La dame de la laverie
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Au fil du linge... Quatre mots devenus familiers depuis près de deux mois et chaque fois cette même curiosité irrépressible alors que je longe la façade vitrée : qui sera assis là, face trottoir, sur l'un des trois tabourets de bar et occupé à la table haute, pendant que les autres se contenteront d'une chaise, face machines ? Je ne distingue pour l'instant que ses jambes croisées gainées de noir, ses bottines assorties et son visage partiellement dissimulé derrière un ordinateur portable. Je pousse la porte avec un sourire redoublé en constatant que les emplacements face hublots sont inoccupés. Mon regard se tourne vers elle dans un bonjour chaleureux qu'elle me rend. Nous serons donc seuls quelques temps dans cet espace, une perspective qui me réjouit. Sa parure m'apparaît maintenant clairement et complètement : une jupe crayon courte surmontée d'une veste noirs, des bas de laine aux motifs travaillés et une paire de bottines de la même couleur. Ses cheveux bruns sont attachés à l'arrière de sa tête et son cou réchauffé par un foulard sombrement décoré. Son allure un tantinet stricte et son attitude studieuse dégagent une sérénité qui m'emplit d'un calme rafraichissant. Je me dirige vers le monstre estampillé 20 kg pour y déverser mon linge, le met en route et m'assieds sur la chaise d'école qui m'offre une vue imprenable sur la seule âme qui vive en ce lieu à l'exception de la mienne.
Après quelques minutes seulement de manipulations téléphoniques et à me demander comment l'aborder, elle se lève et inspecte son portefeuille à la recherche de monnaie pour prolonger le séchage. Dos à moi, la prestance et le charme que je lui trouvais déjà assise me frappe de plus belle. Ses bas de laine m'attirent et m'inspirent. Que la silhouette d'une dame debout, perchée sur ses talons, est belle ! Elle retourne à sa place de fortune et me demande de veiller sur ses affaires le temps d'aller chercher de l'argent, ce que j'accepte évidemment. A son retour, une fois son remerciement adressé et le paiement effectué, je me saisis de mon livre, pour la forme, et me décide à l'aborder, chose bien peu habituelle de mon fait, timidité oblige. Je lui demande si elle est informaticienne, perche tendue par son équipement et ma profession. Elle me répond que non, qu'elle est formatrice en français-anglais et profite du temps d'attente pour avancer dans son travail. Quelques minutes passent puis elle engage à son tour, me demande quelle est ma profession. Nous parlons enseignement, informatique, échangeons sur notre situation commune de jeunes résidents rennais, de mon appartement, de son studio, trop petit pour y loger un lave-linge. Le vouvoiement laisse place au tutoiement, naturellement. Personne ne nous dérange, bénédiction ! Nous parlons des balades alentour et autres parcs que nous avons pu visiter.
Son séchoir s'arrête, une dernière fois. Elle en ôte son linge. Le mien s'arrête dans la foulée mais je vais devoir rester. Il va être temps de nous quitter. Le mien s'arrête dans la foulée. Nous nous souhaitons une bonne journée et un bon week-end, et moi de rajouter, dans un large sourire baigné d'espoir de la revoir :
— A bientôt peut-être !