L-Roy

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L-ROY

La première fois qu’elle marcha aux côtés d’Elroy, elle ne pût s’empêcher de lever la tête vers lui pour le regarder avec curiosité. Le soleil prenait dans ses cheveux et elle voyait le grain de sa peau.

Elle leva les doigts et effleura sa joue.

«  C’est incroyable, vraiment »murmura t-elle à mi voix. Puis, elle rougit et cacha prestement sa main dans son dos comme si elle avait agi de son propre fait.

« Excusez moi, Elroy, c’était très grossier de ma part…

-          Je vous en prie, Elizabeth, c’est naturel. »

Ils marchaient tranquillement le long du lac et elle s’approcha du bord quand elle vit les canards. Trois petits suivaient leur mère en cancanant comme de petites trompettes bouchées. Elle se mit à rire.

«  Quel dommage, j’ai totalement oublié de prendre le pain rassis!

-          J’en ai apporté. Si vous voulez leur jeter… » Elle se retourna, surprise.

-          Comme c’est gentil… Vous saviez donc que j’aimais me promener ici ?

-          C’était dans l’annonce. » Il la considérait avec sérieux. Ses yeux ne cillaient presque pas.

De nouveau, Elizabeth sentit le rouge lui gagner les joues.

«  Je ne me souvenais pas avoir écrit cela…

« Jeune femme menue, yeux noisette, aimant lecture, promenade autour du lac, cherche compagnon pour partager sa vie. Fumeur s’abstenir, » récita Elroy en fermant les yeux un instant.

Il darda ensuite un regard vert sur elle.

« C’était la première annonce. Elle n’était pas très complète….

-          Eh bien, commença Elizabeth, un peu gênée. Elle ne poursuivit pas sa phrase. Elroy venait de se précipiter vers une fillette qui venait de tomber de vélo.

-          Est ce que tu vas bien ? » demanda t-il en frottant le genou écorché de la petite.

Elizabeth le regardait tandis qu’il se relevait et lissait le revers de sa veste.

Il a l’air tellement parfait, songea t-elle avec une moue éberluée.

Arrivés devant chez elle, elle baissa la tête, ne sachant comment conclure ce premier rendez vous.

Il se saisit doucement de sa main et elle s’étonna de trouver ses doigts si chauds. Pendant qu’il lui faisait un baise main à l’ancienne, elle regarda ses cheveux châtains, légèrement ondulés, presque hypnotisée par leur matière.

« J’adorerais vous revoir, Elizabeth. Auriez vous la gentillesse d’accepter une invitation à dîner, vendredi soir ?

-          J’en serais ravie, Elroy », bafouilla t-elle. Il lui sourit, ce qui creusa une fossette dans sa joue gauche.

-          Je passe vous prendre à sept heures ?

-          Sept heures, ce sera parfait. Où irons nous ?

-          C’est une surprise. »

Après un léger signe de tête, il prit congé, descendant les trois marches à reculons, comme s’il souhaitait profiter de sa vue quelques instants encore, puis il fit le tour de sa voiture, ouvrit la portière et démarra.

Elle regarda longtemps l’endroit où il avait été garé, perdue dans ses pensées, puis elle sortit de sa torpeur, regarda dans les jardins alentours en refermant un peu les pans de son gilet chocolat avant de rentrer.

A sept heures précises, le vendredi, il était là.

Quand elle ouvrit la porte, il se tourna vers elle et elle fut de nouveau séduite par ce visage classique, ces traits si fins.

« Bonsoir Elizabeth, dit il avant de regarder sa tenue :

«  Vous êtes ravissante. Le parme vous va à merveille.

-          Merci, Elroy, vous êtes vous même…. Très beau. »

Pourquoi hésites tu à employer ces mots ? se morigéna-t-elle. C’est pourtant la vérité. Il est beau.

