La cour des miracles

Carole H.

Participation au concours Twisted Tales dont le but était de modifier un seul détail d'un classique de Disney. Ici, Quasimodo est appelé le Bossu à cause de ses bagarres à répétition.

I.

"Quasimodo, je sais que tu es là !"

Il était pourtant sûr de n'avoir fait aucun bruit, mais le maître savait qu'il était rentré. Il devinait toujours tout et Quasimodo se demandait s'il n'avait pas des espions en ville qui le prévenaient des moindres faits et gestes de ses "protégés". Il n'avait pas le courage d'affronter Maître Frollo à cette heure et dans cet état, mais il n'avait maintenant plus le choix :

"Oui Maître, je suis rentré."

En le voyant s'approcher, Frollo eu un sursaut de dégoût. Depuis le temps qu'il vivait dans ce quartier chic, il n'était plus habitué à côtoyer la crasse et la puanteur de la populace. Il ne croisait ses pensionnaires qu'en de rares occasions : pour récupérer l'argent qu'ils lui devaient chaque mois et lorsque l'un d'eux avait des problèmes. Et des problèmes, Quasimodo en avait eu ce soir-là comme pouvait en témoigner son apparence : ses vêtements étaient déchirés, le sang lui piquait les yeux et l'odeur du caniveau l'avait suivie jusqu'à la résidence.

"Ton employeur m'a appelé, Quasimodo. A la prochaine rixe, tu es viré ! Il n'en peut plus de tes bêtises, et moi non plus ! Je t'ai accueilli chez moi, j'ai créé un orphelinat pour toi, et voilà comment tu me remercies ! Tu me dois encore une belle somme d'argent tu sais ! A laquelle je vais d'ailleurs ajouter le coût d'une nouvelle tunique puisque celle que tu as sur le dos n'est plus utilisable."

Quasimodo se retint d'émettre le moindre son malgré une forte envie de rire. Sa tunique était déjà rapiécée en plusieurs endroits. Autrefois verte, elle était maintenant plus proche de la couleur de la boue que de celle des arbres. Dès qu'il l'abîmait un peu, le maître ajoutait une ligne sur sa note, mais jamais il ne lui en fournissait une nouvelle. Quasimodo devait alors la remettre en état comme il le pouvait. Et impossible de s'en racheter une... Le maître le verrait tout de suite et lui demanderait de rembourser l'argent considéré comme volé.

Depuis que Maître Frollo l'avait pris sous son aile alors qu'il n'était qu'un nourrisson, sa vie entière lui appartenait. Le moindre centime qu'il gagnait lui revenait et Quasimodo n'avait pas sa voix au chapitre. 

Il choisit de se taire et baissa simplement la tête. Le discours était sans cesse le même. Le maître justifiait les coûts qu'il ajoutait à sa dette puis le laissait partir. 

Une fois sorti du bureau, il se glissa dans la cour et longea le couloir de service. Arrivé dans l'arrière maison, il monta les étages en boitant et arriva sous les toits où il fut accueilli par les rires de ses colocataires.

Lorsque Frollo parlait de son orphelinat, il exagérait quelque peu : il avait simplement transformé les combles de l'arrière maison en une minuscule chambre dans laquelle s'entassaient 4 lits en métal, une petite table avec une seule chaise et une vasque qu'ils remplissaient d'eau tous les jours pour faire leur toilette.

"Alors le Bossu, t'as encore cherché la bagarre ?"

La Muraille le regardait avec une étincelle dans les yeux. C'était lui qui lui avait appris à se battre. Il mesurait presque 2 mètres et semblait taillé dans de la roche, d'où son surnom. Depuis sa plus tendre enfance, Quasimodo essayait de le battre au combat rapproché mais il n'avait encore jamais réussi. 

Sur leurs lits, La Rocaille et La Volière le fixaient. 

