La cave

Le temps me semble long.

Je suis ici depuis combien de temps ? Une heure ? Deux peut-être ?

Maman m’a dit de me cacher à la cave quand elle a vu papa revenir en titubant dans l’allée de la maison.

Je colle mon oreille à la porte mais je n’entends plus aucun bruit. Pas comme tantôt. Maman hurlait sur papa et celui-ci l’insultait en criant plus fort encore.

En soupirant, je me rassois sur les marches. Je n’ose pousser le battant.

La dernière fois que je suis sorti de la cave sans en avoir l’autorisation, papa m’a cassé deux dents en me giflant.

Non, il vaut mieux que je reste ici sagement. Maman viendra me chercher.

Mes yeux s’étant habitués à la pénombre depuis longtemps, je passe en revue les objets disposés sur les étagères fixées aux murs de la cave.

Les boites de conserves sont rangées à portée de main. Sur la planche tout en haut, hors de ma portée, se trouvent les produits d’entretien. C’est papa qui les a placés là. Je me souviens que le jour où il a procédé au rangement, il a dit à ma mère qu’avec moi, il valait mieux prévenir. Une brimade de plus. Ce n’est pas bien grave, j’y suis habitué. Il a même un surnom pour moi. Il m’appelle l’arriéré. Mon grand frère m’en a expliqué la signification. Ce n’est pas très gentil. Il parait qu’il est déçu depuis que mon professeur a déclaré que je devais suivre un enseignement adapté. Ce n’est pas de ma faute si je comprends plus lentement qu’un autre. Depuis ce jour, il ne cesse de se moquer de moi la plupart du temps.

Mais papa a toujours été comme cela. Un jour il est gentil et le lendemain, sans raison, il entre dans de violentes colères ou au mieux il m’ignore. Christophe, mon grand frère, dit que c’est au gré de sa boisson.

C’est vrai que papa boit souvent. Surtout ces derniers mois. Depuis qu’il a perdu son travail en fait. Il dit qu’à son âge il ne retrouvera jamais d’emploi. Maman dit qu’il faut prendre patience et être gentil avec lui. Moi je préfère l’éviter. Comme ça je n’ai pas d’ennuis. Ni de moqueries.

Heureusement il y a Christophe. Enfin, il y avait. Il est parti maintenant. Il a rencontré cette jolie fille. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Christine ? Christiane ? Christiane, c’est ça ! Elle aussi, elle est très gentille avec moi. Elle ne m’a pas pris de haut comme la majorité des gens qui s’adressent à moi. Mais papa ne l’aimait pas. Il disait qu’elle était frivole. Je n’ai pas osé demander ce que cela voulait dire. Christophe est rentré dans une colère monstrueuse ce jour-là. Peu de temps après il est parti. Il vit maintenant avec elle dans un bel appartement. J’ai été passer le week-end chez eux une fois. C’était gai. D’ailleurs j’y retourne demain. Christophe me l’a promis. Il a dit à maman qu’il viendrait me chercher dans deux semaines pour passer le week-end ensemble. J’espère qu’on s’amusera comme la dernière fois. Il n’y avait pas cette tension qu’il y a toujours à la maison. Christophe dit que c’est parce qu’il s’aiment qu’il fait si joyeux chez eux. Je me demande si papa aime encore quelqu’un. Même avec maman il est méchant. Surtout ces derniers temps. Depuis qu’il est seul avec nous.

Avant, Christophe arrivait à le calmer. Maintenant qu’il n’est plus là, papa est pire qu’avant. Il est toujours de vilaine humeur. Et cette désagréable odeur de bière lui colle toujours à la peau.

Je ne devrais pas penser à papa comme cela. Il a travaillé dur pour que nous ne manquions de rien. C’est ce que maman me répète tout le temps quand je dis qu’il est méchant. Mais je ne dois plus penser à cela. Ca me fait peur. Et le noir de la cave n’arrange pas les choses. Je ne peux même pas allumer car l’interrupteur se trouve dans la cuisine de l’autre côté de la porte.

Peut-être puis-je sortir maintenant ? Je vais appeler maman.

-         Maman ?

Pas de réponse. J’essaie à nouveau.

-         Maman ? Tu es là ? Je peux sortir ?

Toujours rien. J’hésite. Je ne sais pas quoi faire. Il n’y a toujours aucun bruit de l’autre côté de la porte.

-         Maman ? Je sors maintenant.

Aucune réponse. Tant pis. Je pousse doucement la porte. Il fait sombre dans la cuisine. Le soir est tombé. Je suis resté plus longtemps que je ne l’aurais cru dans la cave.

-         Maman ?

Toujours aucune réponse.

Je traverse doucement la cuisine. J’essaie de ne pas faire de bruit. La lumière de la lune éclaire suffisamment la pièce pour que je ne doive pas allumer. Qui sait quelle serait la réaction de papa s’il me voyait ainsi fureter dans le noir. Il entrerait sûrement dans une colère monstrueuse.

J’entrouvre sans bruit la porte qui donne dans le salon. Je m’arrête net.

J’entrevois une forme. Il y a quelque chose d’anormal. J’essaie de respirer le moins fort possible. J’ai l’impression que les battements de mon cœur s’entendent jusque dans la pièce voisine. Il fait plus sombre dans le salon que dans la cuisine. Après quelques secondes, je distingue mieux dans la pénombre.

-         Maman ?

J’appelle doucement mais personne ne répond. La forme n’a pas bougé. J’essaie de rentrer dans la pièce mais on dirait que quelque chose bloque la porte. J’ai beau insister, le battant ne bouge toujours pas. Je jette régulièrement le regard sur la forme immobile de peur qu’elle ne bouge. Mais non. Elle reste là. Rassemblant mon courage, je me mets à genoux pour tâter de l’autre côté afin de savoir ce qui peut bien m’empêcher d’ouvrir. Je pousse un petit cri de frayeur. J’ai touché quelque chose de tiède et de collant. Un liquide poisseux couvre le bout de mes doigts. On dirait du sang.

J’ai peur.

-         Maman ?

Toujours aucune réponse. Je ne sais pas quoi faire. Alors que je regardais encore dans la pièce, un rayon de lune illumina la forme. On aurait dit papa. C’est comme s’il flottait au-dessus du sol. Comme un fantôme. Un spectre qui m’aurait tiré la langue comme ultime grimace.

Je sens les larmes couler sur mes joues. J’ai peur. Je bats précipitamment en retraite jusqu’à la cave et je referme la porte derrière moi.

J’ai peur. Je ne sais pas quoi faire. Christophe vient demain. Lui, il saura ce qu’il faut faire.

En attendant je suis en sécurité ici.

Dans la cave.