La conversation silencieuse

Anouk Mathieu

Une rencontre

 

Nous avions rendez-vous. J'avais un peu insisté, c'est vrai.

 

Il passa devant la terrasse du café, ne me remarqua pas, et partit s'installer quelques mètres plus loin, à une autre terrasse de café.  Cela n'augurait rien de bon. J'étais déjà transparente.

Je reconnus la chemise blanche, la lippe boudeuse, les lunettes carrées, et l'allure de jeune homme, comme sur la photo.

Ce que je me sentais tarte assise devant mon eau plate.

Je me levais et m'avançais à sa table.

Le sourire était carnassier, un rien gêné, curieux mélange de recul et d'amabilité.

Petit. Ce garçon était petit. Un petit garçon en somme.

Mignon à croquer, même pas de poils, même pas de facilité à jouer les surpris face à  ma beauté renversante. Il ne me regardait pas en face.

Il ne me trouvait donc pas renversante. Il était cultivé, spirituel, élégant, plein d'humour, sympathique. Nous conversions.

Je riais, bêtement évidement, parce que je n'en avais pas envie.

Café, encore un café, un autre café.

Les confidences n'arrivaient pas. Il parlait bien, clairement, employait le bon vocabulaire, il n'était pas troublé le moins du monde.

Moi ? Je voulais mettre ma tête dans son cou, prendre ses mains, dégrafer les premiers boutons, glisser mes doigts dans l'échancrure, voir s'il n'y avait vraiment pas de poils, descendre ma bouche le long de l'oreille, remonter en flèche, lui ôter ses lunettes, poser le plat de ma main sur sa joue, découvrir ses épaules, mordre dedans, palper les reins.

On était quand même sur une place publique bondée de touristes. C'était l'été.

 

Nous avions rendez vous. Elle avait insisté, un peu.

 

J'étais en avance.

Après un  petit tour visuel des terrasses, je compris que non, elle n'était pas encore là.

J'en choisis une au hasard mais suffisamment dégagée pour qu'elle ne me rate pas. J'avais acheté le journal, j'allais lire en l'attendant. Ma chemise blanche ne me tenait pas chaud, je transpirais juste un peu.

Son habitude à elle, c'était les messages. Les SMS.

J'en avais reçu de toutes les couleurs, je laissais donc mon portable sur la table devant moi, juste au cas où.

Cette femme m'impressionnait, m'intriguait, mais je n'avais pas le courage de l'aimer autrement que dans mes rêves, elle le savait. Alors que voulait-elle de moi ?

Elle arriva.

Elle s'installa tout près, collant sa chaise à la mienne, plongeant ses yeux verts dans le reflet de mes lunettes.

Elle avait l'air fatiguée, elle s'entait bon.

Volubile, souriante, charmeuse.

J'entrepris la séduction.

Son œil se baladait sur les passants, elle m'écoutait parfois distraitement.

Est-ce que je l'ennuyais ? Quand son regard se posait à nouveau sur moi, tout son corps se tendait dans un même mouvement. Elle allait me dévorer peut être ?

Je faisais le clown, l'intelligent, gardant une distance physique respectable. Ne pas sentir son parfum, ne pas regarder sa peau, ne pas faire de silences, ne pas fermer les yeux, enchaînons, enchaînons…

J'ai envie de me sauver. De retrouver les bras d'Annie, de sucer son cou et ses bras, de lui dire que je l'aime, de lui promettre mon âme, de planter en elle ma verge courroucée, de la défaire avec toute la tendresse du monde en un seul baiser. De planter là cette inconnue.

On discutait.

 

 

 

Je le trouve séduisant, vraiment, mais je le savais déjà avant.

Exactement le genre de garçon apte à me faire souffrir.

Je le lui dis, entre deux banalités.

Il a entendu, il ne répond pas, sauf il ne veut pas me faire de mal.

Je ne le crois pas bien sûr.

Nous changeons de terrasse.

Oui, si tu veux.

Il s'en sort merveilleusement bien.  Il ne veut pas de mes baisers.

Nous passons à autre chose.

Le rien, l'inutile, le sans vraiment de sens.

Car enfin ! Qui y a-t-il de plus intéressant que lui ?

Rien. Non rien, je n'ai rien dit. Rien de ce que je suis.

 

Elle ne me plait pas vraiment. Mais je le savais déjà avant.

Exactement le genre de nana qui me laisse tiède.

Je le lui dis.

Elle a entendu, mais reste quand même…

Je fais semblant de m'intéresser

Nous changeons de terrasse. Encore.

Je bois pour supporter. Elle boit trop.

Elle s'emberlificote et casse un verre.

Je ne veux pas de ces baisers.

Vite lui parler de l'honnêteté, ça va lui plaire.

Je suis un homme honnête, j'ai une femme dans ma vie.

De tout, de rien, c'est mieux pour moi.

