La clé

My Martin

Ouvre la porte

Conomor -surnom, "grand chef"- est un chef breton machiavélique du VIe siècle. Décédé en 560. Conomor ar Milliget -Conomor le Maudit.

Au VIe siècle, le comte Conomor -préfet du roi des Francs, Childebert- règne sur la partie Ouest de la Bretagne.

L'un des hommes les plus importants du VIe siècle, lié aux puissances établies des deux côtés de la Manche ? Roi à la fois, de la Cornouaille bretonne et de la Cornouailles -actuelle Angleterre.

Il tue ses épouses successives, lorsqu'elles ont un enfant.

Il se révolte contre le roi franc Clotaire Ier   498-561. D'où la vindicte de l'Église et les sombres aspects de sa légende.

Un politique avisé, arrêté dans sa course pour le pouvoir ? Un assassin sans scrupules ?


*


Un ancien conte oral circule au Moyen Âge : un cheval blanc tue ses épouses. La dernière découvre les corps démembrés de ses sœurs, dans une pièce interdite.

Plusieurs similitudes avec le conte de Perrault, la tache de sang ineffaçable sur la clé, preuve de la transgression de la jeune épouse.

1606. William Shakespeare. Responsable de crimes, dévorée par sa culpabilité, Lady Macbeth se lave les mains sans cesse. Mais la tache de sang réapparaît toujours.

*

Moyen Âge. Une chanson -La Maumariée, La Mal Mariée- raconte l'histoire d'une femme battue.  


"La Maumariée" est une chanson d'Anne Sylvestre pour Serge Reggiani. Il la chante en récital à Bobino en mars 1968 et l'enregistre dans son album "Et puis…"

Anne Sylvestre la chante dans son album "Aveu", en 1969.


« Maumariée » est une forme ancienne de « Mal Mariée » :  une femme mariée contre son gré, malheureuse avec son époux. Des chansons sur ce thème ont été recueillies dans les années 1940 et 1960, en Acadie -région nord-américaine.


La femme mariée se suicide par noyade. Un autre homme « aurait su l'aimer ».


... Ne pouvais-tu

Ne pouvais-tu m'attendre ?

Ne pouvais-tu

A cet instant comprendre

Que je courais vers toi ?   ...


*   


Gilles de Rais ou de Retz  

Champtocé-sur-Loire, Maine-et-Loire, 1404 - Nantes Loire-Atlantique, 1440             35 ans

Noble et ancienne famille de Bretagne. Fils aîné

Mort de ses parents, tôt orphelin, il est élevé par son grand-père, Jean de Craon.

Immense fortune : familiale. Par son mariage. Par héritage, à la mort de Jean de Craon.

Redoutable homme de guerre -guerre de cent Ans. 1428-1431, fidèle compagnon de Jeanne d'Arc. Siège et libération d'Orléans. Sacre de Charles VII à Reims. Plus jeune maréchal de France (25 ans).


Retour en ses domaines. Dispendieux train de vie. Il dilapide la fortune dynastique, dettes. A la demande de sa famille, mis sous interdit par Charles VII -interdiction de vendre ses biens.

Recherche d'expédients pour rétablir sa fortune. Il s'entoure de charlatans, escrocs : alchimie -pour transformer le mercure en or. Satanisme, messes démoniaques.

1432-1440, huit années de dérive criminelle : perversité, sadisme. Rabatteurs. Viols, tortures, assassinats, démembrements d'enfants -nombre inconnu.

Arrestation. Procès. "Nul ne sait, ce que j'ai fait".

Condamnation, excommunication.

Exécution ; pendu puis brûlé à Nantes.


Gilles de Rais montait un cheval de race Barbe -du nom des « États Barbaresques ». Robe noir corbeau aux reflets bleus.

Le Barbe est une race de chevaux de selle originaire d'Afrique du Nord. Monture de dressage classique renommée dans les Cours royales, à partir du XIVe siècle.

De format moyen, réputé manquer d'élégance avec sa croupe tombante et sa queue attachée bas, le Barbe est résistant.


Gilles de Rais est appelé Barbe Bleue, sur ses terres bretonnes.

Dès l'époque romantique (début XIXe siècle), la littérature identifie Gilles de Rais, à Barbe Bleue.

Les auteurs du XIXe siècle -Stendhal 1783-1842 et Prosper Mérimée 1803-1870- façonnent la légende.