Ici, aucun d'eux n'était jamais appelé par son vrai prénom. Ils préféraient ces surnoms qu'ils s'étaient choisis entre eux aux noms que leur avaient donnés des parents qui les avaient ensuite abandonnés.

La Rocaille, petit et trapu, semblait toujours soudé au sol : rien ne pouvait le faire bouger tant qu'il ne l'avait pas décidé ; la Volière était plus rapide que son ombre et était aussi de loin le plus intelligent ; le Bossu, quant à lui, était sans cesse recouvert de bleus, coupures et bosses à force de se battre. 

Quasimodo s'affala sur son lit et décida qu'il était temps de se reposer afin de pouvoir affronter la journée du lendemain. Il savait déjà qu'il allait se faire virer car le fils du patron avait une dent contre lui et connaissait son penchant pour la bagarre. Il lui envoyait sans cesse ses meilleurs hommes pour lui mettre des roustes, sachant très bien qu'il lui serait impossible de se laisser faire sans réagir ! Son honneur en dépendait et puis, cela l'entraînait pour battre un jour la Muraille !

Le lendemain soir, Quasimodo était dans un état encore plus lamentable lorsqu'il se dirigea vers la résidence. Cette fois-ci, il tenta de rentrer directement par la ruelle de derrière, mais il fallait escalader le muret et ses côtes le faisaient trop souffrir. Il s'y reprit à 3 reprises avant d'abandonner et de se diriger vers l'entrée principale. Aucune rai de lumière n'était visible sous la porte du maître et Quasimodo se mit à espérer que celui-ci n'était pas encore au courant. 

Il se faufila jusqu'en haut des escaliers et ouvrit la porte de sa chambre avec un sentiment de soulagement, qui s'effaça vite face au spectacle qui l'attendait : ses colocataires étaient absents, ce qui était inhabituel pour cette heure tardive, mais Maître Frollo trônait au milieu de la pièce. Il avait pris la seule chaise de la chambre et attendait dos à la porte. À côté de lui, un baluchon attendait. 

« Je t'avais prévenu Quasimodo... Il est temps de partir maintenant. Tu m'apportes plus de soucis que d'argent... »

Quasimodo n'avait jamais entendu ce ton dans la bouche de son maître et il mit un moment avant de définir de quoi il s'agissait : de la lassitude. Pour se séparer d'une de ses sources de revenue, Frollo devait vraiment être à bout...

Une chance comme celle-ci n'allait pas se représenter de sitôt et Quasimodo le savait. Jusqu'à maintenant, Maître Frollo le frappait ou le privait de nourriture pour tenter de le ramener dans le droit chemin... Mais là, il lui rendait simplement sa liberté ! Quasimodo n'en revenait pas ! Il saisit le balluchon, jeta un dernier coup d'œil à la chambre qui l'avait vu grandir, et sentant son cœur se serrer à l'idée de ne plus revoir ses 3 comparses, il se dirigea vers la porte. 

« Tu oublies quelque chose... »

Frollo lui tendait un papier que Quasimodo ne pouvait pas lire. Dessus s'alignaient quelques lettres mais surtout beaucoup de chiffres. 

« Il s'agit d'une reconnaissance de dettes. Tu dois la signer pour pouvoir partir. Cela m'assurera que chaque jour tu travailleras à rembourser les sous que tu me dois. »

Quasimodo ne réfléchit pas longtemps avant d'apposer la lettre Q en bas du document, comme le maître le lui avait appris : de toute façon il lui devait déjà cet argent et le montant augmentait chaque jour tant qu'il restait ici. 

Quelques marches et secondes plus tard, il se retrouva dans la rue, libre et euphorique. En sifflotant, il se mit à marcher au hasard des rues. Cela ne lui était arrivé que très rarement, Maître Frollo ne leur laissant pas beaucoup de temps libre. Dans tous les cas, aucun d'eux n'avait l'argent nécessaire aux loisirs qu'offrait la rue… Quasimodo s'arrêta net. L'argent… Il réalisa alors qu'il n'avait aucune raison de se réjouir de sa situation : il était à la rue, sans un sou, sans travail et il ne connaissait personne qui aurait pût le sortir de cette situation dans l'immédiat.