Je suis à l'aise, je mène le jeu.

Je suis fort. Fort et beau. Je suis un homme maintenant.

 

Vous m'ennuyez et mes élans m'assaillent.

Restons-en là. Restons dans les rêves.

Je vous boirais comme une folle.

Je compte sur vous. Maintenant je compte avec vous.

Vos mains me caressent. Vos jambes sont des barreaux.

Vos sourires sont mes larmes. Je marche sur la plage. Je réfléchis.

Je vous idolâtre. Je vous en prie, prenez-moi. Emportez-moi.

Vos lèvres me tentent. Je tente le coup.

Je suis en marche. Je pense à votre corps.

Je devine vos désirs. Je suis en désordre. Je manque de vous.

Je manque à ma tache. J'ai une tache sur le cœur.

Je brûle dans mon ventre. Je me sens laide. Je vous informe. Je vous plains.

Je vous ignore. Je veux vos aspirations, vos expirations, votre haleine, vos ponctuations, votre phrasé, vos halètements, vos réticences, vos émanations,  vos vapeurs, vos ordinaires, vos rafales, vos giclées.

 J'ai le nez qui coule. Je m'enrhume. Je tombe malade.

Je suis malade, vielle, sénile, citronnée, acide, acerbe, accroc, acariâtre.

Je n'ai plu de feu, ma chandelle est morte.  

 

Il y a des correspondances, c'est comme ça. Nous avons correspondu, nous nous sommes écrits.

Des mots s'inspirent, d'autres s'expirent, certains s'indifférent.

Les vôtres me frottaient les joues, caressaient mes doigts froids, et stimulaient mes jouissances.

J'étais prostitué. Je ne le niais pas.

Des heures passées à rêvasser ne suffisaient plus à calmer mon désir lequel s'en trouvait largement renforcé.

Plus fort que moi, envie d'aller y voir de plus près. Désacralisons les remords.

Au dessous de mon ventre, juste au dessous, voilà l'amour et le sexe, les deux sont offerts. C'était avant.

Je ne suis pas désespéré, pas encore assez pour ne plus croire à ce que je vis.

Je suis  chaud, Je suis  tendre à souhait.

Mais la proximité m'effraie, vous le voyiez bien !

M'apprivoiser ne vous dit rien. Vous préfèreriez que je me donne.

Pourtant, je ne suis pas prêt pour ça, pas fait fait pour ça, je vous connais par cœur, par hasard et par delà les mers.

 

Une consolation, voilà ce qu'il lui faudrait.

Le consoler de lui même, envers et contre tous.

Mais être bienveillante, quelle connerie !

Je l'aime tant qu'il ne le saura jamais.

Il manque de douceur, il lui faudrait apprendre. Etre doux et élégant.

Il croit qu'aimer  est une promenade fatigante.

Je le vois. Il s'impatiente.

Il aimerait tant,  mais moi je suis en fuite, je n'ai plus le temps.

J'ai laissé la porte entre ouverte.

Il l'a refermée doucement, oh rien de sauvage !

Mais assez pour que je me jette, comme une obstinée, dans d'autres bras.

Tatouée à l'infini par ce qui ne s'est pas passé, c'est toi que je rencontrais.

Sais-tu comme les perles sont précieuses ? Celles là même que je verse pour toi, assise au bord du lit, la tête dans les mains.

 

Elle me harcèle.

Trop de silences.

Je regrette mes mots du début. D'avant.

Je divague entre elle et moi, je ne trouve pas ma place.

Je me jette dans la gueule du loup et je crie au désastre.

Je relis la lettre que je lui ai écrite :

« Vous parler d'amour c'est te parler.
Te dire comme je suis là, présent comme un fantôme. Que je caresse tes bras qui m'attirent et m'accueillent. Que tu sens un frisson et que c'est le mien. Celui que tu me donnes et que je te rends.
Te dire que je suis un ourson tout poilu. Que je suis un mur sur lequel tu peux frapper.
Te dire que te faire l'amour serait un bonheur et que les larmes couleraient sur un sourire.
Te dire que la poésie et ses froufrous ne valent rien face à toi. Que les mots sont tiens car tu les fait naître.
Te dire qu'une goutte de sueur coule de mon dos et que je suis un fleuve qui te rafraîchit.
Te dire que ma poitrine est chaude et que je suis le feu qui réchauffe tes seins durcis par l'automne.
Te dire qu'écrire n'est rien. Que faire est Tout.
Te dire.
Me dire.
Tien. »

Elle doit pleurer, maintenant, me traiter de dégueulasse.

 

Je te préférais avant, quand tu ne me parlais pas

C'est fini. Nous ne danserons pas. Nous ne nous aimerons pas.

N'en parlons plus.

 

Il se leva, moi aussi, chacun se retourna pour agiter la main, en souriant.

 

 

 

 

Signaler ce texte