admirer l'agilité, l'esprit d'anticipation et l'intelligence de la jeune femme. Elle ripostait avec fièvre et ne manquait jamais son coup. La surprise l'ébranlait si durement qu'il occulta volontairement de son esprit le fait qu'une simple civile se batte mieux que certains de ses soldats de sixième classe.
Quelques dizaines de secondes plus tard, leurs adversaires commencèrent à douter de leur réussite. Leur ardeur faiblit en constatant la majorité de leur bande émiettée au sol, totalement hors de combat. Alors qu'ils se demandaient tous deux s'ils auraient assez de force pour continuer à se défendre contre cette horde d'êtres surboostés, un vrombissement dans le lointain attira leur attention. Le ryax leva les yeux et réagit immédiatement. Il attrapa brutalement le bras de la jeune femme où se trouvait une interface de connexion à distance. Kamraal regarda les xénogènes* reculer. Leur acharnement venait de s'estomper complètement, comme par miracle. Elle put reprendre son souffle avec toutefois une certaine difficulté, ses contusions aux côtes la faisaient souffrir. Ayant établi une connexion avec le module de communication portable qu'il venait de lui réquisitionner, elle entendit enfin la voix particulière de ce ryax. Il parla sans lui adresser un regard, il lui faisait même mal au bras. Son avant-bras, à lui, était brûlé à l'endroit où avait dû se trouver son propre module. Raison pour laquelle il n'avait pas pu appeler les secours plus tôt se dit-elle.
- Ryaxdjin Jofroy El Ario, code 10 B545 coordonnées x22, y89, secteur 25 niveau 0 ! dit-il avec fermeté.
Une voix lui répondit à l'instant même où un vaisseau de patrouille gouvernemental éclaira le lieu précis où ils se trouvaient. Jofroy la lâcha sans ménagement puis il ramassa son arme. Il décida ensuite de faire le tour des corps gisant au sol espérant en interroger quelques-uns. Les autres s'enfuyaient déjà, et il n'était pas d'attaque à les poursuivre. Il s'agenouilla et commença à tirer des informations d'un homme trop faible pour mettre fin à ses jours de son propre chef. Kamraal regarda les soldats s'extirper du VS qui venait de se poser non loin et comprit que c'était le moment idéal pour s'éclipser. Apparemment, la reconnaissance ne faisait vraiment pas partie des qualités de ces guerriers au rang si élevé. Garantir les libertés inaliénables des êtres vivants de la galaxie de l'Étoile Blanche et prendre en charge la protection interplanétaire et interstellaire semblait déjà un assez lourd fardeau. Ils commandaient des armées entières, et surpassaient même le pouvoir du souverain d'Ariane. Ce dernier ne pouvait prendre de décisions sans en référer en conseil, aux plus importantes figures de la société : les Ryaxdjin.
- À votre service ! murmura t-elle ironiquement sans se retourner.
Jofroy leva la tête, la main encore posée sur le corps poisseux de l'humanoïde agonisant à ses pieds. La jeune femme s'en allait d'une démarche terriblement sensuelle malgré la main qu'elle portait à ses côtes. Sa chevelure, sûrement fausse, lui arrivait au milieu du dos et elle portait une tenue visiblement raccommodée à plusieurs reprises. La plupart des ryax prenaient leur rôle très à cœur, parfois même, agissaient avec héroïsme ; cependant leur muflerie était connue de tous. La population ne les appréciait pas vraiment. Jofroy, lui, réprouvait le fait que ses congénères ne parviennent pas à agir avec courtoisie. En y repensant cela donnait beaucoup plus de valeur au geste de cette arienne qui avait sérieusement risqué sa vie pour lui, alors qu'elle aurait pu l'abandonner dans ce traquenard. Tout cela pour ne récolter, en tout et pour tout, que son indifférence. Il ne savait même pas son nom, ce n'était pas dans ses habitudes d'agir de la sorte.
En l'espace d'un instant, les indices furent ramassés ou désintégrés. Il ne restait plus rien dans cette voie sombre qui aurait pu laisser penser qu'il y avait eu altercation.
[1] Véhicule Spatial de Transport en Commun
* NDA : êtres aux gènes étrangers/différents.
à commander sur :
http://www.thebookedition.com/kamraal-doris-dumabin-p-86114.html