Il était déjà tard et Quasimodo décida que l'urgence était de trouver un endroit pour dormir. Il avait jusqu'ici eu la chance de n'avoir jamais passé la nuit dans la rue et il réalisa que la première fois serait ce soir.

II.

Esmeralda dût se mordre l'intérieur des joues pour ne pas exploser de rire. De l'autre côté de la rue, un grand benêt tentait de voler des fruits sur un étal. Tout le monde l'avait remarqué, y compris le vendeur, qui, sûrement pris de pitié, le laissait faire gentiment. Esmeralda ne doutait pas qu'il allait cependant vite perdre patience et faire déguerpir le jeune homme en vociférant. Elle paria avec elle-même qu'il restait un peu moins de 15 secondes à l'apprenti voleur. Elle n'était pourtant pas arrivée au chiffre 9 que le vendeur attrapait déjà le poignet du bandit dont les yeux s'écarquillèrent. Cette fois-ci, elle explosa franchement de rire. Le vendeur lui adressa un regard de reproche complice, qui laissa le temps au jeune homme de filer. Il n'était peut-être pas doué pour le vol mais Esmeralda dût reconnaître qu'il courrait très vite. Un point essentiel dans le monde de la rue, mais personne ne pouvait la battre à la course. Elle se lança à sa poursuite, déterminée à ne pas le perdre de vue : un tel divertissement n'avait pas souvent lieu dans le quartier.

Après qu'il l'eut semé sur quelques centaines de mètres, elle le retrouva dans une bien mauvaise posture, qui lui enleva toute envie de rire : il avait cette fois-ci tenté de s'en prendre au mauvais vendeur, et sous les yeux d'un garde apparemment. Celui-ci était de dos, penché sur les mains du voleur qu'il essayait d'attacher. Esmeralda reconnut tout de suite de qui il s'agissait : la première étape de sa formation avait été d'apprendre à connaître et reconnaître chaque vendeur, chaque garde et chaque juge de la ville. Il fallait qu'elle sache à qui elle pouvait voler, quoi et comment. Elle s'approcha de sa démarche féline et tapota l'épaule du garde :

« Phoebus, ça fait longtemps ! »

Il se tourna vers elle lentement, sachant exactement à qui il avait affaire.

« Esmeralda, ne te mêle pas de ça s'il te plaît. »

Il connaissait les lois des voleurs et savait qu'elle serait prête à tout pour sortir son comparse de là. Bien que pacifique, elle savait jouer de l'art de la manipulation, ce qui faisait d'elle l'une des voleuses les plus efficaces du quartier.

Elle jeta un coup d'œil au jeune homme derrière Phoebus et sut qu'il avait compris ce qu'elle attendait de lui. Ses muscles s'étaient légèrement bandés et il semblait aux aguets, prêt à prendre la tangente à la moindre occasion.

Elle sentit l'adrénaline courir dans ses veines : elle n'avait aucune idée de comment le sortir de là. Phoebus n'était pas un garde lambda et elle ne pouvait pas simplement lui faire regarder ailleurs ou lui glisser une pièce d'or dans la poche. Elle décida de jouer la carte de l'honnêteté, sachant que c'était la seule qui pourrait avoir de l'effet sur lui :

« Tu as bien vu qu'il était nul… Il n'est pas avec nous ! Tu vas juste embarquer un petit jeune qui a fait un mauvais choix… Au lieu de l'aider à se reprendre en main, tu vas l'enfermer quelques jours avec les pires malfrats de la ville, et je peux t'assurer qu'en sortant de ta prison il sera alors bien plus doué et dangereux que maintenant… »

Elle savait que son discours était vrai et que le garde le savait. La situation était devenue invivable à Paris et de plus en plus de jeunes se retrouvaient à la rue, obligés à voler pour survivre. Elle savait aussi cependant que Phoebus n'était pas du genre à laisser partir un malfrat qu'il avait pris la main dans le sac.

