La Crue de Blackwater, de Michaella McDowell

[Nero] Black Word

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La journée s'était avérée longue et pénible.


Cela faisait quatre jours qu'elle avait accouché de son fils, que son époux avait nommé Mirthe. Pendant les trois premiers, elle était restée à l'hôpital, reprenant des forces suite à six heures de travail. Six heures allongées sur ce lit à pousser, encore et encore, afin de faire sortir ce petit être de son ventre.


Le travail fini, la fatigue l'avait presque fait perdre connaissance. Mais cela n'avait en rien atténué la douleur des points de suture à son vagin, même si les médecins lui avaient amené son si petit enfant.


Une fois ramenée à la maison familiale, son père l'obligea à tenir à nouveau le lit, s'occupant lui-même du nourrisson. Elle ne put cacher sa surprise quand son petit frère était venu coucher l'enfant afin qu'il fasse une sieste durant l'après-midi et que son époux était venu le récupérer par la suite sans qu'ils ne prêtent plus attention à elle.


Quand elle tendait les bras pour recevoir son garçon, son père, son petit frère et son mari étaient unanimes. Tous trois la jugeaient inapte à manipuler un enfant si petit.


Quand elle répliqua qu'elle en savait autant, voire plus, sur le sujet que son petit frère, ce dernier lui avait répondu que c'était faux et qu'il la voyait déjà le faire tomber. On lui répéta également qu'elle pouvait s'estimer heureuse d'être la mère d'un petit garçon aussi joli et au comportement irréprochable.


Exaspérée, elle trouva la force de quitter ses draps et cette chambre étouffantes afin de sortir prendre l'air, malgré la douleur que lui occasionnait encore son entre-jambe.


La soirée approchant lentement, elle s'éloigna de sa petite ville en prenant soin d'éviter tout le monde, entamant une marche le long du fleuve.


Elle marqua un temps d'arrêt là où celui-ci avait débordé, inondant sa maison et selle de tous les résidents. Pendant une semaine, tout le monde avait dû s'installer à l'écart.


Une fois que l'eau est libérée les habitations, elle avait travaillé dur durant les réparations de la maison de son père ainsi que de la scierie familiale. Mais tout cela n'avait guère eu d'importance pour elle, cette catastrophe lui ayant permis de rencontrer celui qui devint son mari. Un charismatique étranger dont l'intelligence impressionna toute la ville en un rien de temps... excepté une personne.


Son père.


Celui-ci n'avait pas tari de médisance à son encontre, épiant ses allers et venu depuis ses fenêtres, lui répétant de ne surtout pas fréquenter cet individu venu d'on-ne-sait-où, sans pour autant en parler à qui que ce soit ou simplement sortir de chez lui.


À l'annonce de leur mariage, il fit tout pour retarder l'événement, sans y parvenir bien longtemps.


Elle se souvint du déchirement qu'elle ressentait malgré son bonheur palpable. Son père exerçant son autorité d'un côté, pendant que de l'autre son fiancé, malgré sa douceur, pouvait se montrer froid et insistant sur les prises de décisions pour leur avenir qui, de ces mots, n'incombaient qu'à elle.


Par la suite, son époux vint s'installer chez eux et la cohabitation s'avéra plus compliquée qu'elle ne l'imaginait. Et bien que son petit frère travaillât à apaiser les humeurs de leur père, elle ne trouva chez lui que trop peu de soutien. À chaque fois qu'elle lui demandait conseil, il se contentait de lui réponde que, si elle réfléchissait cinq minutes, elle saurait quoi faire.


Quand elle y repensait, cette inondation datait déjà de presque deux ans.


D'une profonde expiration, elle chassa tous ces souvenirs accablant, cherchant à apaiser ses pensées.


Marchant avec lassitude sur la terre humide, son pied heurta un livre dont la beauté de la couverture, malgré la saleté, la séduisit immédiatement. Le livre était intitulé « La Crue de Blackwater » de l'autrice Michaella McDowell.


Le résumé au dos parlait d'une famille fortunée devant se relever d'une catastrophe, avec notamment le patriarche Marien-Jahlove et sa fille dévouée Oscarine, alors qu'apparaît un mystérieux jeune homme au passé trouble appelé Eliodore Dammert, dont le seul dessein semble être de s'immiscer au cœur de leur famille.


Elle le prit et découvrit que seules les pages 182 et 183 étaient encore lisibles. Voir présente.