Henri VIII, né le 28 juin 1491 et mort le 28 janvier 1547. Roi d'Angleterre et d'Irlande de 1509 à sa mort. Le rival de François Ier.

Les six épouses d'Henri VIII


Catherine d'Aragon  1485-1535, mariée vingt-trois ans (1509-1533)

Mariage d'amour, Henri a 18 ans. Catherine (24 ans) est catholique. Henri VIII veut un héritier mâle, Catherine d'Aragon ne parvient pas à le lui donner.

L'annulation du mariage -refus du pape- est à l'origine du schisme d'Angleterre et de la création de l'Église anglicane. Henri VIII répudie Catherine en 1533.


Anne Boleyn    1507-1536, mariée trois ans (1533-1536)

Anne a 26 ans. Son mariage avec Henri VIII (42 ans) est à l'origine du changement politique et religieux de la réforme protestante anglaise.

La dissolution des monastères d'Angleterre entraîne l'excommunication d'Henri VIII, le 23 mars 1534 ; le pape Clément VII n'accepte pas sa séparation avec Catherine d'Aragon et son remariage avec Anne Boleyn.

Durant l'été 1534, par l'acte de Suprématie, le roi Henri VIII est reconnu par le Parlement seul chef suprême sur la terre de l'Église d'Angleterre. Accusée à tort d'adultère, d'inceste et de haute trahison, Anne est exécutée par décapitation le 19 mai 1536.


Jeanne Seymour    1508-1537, mariée seize mois (1536-1537)

Henri a 45 ans. Jeanne (28 ans) donne naissance à un garçon futur roi Édouard VI, le 12 octobre 1537. Elle décède de fièvre puerpérale le 24 octobre 1537.

Le roi se souvient d'elle avec tendresse ; il sera enterré auprès d'elle, dans la chapelle Saint-Georges du château de Windsor -sépulture provisoire qui devint définitive.


Anne de Clèves     1515-1557, mariée six mois (janvier-juin 1540)

Henri (49 ans) choisit Anne (25 ans) après avoir vu son portrait -flatteur- peint par Hans Holbein le Jeune, en 1539. Il se marie le 6 janvier 1540. Il est déçu. Il obtient l'annulation du mariage le 9 juillet 1540. Les anciens époux restent bons amis. Henri appelle Anne, sa « chère sœur ».


Catherine Howard       1520/1525-1542, mariée un an et sept mois (1540-1542)

Henri a 49 ans. "La rose sans épines". Reconnue coupable d'adultère et de trahison, Catherine (19 ans) est décapitée à la tour de Londres le 13 février 1542.


Catherine Parr     1512-1548, mariée trois ans et six mois (1543-1547)

Henri a 52 ans. Instruite, spirituelle et habile, Catherine (31 ans) doit son salut à son intelligence. Elle se faufile à travers les lanières du « fouet à six queues » (lois relatives à la suprématie de l'église anglicane). Veuve d'Henri VIII, le 8 janvier 1547.

Puis elle cède à la passion. Elle épouse sir Thomas Seymour, l'Amiral de la flotte. A 35 ans, elle accouche d'une fille, Marie Seymour, le 30 août 1548. Elle meurt de la fièvre puerpérale le 5 septembre 1548. La même fin que Jeanne Seymour.


*

Giambattista Basile, comte de Torrone (v.1570-1632)

Mercenaire, académicien, courtisan, poète dilettante, gouverneur de fiefs provinciaux aux environs de Naples, un « aventurier de la plume ».

Le Pentamerone -cinq jours-, recueil de contes

"Lo Cunto de li cunti overo Lo trattenemiento de peccerille -Le Conte des contes ou le divertissement des petits enfants"

Ecrit en 1625, édition posthume en 1634-1636

Cinq journées : dix femmes racontent des histoires dans une cour magique, dont la princesse va accoucher.


*



Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d'or et d'argent, des meubles en broderie, et des carrosses dorés ; mais par malheur cet homme avait la Barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu'il n'était ni femme ni fille qui ne s'enfuît de devant lui.  

Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles parfaitement belles.  Il lui en demanda une en mariage.  ...

Charles Perrault, Barbe Bleue


Mémoire. Gravure de Gustave Doré.

Gros homme barbu. Toque en damas, manteau avec passementerie, manches à crevés. Il occupe l'image.

