La Chanteuse qui Puait le Fromage
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Dans un village perdu vivait une petite fille qui répondait au joli nom de Myrtille. Cette fillette était triste, car elle n'avait pas de maman. Quand elle interrogeait son papa, celui-ci rétorquait qu'elle était partie voilà des années. Myrtille en éprouvait beaucoup de peine. Elle pleurait toujours près du ruisseau, à la sortie du village. Mais un jour, alors qu'elle y sanglotait, passa le plus vieil habitant du village. Il fut très touché et ne put s'empêcher de lui révéler toute la vérité.
- Ta mère est prisonnière d'un labyrinthe. Elle chantait tout le temps et quand elle ouvrait la bouche, une odeur horrible de fromage moisi en sortait. Tout le monde était malade. Le maire a donc décidé de l'enfermer.
La jeune Myrtille remercia le vieil homme et se mit en route avec joie pour retrouver sa maman.
Elle parvint jusqu'à l'endroit qu'il lui avait indiqué. Devant elle se dressaient de hautes haies au feuillage dense : c'était le labyrinthe ! Sur ses parois on voyait pousser une multitude de fruits : des oranges, des pommes, des poires... Tout cela sentait très bon et Myrtille y entra bien vite.
Au bout de quelques pas, en prêtant l'oreille, elle entendit une voix s'élever. C'était une voix puissante, une voix de chanteuse d'opéra. Elle n'avait qu'à avancer dans sa direction. Mais à mesure que la voix devenait plus forte, Myrtille ressentait dans son nez un picotement désagréable. Mais, elle avança encore. Puis, c'étaient les yeux qui lui piquaient. Cheminant toujours plus près de la chanson de sa maman, elle sentit cette fois dans son nez une odeur épouvantable. Elle resta immobile et plongea ses doigts dans ses narines pour s'empêcher de renifler cette affreuse puanteur. Pourtant, l'haleine fétide réussissait tout de même à y rentrer. C'était un parfum répugnant : on aurait dit un gâteau à la chaussette, un prout de cafard, ou bien les dessous de bras d'un putois.
Myrtille ne pouvait plus faire un pas. Elle était paralysée par ce relent de fromage que la chanteuse d'opéra expulsait à chacune de ses notes. C'est à ce moment-là qu'elle remarqua dans l'obscurité d'un buisson deux gros yeux jaunes qui la regardaient fixement. Elle eut très peur. Était-ce un monstre ? Les yeux étaient écarquillés, ne clignaient pas. En petite fille courageuse, elle s'avança lentement dans leur direction : il s'agissait en fait de deux beaux citrons. Cela lui donna une grande idée. Elle cueillit un des citrons. Elle l'ouvrit en deux et trempa d'un coup son petit nez dans la pulpe du fruit. L'odeur du citron était très forte mais agréable. Myrtille put avancer tranquillement jusqu'à sa mère en évitant la puanteur.
- Maman ! Je te ramène au village, dit-elle en sautant dans ses bras.
- Myrtille ? C'est bien toi ? Je suis si heureuse de te revoir. Mais je ne peux pas venir avec toi. Je ne peux pas vivre sans chanter et les habitants m'ont chassée parce que je pue.
- Tu pourras continuer à chanter. Je sais quoi faire. Viens ! Je vais te montrer la sortie ; je connais le chemin par cœur.
Ainsi, la mère et la fille rentrèrent au village. Les gens là-bas n'étaient pas très contents de revoir la chanteuse qui puait le fromage, mais Myrtille leur dit alors :
- Vous n'avez qu'à tremper le bout du nez dans de la confiture.
Chacun des villageois se badigeonna les narines de compote et de marmelade. Ils ressemblaient tous à des clowns. Et maintenant qu'ils ne sentaient plus l'odeur de fromage pourri de la maman de Myrtille, ils découvrirent qu'elle chantait vraiment très bien !