Curieuse, et espérant penser à autre chose, elle entama sa lecture.



*

* *

Oscarine soupira. elle aimait Eliodore et était heureuse de l'avoir épousé. Mais quelquefois, elle lui arrivait de l'observer en se demandant qui il était vraiment. Et pour le moment, elle n'avait pas trouvé ne serait-ce que le début d'une réponse.
Ce qu'elle savait en revanche, c'est qu'Eliodore ressemblait énormément à Marien-Jahlove : Dotés d'un caractère fort et dominant, tous les deux exerçaient leur pouvoir d'une façon avec laquelle elle ne pourrait jamais rivaliser. Voilà la plus grande méprise au sujet des femmes : parce qu'elles s'occupent de l'argent, parce qu'elles peuvent embaucher quelqu'un et le licencier ensuite, parce qu'elles seules remplissent des assemblées et sont élues au Congrès, tout le monde croit qu'elles ont du pouvoir. Or, les embauches et les licenciements, les achats de terres et les contrats de coupes, le processus complexe pour faire adopter un amendement constitutionnel – tout ça n'est qu'un écran de fumée. Ce n'est qu'un voile pour masquer la véritable impuissance des femmes dans l'existence. elles contrôlent les lois, mais à bien y réfléchir, elles sont incapables de se contrôler elles-mêmes. Elles ont échoué à faire une analyse pertinente de leur propre esprit, et ce faisant, elles sont à la merci de leurs passions versatiles ; les femmes, bien plus que les hommes, sont mues par de mesquines jalousies et le désir de mesquines revanches. Parce qu'elles se complaisent dans leur pouvoir immense mais superficiel, les femmes n'ont jamais tenté de se connaître, contrairement aux hommes qui, du fait de l'adversité et de l'asservissement apparent, ont été forcées de comprendre le fonctionnement de leur cerveau et de leurs émotions.
Oscarine savait que Marien-Jahlove et Eliodore avaient la capacité de la manipuler. ils obtenaient ce qu'ils voulaient. En réalité, chaque homme recensé à Perdido obtenait ce qu'il voulait. Bien entendu, aucune femme n'aurait admis être aiguillée par son père, son frère, son époux, son fils, son cuisinier, ou par aucun homme qu'elle croisait au hasard des rues – la plupart, d'ailleurs, n'en avaient même pas conscience. Oscarine, si. Mais bien qu'elle ait conscience de sa soumission, de sa véritable impuissance, elle était incapable de se libérer des chaînes qui l'entravaient.
Qui était Eliodore Caskey ? D'où venait-il ?

* *

*



À cette lecture, sa première réaction fut un mélange d'incompréhension et de rejet.


Passablement révoltée par cette description faite par une femme, elle se demanda qui pourrait acheter un livre avec de tels personnages et un tel rabaissement injustifié envers son sexe. Ne supportant pas cette mauvaise blague, elle jeta à l'eau les restes de ce livre, espérant qu'il ne refasse jamais surface, avant de reprendre sa marche d'un pas rageur.


Si ce qui découlait de ce bref passage pouvait être retrouvé sur l'ensemble de l'histoire, avec la possibilité qu'il soit encore vendu en librairie, elle commença par se demander s'il avait du succès, avant d'espérer ne pas être la seule à ne pas aimer cet écrit.


Ses réflexions l'amenèrent à savoir si un tel passage avait sa place dans une histoire romantique ou fantastique, se demandant s'il s'agissait alors d'une simple histoire ou d'une critique déguisée.


Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que le calme lui revienne. Elle respira profondément en s'installant sur une roche, regardant l'écoulement sans fin du fleuve, et décida d'y réfléchir plus posément.


Elle en vint à se dire que, au-delà de l'insulte et de la moquerie ressentit qui lui semblait quelque peu personnel, une telle description ne ferait que diviser lectrices et lecteurs. Face à une quelconque représentation équivalente à cela, la majorité se retrancherait sur leurs opinions en rejetant l'opposition comme le dernier des virus viraux.


Lassée de tout cela, elle reprit sa marche avec désintérêt, se disant que ce morceau de livre lui aura au moins fait penser, pendant un instant bien bref, à autre chose que son quotidien, mais qu'elle aurait pu attendre de trouver une poubelle pour s'en débarrasser plutôt que de salir la nature avec alors que celle-ci n'avait rien demandé.


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