« Tu n'as qu'à le prendre sous ton aile… »

Elle sut qu'elle avait pris la bonne piste en voyant les deux hommes se raidir. Elle allait donner à la fois une leçon au garde et au voleur.

« Tu lui donnes un travail, un toit et tu le formes pour qu'il ne devienne pas une mauvaise graine. C'est gagnant/gagnant. Tu fais une bonne action et tu t'enlèves du travail. Au moins tu sauras que tu ne le retrouveras plus jamais dans la rue… »

Phoebus était déjà en train de détacher le voleur. Elle avait touché la corde sensible : il avait beau être juste, il n'était pas un exemple de bonté pour autant. Il était à l'aise financièrement et profitait de nombreux avantages dus à son travail, qu'il n'était pas prêt à partager.

« C'est bon pour cette fois, mais que je ne te revois pas ! »

Esmeralda se dit qu'à force de se mordre les joues, elle allait se faire saigner, mais rire maintenant n'était vraiment pas une bonne idée. Elle passa donc son bras sous celui du voleur et se dirigea vers la petite ruelle la plus proche. Ils n'étaient qu'à une centaine de mètres de la cour des Miracles et elle savait que Phoebus ne les suivrait jamais là-bas, même s'il changeait d'avis.

Au moment de passer la porte, elle eut cependant un doute. Elle était en train de faire exactement ce qu'elle avait reproché à Phoebus : elle allait transformer ce jeune homme encore innocent en véritable voleur de la cour des Miracles. Était-ce vraiment ce qu'il voulait ? Sa nullité n'était-elle pas un signe qu'il devait renoncer ? Personnellement, elle ne savait pas comment elle réagirait aujourd'hui si on lui donnait le choix. A l'époque, elle était trop jeune pour décider. Clopin l'avait sauvé et lui avait permis de rester en vie. Elle lui serait éternellement reconnaissante pour cela. Mais depuis quelques temps, elle se surprenait parfois à rêver d'une vie différente, hors de ce quartier nauséabond dont personne n'osait passer les portes en dehors des pires voyous de la ville. Ils avaient réquisitionné les plus belles villas de la rue, qui se trouvait d'ailleurs être la plus belle de toute la ville. Mais en quelques années, ils leur avaient fait perdre tous leurs éclats. Autrefois colorées, les façades avaient maintenant différentes teintes de gris et de marrons. Les égouts ne s'écoulaient plus et les déchets stagnaient au milieu de la rue principale. Seule la pièce qui avait été attribuée à Esmeralda dans la dernière villa conservait son charme d'antan. Il s'agissait d'un ancien petit salon qui donnait sur un jardin arrière. Il y avait peu de meubles dans la pièce mais Esmeralda l'avait recouverte de beaux tissus et de coussins aux couleurs éclatantes. Elle se sentait là-bas comme chez elle. C'était d'ailleurs le seul endroit qu'elle n'avait jamais pu appeler comme cela puisque Clopin l'avait installé dans cette pièce dès qu'elle avait eu 7 ans. C'était l'âge de raison chez les gitans et le début de l'apprentissage du métier de voleur, mais aussi de la danse et du chant. Aujourd'hui elle maîtrisait parfaitement les trois et aurait préféré gagner sa vie comme bohémienne que comme voleuse. Malheureusement, les temps n'étaient pas aux divertissements et les gens préféraient conservaient leur argent dans leurs poches que de le distribuer aux artistes de rue. Elle était donc forcée de mettre en pratique son troisième art justement.