Il se penche sur la fille, elle lève la tête vers lui avec confiance.

Il tient une énorme clé. Elle tend la main


Charles Perrault   Paris, 1628-Paris, 1703

Auteur de textes religieux, l'un des auteurs importants du XVIIe siècle.

Par ailleurs, il collecte et retranscrit les contes issus de la tradition orale française. Il formalise le genre littéraire écrit du conte merveilleux.

11 janvier 1697. Les Contes de ma mère l'Oye. "Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités". Huit histoires, dont La Barbe Bleue.

Ma mère l'Oye est un personnage fictif populaire -une campagnarde qui racontaient ces histoires.

Les Contes de ma mère l'Oye paraissent à l'époque où le genre des contes de fées est brièvement en vogue chez les adultes, dans les milieux bourgeois et aristocratiques.

Les récits sont colportés oralement par les nourrices et les bonnes d'enfants, venues des campagnes pour travailler dans les villes.


"Anne, ma sœur Anne..."

Connu pour ses contes merveilleux, Charles Perrault est écrivain à la cour de Louis XIV. Dans sa version, une jeune fille épouse un homme riche et laid. Il lui interdit d'ouvrir une pièce du château. Il s'absente. Elle enfreint la règle et découvre les corps pendus de ses précédentes épouses.


À l'époque de Perrault, de nombreux lettrés s'inspirent des anciens contes oraux et publient des contes.

La publication de Perrault s'adresse à la Cour, aux adultes, aux jeunes filles. Les versions de Perrault sont diffusées, par le colportage, par les images d'Épinal. Il conserve le thème principal du conte, emploie des images fortes. Les autres lettrés du XVIIe siècle suivent la mode du temps, édulcorent le texte.

Le conte de Charles Perrault est largement diffusé, les animaux des versions orales adoptent le physique de Barbe Bleue ; sa barbe aux reflets bleus corbeau est le signe de sa bestialité masquée.


Sous-texte ? Le corps de la femme, chambre interdite. Le mari détient la clé. Nuit de noces, il initie, ouvre.

La jeune épouse du conte désobéit, transgresse l'interdit -pour la version orale, elle sauve ses sœurs. Elle s'affranchit de l'autorité de son mari. Elle prend son destin en main.


*


Minuit. Je ne dors pas. J'écoute. Je repousse le drap et me lève d'un bond. Pyjama frissonnant. Je monte sur le tabouret. Pointe des pieds. Je décroche la clé.

Je monte l'escalier. Obscur couloir. Le tapis est élimé. Fleurs pâles au milieu, les fils verts frisent sur les bords. Les portes s'alignent. La porte du fond m'attire. Je serre la clé. Je tends l'oreille. Je tourne la clé, abaisse la poignée en laiton ouvragé,

pousse la porte


Hiver. Maisonnette en bois, planches à clin, plafond en toile d'avion. Modeste logis, proche du terrain d'aviation. Jardin carré, rangs de pommes de terre, doryphores.

Repas de Noël, la famille est réunie. Congélateur plein à craquer. L'arrière-grand-mère -blouse bleue neuve- , la grand-mère, M'man, P'pa, moi. La pièce est minuscule, occupée par la table et les chaises. Nappe en toile cirée à carreaux. Buffet aux portes à vitre dépolie.

Le poêle au fioul -alimenté par bidon, la citerne est dans l'appentis- chauffe si fort qu'il est rouge. Les flammes molles dansent. Salade en entrée, miettes de crabe. Je pense à l'album de Tintin, "Le Crabe aux pinces d'or".

La cocotte mijote, viande bouillie, croûte caramélisée, pommes de terre. Leur chair en purée s'ouvre dans la sauce.

M'man éclate en sanglots.


Deux pièces. Une cuisine sur l'arrière. Une chambre avec une alcôve sur rue, au troisième étage. P'pa boit, du vin blanc pour les sauces. Des fois, je vais en acheter à l'Épargne, de l'autre côté du carrefour, en face du jardin public.

P'pa rode autour de M'man, ressasse, rumine. Contre le bureau, le chef, les collègues, la vie, le quotidien. M'man se réfugie sur le palier, hurle sa détresse.