De nouveau, le sourire creusa une fossette irrésistible dans sa joue et il lui tendit le bras pour l’inviter à le suivre dans sa voiture.

Il ouvrit galamment la portière et quand elle fut installée, il se coula sur le siège conducteur et démarra.

« Allez vous enfin me dire où vous m’emmenez ? demanda t-elle pour faire la conversation et cacher la gêne que lui causait cette promiscuité.

-          J’ai réservé une table à l’Orange Bleue. » Elle étouffa une exclamation.

-          J’ai toujours voulu m’y rendre ! C’est extraordinaire !

-          Je suis ravi que mon choix vous convienne. »

Elle tenta de se souvenir si elle en avait fait mention pendant les heures d’enregistrement, mais ce détail ne lui revenait pas.

Au restaurant, il avança sa chaise avant de s’asseoir et un garçon stylé, habillé en smoking blanc vint prendre leur commande.

Quand leurs assiettes arrivèrent, elle ne pût s’empêcher de le regarder avec curiosité pendant qu’il découpait son poisson et portait la fourchette à sa bouche.

Comme s’il devinait sa question, il s’essuya les lèvres avec sa serviette de table et répondit :

« Je ne pense pas que ce soit le bon moment pour aborder de telles questions, ne pensez vous pas ?

-          Bien sûr, Elroy, c’est évident. »

Il changea de sujet, la questionnant sur son dernier livre de chevet.

«  Avez vous lu Victor Hugo ? demanda t-il en se penchant un peu vers elle. C’est une littérature remarquable, tellement riche….

-          Vous avez lu ses livres ? demanda t-elle, surprise

-          Oui. Ainsi que les œuvres de Dumas, Balzac et Zola. C’est une lecture plutôt classique comme vous pouvez le constater, mais j’espère que vous me conseillerez certains ouvrages…

-          Avec plaisir, acquiesça t-elle, étonnée de voir avec quelle facilité ils communiquaient.

Il était tellement compliqué d’avoir de telles conversations avec les autres hommes…

«  Il paraît que les auteurs russes sont passionnants », continua t-il en lui versant un autre verre de vin. Elle leva la main pour stopper son geste.

-          Merci Elroy, je ne bois pas autant d’habitude. Je n’aimerais pas que l’alcool me monte à la tête et ne plus contrôler la situation….

-          Pourquoi cela ? » Elle hasarda un regard vers lui. Ses yeux verts la fixaient sans ciller et elle n’y décela aucune malice. Bien sûr, se rassura t-elle. Je ne risque absolument rien avec lui.

-     Eh bien, je veux avoir une pensée cohérente… Autant que possible en tous cas ! »

Il éclata de rire pour la première fois, un rire si soudain qu’elle sursauta avant de se joindre à lui.

Elle se tamponna les yeux avec un coin de sa serviette de table.

« Cela faisait longtemps que je n’avais pas ri autant. Je vous en remercie, Elroy.

-          Merci à vous Elizabeth. J’aime vous entendre rire. »

Avant de la quitter pour la nuit, sur le perron de son petit pavillon, il se pencha pour effleurer sa joue de ses lèvres. De nouveau, elle leva les doigts pour toucher sa peau qu’elle trouva très lisse.

« Est ce que… vous ne pouvez pas avoir de poils ? » Il ne s’offusqua pas de la question :

-          Je peux en avoir, bien sûr. Cela vous plairait ? Vous préférez que j’aie une barbe ?

-          Non… non, je me posais juste la question. J’espère que vous n’êtes pas fâché ?

-          Pourquoi le serais je ? Est ce offensant ?

-          Non, cela n’était pas mon but en tout cas…. » Elle baissa les yeux, se perdant un instant dans la contemplation de ses mains qu’elle tordait nerveusement.

-          J’ai passé une excellente soirée, Elroy. Votre compagnie est très agréable.