Elle fit disparaître ses souvenirs et son sentiment de culpabilité en secouant la tête et se tourna vers le jeune homme qui était toujours à ses côtés. Il ne portait qu'une simple tunique qui était déchirée de partout, son visage était tuméfié et montrait les marques de nombreuses bagarres, son apparence laissait vraiment à désirer, mais une lueur de défis brillait dans ses yeux :

« Je m'appelle Quasimodo ».

Elle savait qu'il avait remarqué son hésitation et elle apprécia qu'il ne la brusque pas. Sa voix était douce et contrastait avec son visage déformé par les bosses et les coupures. Son corps semblait ne portait aucun stigmate de ses bagarres. Il se tenait droit et Esmeralda se mit finalement à penser qu'il avait fière allure :

« Allez viens, j'ai quelqu'un à te présenter, et quelques trucs à t'apprendre ».

III.

Il avait enfin réussi ! Il avait volé la bourse que Clopin gardait dans sa poche intérieure sans que celui-ci ne puisse déterminer à quel moment précis il avait introduit sa main dans la doublure de la veste.

"On va vérifier que ça n'était pas juste un coup de chance. Refais-le !"

Clopin se remit à marcher dans la rue principale de la Cour des Miracles et Quasimodo partit se cacher. Cela faisait maintenant plusieurs jours qu'ils travaillaient sur cet exercice et Quasimodo se mit à douter d'y arriver une seconde fois. Il aurait voulu prendre au moins cinq minutes pour profiter de son succès et aller le dire à Esmeralda. Chaque soir, ils faisaient ensemble le bilan de ses réussites, qui étaient malheureusement assez peu nombreuses. Il commençait à avoir peur qu'elle regrette de l'avoir introduit à la Cour des Miracles. La plupart des voleurs réussissaient cet exercice en moins d'une demi-journée... Mais Quasimodo avait l'habitude de foncer dans le tas plutôt que de se faire discret. Il avait donc été décidé dès le début que ce ne serait pas Esmeralda qui le formerait, mais le chef des voleurs lui-même. Quasimodo décida qu'il était temps de lui en mettre plein la vue. Il sortit sa propre bourse qui était vide et la remplit de cailloux. Il avait déjà eu la bourse de son professeur plusieurs fois dans les mains et connaissait son poids exact. Il attendit ensuite patiemment qu'un groupe de voleurs passe au niveau de Clopin et profita que celui-ci les salue pour avoir accès à sa poche intérieure. En un mouvement, il remplaça la bourse pleine de pièces par celle remplie de cailloux et s'enfuit discrètement. Il le regarda poursuivre son chemin sans qu'il ne se rende compte de rien. Clopin s'arrêta un peu plus loin, tapota sa poche intérieure et, sentant sa bourse, reprit sa route. Quasimodo ressentit une bouffée de fierté accompagnée d'un peu de lassitude : il avait à peine dormi ces derniers jours et devait sans cesse rester concentré. Même pour les voleurs, le quartier n'était pas sûr, et encore moins pour les apprentis voleurs !

« Qu'est-ce que je t'ai dit ? »

Quasimodo sursauta. Il n'avait pas vu arriver Clopin et s'était laissé surprendre comme un enfant.

« Ne te déconcentre jamais ! »

Quasimodo baissa la tête, refusant de montrer sa fierté à Clopin. Il voulait qu'il découvre le pot aux roses au moment le plus inopportun et fut ravi de le voir s'éloigner :

« On en a fini pour aujourd'hui ».

Quasimodo couru à la recherche d'Esmeralda. En fin d'après-midi, elle était généralement en train de danser sur le parvis de Notre-Dame et c'est affectivement là-bas qu'il pût observer une fois de plus son corps gracile bouger au son de son tambourin. Ses longs cheveux bruns virevoltaient autour de son visage. Sa robe fleurie tournoyait et les grelots qu'elle avait autour des poignées tintaient à chaque mouvement. Il se perdit quelques instants dans ce rythme envoûtant.