Elle reste pour moi, le fils biscornu. Lunettes. Plomb dans les dents. Rafales d'éternuements, du printemps à l'hiver. Sexe aigrette, en bec de cafetière. Il fléchit mais ne rompt pas. Je le teste souvent, de la main. Tête ailleurs, tête en l'air, juteuse.


P'pa, que s'est-il jadis passé, en pension chez les curés ? Ils sont troubles.  Ils t'ont tripoté au dortoir ?

La vapeur monte du ciment. Hugues sous la douche. Après le sport. Cheveux blonds dans les yeux, il se savonne. Eau chaude, il bandouille. La bite luit, en col ourlé.

Le curé a repéré l'horaire. Ses lunettes s'embuent. Il sourit ; il n'a pas de frein labial, sa lèvre supérieure découvre ses dents.


-P'pa et moi, on se demande... on te fait honte ?

-Mais non.

Si. Mais je vous aime de tout mon cœur. La nuit au lit, je tends mon bras verticalement vers Dieu, je calcule quel âge vous aurez, lorsque je serai grand. Je recalcule mental, vérifie. Vous serez vieux, je serai là. Je veillerai. D'accord, Dieu ? Réponds-moi.

Il promet. Mon bras bouge, oscille une fois.  


Mes grands-parents paternels possèdent un immeuble en ville. Nous montons pour les fêtes, Pâques, Noël ou le Jour de l'An.

Façade, à gauche, la porte cochère donne accès à "la voûte". Puis le jardin en longueur, entre deux murs. Au fond, bâtiment bas, pavés au sol, les anciennes remises et écuries.


La voûte. Le sol est fait de carreaux de faïence jaune. Deux étroits trottoirs. La porte d'un débarras à droite. Le soir. Pourquoi suis-je là ? A la télévision, passe Belphégor.

Dans ma mémoire, un mélange avec Peter Brady, "L'Homme invisible", série américaine, bandelettes de momie crasseuse.

La haute silhouette parcourt les salles du Louvre, statues murmurantes. Coutures, masque de cuir, tunique, coiffe à facettes. Sa présence derrière moi. Souffle dans mon cou.


Plusieurs étages, nombreuses pièces. Meubles bretons, piano, cheminées. Les pendules tic-taquent les heures, bibelots tarabiscotés. Coffres, chaises à dossiers ouvragés.

Je monte l'escalier dans la pénombre. Au mur, la reproduction d'une gravure de Rembrandt, au sourire sardonique. D'après son tableau "Autoportrait en Zeuxis" (1663).

Peintre grec du Ve siècle av. J.-C., mort de rire en faisant le portrait d'une dame âgée. Son art, caractérisé par le jeu des couleurs et par les contrastes d'ombre et de lumière, donne l'illusion de l'espace.

Il prend vie. Une ombre jaillit, frôle mon mollet. Un chat. Je crie.

Mirage.


Mes parents occupent une chambre éloignée ; moi, une vaste chambre avec des lits vides.

La nuit tombe. Le parquet craque. Seuil de ma chambre. Des pas. Du palier, ils cherchent. Ils se dirigent vers mon lit. Je remonte le drap. Je retiens ma respiration.


P'pa décède. M'man reste longtemps seule dans la maison, repas livrés, aide-ménagère.

Chutes à répétition. La dernière, tentative pour se rattraper au rideau de la porte-fenêtre. Raté, tringle arrachée, coup sur la tête.

Les voisines veillent : le matin, les volets sont ouverts ou non ? Sirène, pompiers.

-On vous emmène aux urgences, Madame.

-Non, non, pas aux urgences. Je vais bien.

Le maintien à la maison, le vague suivi à distance -surveillances du compte par Internet, avis de prélèvement pour les dépenses- ne sont plus possibles.  

Le soir, sac, deux trois vêtements. Voiture, départ.

-Je reviendrai à la maison ?

- Non.

La ville disparaît dans la nuit. M'man regarde par la vitre et ne dit rien.

Ehpad.


Rendez-vous avec Emmaüs : faire vider la maison et la mettre en vente. Camionnette, un compagnon râblé et un apprenti lymphatique. L'affaire d'une matinée, meubles, vaisselle, vêtements. Ils démarrent, autre déménagement cet après-midi.

Place nette. Les pièces résonnent. Dans la chambre d'amis, un carré de papier sur le parquet. L'écriture de ma grand-mère.

... Je ne me sens pas bien. Je vais partir. Quitte-le, il te fait du mal. ...





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