-          Merci Elizabeth. La votre également. Est ce que cela signifie…

-          Oui, répondit elle promptement. J’aimerais beaucoup que nous nous voyions de façon régulière. »

«  Les hommes ne sont plus comme avant », avait elle expliqué à l’agence. La jeune femme avait acquiescé en enclenchant la caméra numérique. « Il fut un temps où ils prenaient le temps de faire la cour à une femme. Ils avaient des manières, ils étaient galants. Vous voyez ce que je veux dire ? » La femme sourit « J’ai entendu parler de ça en effet… »

«  Ce que je veux, avait ajouté Elizabeth, les yeux dans le vague, oubliant la caméra braquée sur elle, c’est quelqu’un qui m’écoute, qui puisse faire preuve d’attention, d’inventivité –autant que faire se peut, bien sûr.

-          Bien entendu. Nous allons essayer de répondre au mieux de vos attentes. »

Un matin, attablés chez Fred’s pour le petit déjeuner, ils regardaient un écran de télévision qui diffusait sans le son les nouvelles du jour.

« Ils ont enfin retrouvé le corps de ce pauvre gosse, grogna Fred en posant un verre encore fumant sur le comptoir. J’vous assure que si je tenais le salopard qui a fait ça, je… » et de faire le geste de tordre le cou d’une seule main.

Elizabeth regarda Elroy qui avait écouté le barman avec attention.

«  Etes vous pour la peine de mort, Elroy ?

-          Je ne peux pas l’être, Elizabeth. » Elle sursauta et posa la main sur sa poitrine, regardant autour d’elle comme si elle se souvenait soudainement où elle se trouvait.

-          Excusez moi, j’avais presque oublié que…

-          Merci. C’est un très beau compliment. » Elle se força à sourire, mais ne dit plus rien et se contenta de finir son bol de thé, laissant une moitié de toast dans la coupelle.

Pourtant, elle finit par se rendre compte que malgré cela, Elroy lui manquait les jours où ils ne se voyaient pas. Elle avait appris à aimer ses brusques éclats de rire, pas toujours à propos, le contact de sa joue toujours lisse contre sa bouche quand elle prenait congé, son enthousiasme pour tous les projets.

Aussi, quand il lui demanda de l’épouser, elle dit oui.

« Comment cela va t-il se passer ? demanda t-elle avec angoisse ?

- Eh bien, comme pour tous les époux, je suppose », la rassura son mari quand ils montèrent l’escalier pour la première fois.

«  Elroy, commença t-elle, un soir, avant de replonger dans le silence.

-          Oui, chérie ? l’engagea t-il à continuer

-          Trouverons nous un sujet de discorde ?

-          Je ne comprends pas. » Il posa le livre ouvert contre sa poitrine et cela corna la page. Elizabeth, machinalement, la décorna avant de lui répondre.

-          Eh bien, nous sommes toujours d’accord sur tout. Cela est très agréable, bien entendu, mais je souhaitais savoir s’il était possible que…

-          Que j’aie un avis contraire ? finit il en souriant.

-          Oui, c’est exactement cela. Que tu aies un avis contraire.

-          C’est possible, bien sûr. Cela te plairait ? »

Tout n’était qu’innocence dans ses yeux. Jamais, jamais, il ne pourrait envisager de lui faire le moindre mal. Il n’avait pas été construit dans ce sens.

« Je pense que cela me plairait, oui. Cela pimenterait nos conversations. C’est ce que font les couples humains. Cela s’appelle une dispute.

-          Oui, j’en ai entendu parler… Comment cela se termine t-il ?  

-          Quand les gens s’aiment, cela finit bien.

-          C’est parfait alors, conclut il en reprenant son livre, nous téléchargerons le logiciel demain. Il suffira de l’enregistrer dans mon cerveau positronique. Je te montrerai comment procéder ».  Elle le regarda et caressa ses cheveux.

-          Je t’aime Elroy.

-          Je t’aime Elizabeth. »

 7 avril 2008

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