Pour une fois qu'il avait de l'argent, il voulait lui faire plaisir. Il sortit la bourse de la poche de sa tunique et l'ouvrit pour y prendre une pièce. Il allait acheter une rose à la petite vendeuse juste à côté et la jeter aux pieds d'Esmeralda. Il était sûr qu'elle allait la ramasser et danser avec.

Lorsqu'il réalisa que la bourse qu'il avait dans la main ne contenait que des cailloux, Clopin était déjà à côté de lui.

« Pas bête comme idée, j'ai mis un moment avant de réaliser qu'il ne s'agissait pas de ma bourse. Je vais perfectionner la technique ! »

Rouge de honte, Quasimodo rangea la bourse dans sa poche et vérifia d'un coup d'œil si Esmeralda l'avait vu faire. Même si elle ne pouvait pas comprendre ce qui c'était exactement passé, elle avait apparemment saisi que la bourse ne contenait pas ce qu'il espérait et elle avait une lueur moqueuse dans les yeux.

« Je sais comment tu pourrais vraiment l'impressionner... »

Quasimodo se tourna vers Clopin, se demandant s'il était évident pour tout le monde qu'il craquait pour elle. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Clopin lui répondit de suite :

« Non non, ne t'inquiète pas, elle n'est pas au courant. Je suis plus observateur qu'elle, c'est tout. Et d'ailleurs, cela fait un moment que j'ai remarqué que son comportement a changé. Elle ne met plus autant d'entrain dans son travail. Je pense qu'elle en a marre et qu'elle souhaiterait arrêter. Mais elle me doit encore une grosse somme tu sais et elle ne peut pas partir comme ça. Si je ne me trompe pas, tu dois toi aussi pas mal d'argent à ton ancien « employeur ».

Je veux bien vous aider car je vous aime bien tous les deux. Enfin surtout elle, elle est comme ma fille. Toi, de toute façon, je pense que ta vie n'est pas faite pour la cour des Miracles. Ne le prends pas mal, mais tu n'as absolument aucun talent. »

Quasimodo savait que Clopin disait vrai et qu'il ne devait pas le prendre mal mais cela lui fit tout de même un petit pincement au cœur. A chaque fois qu'il pensait trouver un foyer, il se faisait rejeter et traiter d'incapable. Il commençait à se demander s'il n'en était pas vraiment un. Mais Clopin ne lui laissa pas le temps de s'éterniser sur le sujet.

« Peu de gens le savent, mais les cloches représentent le vrai trésor de la cathédrale. Enfin, surtout UNE cloche : la plus petite, qui est aussi la plus lourde. Pour avoir le son le plus cristallin possible, elle a été coulée en or pur. Selon mes informations, elle a une grande valeur mais personne ne sait réellement où elle se trouve... Si tu arrivais à mettre la main dessus, vous seriez libres tous les 2.»

Clopin lui fit un clin d'œil et lui mit une pièce dans la main :

« Tiens, pour ton Esmeralda ».

S'il l'avait voulu, Quasimodo n'aurait pas eu le temps de le remercier avant qu'il s'en aille mais il n'en eut même pas l'idée. Il était plongé au plus profond de ses souvenirs : Frollo l'emmenait souvent à la cathédrale lorsqu'il était plus jeune. Il s'était attiré la sympathie de l'archidiacre en lui parlant de son orphelinat et venait faire la charité pour pouvoir soi-disant s'occuper de ses protégés. Quasimodo et ses compagnons d'infortune avaient passé de nombreuses heures à jouer dans les étages de la cathédrale. Ils adoraient les cloches et l'archidiacre les leur avait toutes présentées, y compris « Grelotine » cette magnifique cloche jaune dont Quasimodo adorait le son et les décorations.

S'il s'y prenait bien, il pouvait être libre dès la semaine prochaine et embarquer Esmeralda avec lui. Il pourrait lui offrir la vie d'artiste dont elle rêvait. Elle ne danserait plus dans la rue mais dans une institution qu'il créerait rien que pour elle. Il était sûr que le public allait se battre pour la voir. En tout cas, lui, il était prêt à tout pour elle !

IV.

Esmeralda avait rarement été aussi fébrile.

Elle avait longuement hésité sur l'endroit où se placer. Elle s'était imaginée l'attendre dans sa chambre à son retour mais elle avait peur que, déçu et honteux, il ne parte faire le tour des tavernes avant de rentrer. Son effet aurait alors été entièrement gâché. Elle avait pensé l'intercepter sur le parvis mais peut-être n'allait-il pas la croire sur parole et puis, cela lui semblait un peu décevant comme manière d'annoncer ça. Elle avait donc décidé de prendre tous les risques et de l'attendre là-haut.

Elle ne savait pas du tout à quelle heure il allait arriver car il n'avait pas partagé ses plans avec elle. Elle en était d'ailleurs un peu vexée. Elle pensait qu'ils se disaient tout. En lui, elle avait trouvé l'âme jumelle avec qui elle pouvait être vraie et honnête. Elle se doutait bien qu'il ne lui avait rien dit car il n'était pas sûr de lui, et qu'il voulait lui faire la surprise, mais elle aurait préféré être au courant de tout, surtout concernant un plan si dangereux.

Heureusement que Clopin, alerté par la témérité de l'idée de Quasimodo, était venu lui demander son aide pour le dissuader de faire ce qu'il considérait comme une bêtise. Elle lui avait juré de s'en charger, sachant qu'il ne croyait pas à la légende de la cloche en or. Elle l'avait vu utiliser ce mythe pour faire arrêter bon nombre de voleurs qui lui mettaient des bâtons dans les roues, ou pour discréditer de beaux parleurs. C'était son histoire fétiche, dont il se servait dès qu'il voulait éliminer quelqu'un. Mais Esmeralda avait la preuve depuis déjà quelques années que la cloche existait, et le fait que Quasimodo y avait cru aussi, lui avait donné le courage qui lui manquait pour aller la voler quelques jours auparavant.

Des pas dans les escaliers la ramenèrent à la réalité. Elle se tenait sur la poutre qui soutenait auparavant la cloche et, de son perchoir, elle put observer le visage de Quasimodo se décomposer. Il regarda partout autour de lui, mais ne pensa pas à lever encore plus le regard. Elle explosa de rire et sauta à ses pieds :

« Je t'ai eu ! »

Cette fois-ci, la panique se peignit sur son visage.

« Qu'est-ce que tu fais là ? Il faut que tu partes tout de suite ! C'est dangereux ici ! ».

Quasimodo la tira par le bras et lui fit descendre les escaliers en colimaçon à toute allure. Lorsqu'ils arrivèrent aux portes de la cathédrale, Esmeralda était tellement essoufflée qu'elle dut s'arrêter pour reprendre ses esprits.

Une voix familière leur demanda alors de se tourner et ils se retrouvèrent face à Phoebus et une dizaine de gardes.

Esmeralda avait retrouvé sa réparti en même temps que son souffle :

« Tout ça pour un couple d'amoureux qui profitait de la vue du haut de la cathédrale ? »

Décontenancé de les trouver là les mains vides, Phoebus ne jugea même pas utile de les faire fouiller : dans une cathédrale, tout ce qui a de la valeur est trop imposant pour rentrer dans une poche ou sous une tunique.

« Mon informateur a dû se tromper. Passez une bonne soirée Messieurs Dames. »

Ce fut au tour d'Esmeralda de tirer Quasimodo par la manche. Ils traversèrent le parvis, pour s'éloigner le plus possible de la cathédrale, mais aussi de la cour des Miracles. Une fois à bonne distance, Esmeralda se mit sur la pointe des pieds et chuchota à l'oreille de Quasimodo :

« On est riche mon tout beau. Et maintenant, il va nous falloir une maison et une famille. J'ai comme l'impression que les anciennes sont à éviter.»

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