La Dernière Danse
Essindra
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Roy se baladait dans les joyeuses rues de la grande ville. L'atmosphère était remplie de cette aura, cette aura magique que l'on ne ressentait qu'à l'approche de Noël. Une délicieuse odeur de pain d'épices flottait dans l'air et venait chatouiller ses narines. Les longues guirlandes semblaient réchauffer l'air glacial de l'hiver à leur seule lumière dorée. Les rires et les cris d'émerveillement des enfants composaient une agréable mélodie, comme un hymne au bonheur. Roy s'arrêta un instant, lui aussi, devant une des plus grandes vitrines animées de Paris. Il contempla longuement la valse de deux peluches. Il y eut un temps, dans sa vie, où il savait danser comme ça. Un temps où il était encore avec elle. Un temps où il était heureux. Il ferma les yeux, comme pour s'imprégner du bonheur des souvenirs. Une chanson s'imposa peu à peu dans son esprit. Il ne chercha pas à la repousser. Au contraire, il la laissa l'envahir et déverser les souvenirs de toute une vie… Elle… c'était sa chanson. C'était leur chanson.
« Regarde, c'est pour toi» cria la fillette en se précipitant vers lui. Elle lui passa un bracelet de fil de fer autour du poignet en riant. « Rien ne nous séparera jamais hein ? Rien ne nous séparera jamais. »
Il rouvrit les yeux, comme pour tenter d'échapper aux souvenirs qui le hantaient. Mais les flashs noirs du passé étaient beaucoup plus puissants que lui.
« Viens jouer avec moi ! » la supplia-t-il, agrippée à son bras « Allez, allez, allez, dis oui ! S'il te plaît ! »
Soudain, il l'entendit réellement. Il sursauta. Elle l'appelait. Elle était là.
Il se précipita, et sentit son esprit bourdonner. Des voix, des images. Il voyait tout flou.
Il prit sa tête entre ses mains et la secoua frénétiquement, tout en continuant de courir à l'aveuglette.
« Roy !!! » Elle fit subitement irruption dans sa chambre. Sans plus d'explications, elle se jeta à son cou. « Je t'adore ! »
Il ferma les yeux et poussa un petit cri plaintif.
Elle était recroquevillée dans son lit. Les larmes coulaient, coulaient, coulaient et elles semblaient bien ne jamais devoir s'arrêter. « Je suis désolée… J'ai peur. J'ai peur, qu'est-ce qui va se passer ? »
La voix s'était tue. Il ouvrit péniblement les yeux. Cette place... Il la connaissait par cœur.
« J'ai peur…. Qu'est-ce qui va se passer ? » Souffla une voix en écho.
C'était ici, qu'ils avaient appris à danser. Il crut apercevoir l'image de deux silhouettes virevolter devant lui. Il suivait leurs gracieux mouvements du regard et les vit tourbilloner jusqu'au centre de la place où un souffle de vent les fit disparaître.
Elle était là. Réellement. Comme chaque année. Debout devant le grand sapin, qui lui imposait un silence admiratif. Toujours aussi resplendissante. Vêtue simplement d'une petite robe noire cachée par son épaisse doudoune. Il s'approcha silencieusement. Cette femme avait toujours était son soleil. Si rayonnante de bonheur. Il s'arrêta à quelques centimètres devant elle et caressa doucement sa joue. Son visage était joliment encadré par ses boucles brunes, qui retombaient en cascade sur ses frêles épaules. Elle ne portait aucun maquillage. À part ce soir, quelques petites paillettes dorées étaient venues couvrir ses paupières. Ses grands yeux bleus n'en paraissaient qu'encore plus pétillants. Elle esquissa enfin un sourire. Son étoile, au cœur de Noël, semblait briller de tous ses feux.
Elle leva sa main tremblante et la posa sur sa joue, à l'endroit exact où il avait la sienne.
-Roy... Chuchota-t-elle si bas qu'il l'entendit à peine.
Ses yeux couleur saphir devinrent humides et les petites perles d'eau ne tardèrent pas à couler le long de son visage. Il les sentit glisser entre ses doigts. Ses larmes avaient emporté quelques paillettes. Elle semblait pleurer de la poussière d'étoiles. Il essaya en vain de les sécher.
-Je suis désolée. Je sais qu'il est trop tard et que les excuses ne changent rien... Continua-t-elle, le regard à la fois fixe et perdu dans le vide.
Elle titubait, les bras ballants, les yeux écarquillés par l'horreur. Sa peau et ses vêtements étaient maculés de sang. Elle voulut reculer mais elle trébucha et tomba en arrière. Elle regarda tout autour d'elle, complètement perdue. Elle baissa les yeux vers le sol et y ramassa un éclat de miroir qu'elle porta devant elle. Elle poussa immédiatement un hurlement en le jetant au loin. Il rebondit et alla se cogner contre le petit corps sans vie qui gisait sur le sol.
Il aurait voulu lui dire. Lui dire que ce n'était pas sa faute, qu'il ne lui en voulait pas, qu'il fallait qu'elle continue. Lui dire qu'elle devait être heureuse.
-Je suis fatiguée... Si fatiguée... Souffla-t-elle en grelottant, emmène-moi, s'il te plaît. Emmène-moi avec toi.
Elle tendit les bras en avant. Le regard plein d'un mélange d'espoir mélancolique. Ses bras lui passèrent au travers, mais rien ne le transperça plus que ce regard. Sa sœur avait l'air tellement fragile. Il avait vu sa petite fleur se flétrir, d'année en année, rongée par le chagrin et les remords.
Elle s'effondra en pleurs dans la neige, au pied du grand sapin. Il se précipita mais ne put la rattraper. Ni même la relever. Alors il s'agenouilla à ses côtés, et la prit dans ses bras. La serra tout contre ce qui restait de son cœur, comme il le faisait autrefois.
« Non… Je vous en supplie…Non…. » Elle continuait de répéter ses prières inutiles tout en berçant contre son cœur le corps sans vie.
Déjà, il sentait qu'il disparaissait. C'était la fin de la faveur qui lui avait été accordée. Il s'accrocha désespérément à sa petite sœur. Les ténèbres l'aspiraient petit à petit. Pour toujours cette fois.
Elle déposa tendrement un baiser sur le front de son frère.
Roy eut juste le temps d'arracher le cristal qui lui servait de cœur et le poser dans la main de sa sœur. Ce geste stoppa net le rappel des Enfers. Mais il savait que maintenant, son âme ne serait plus libre. Tout ce qui restait de lui allait être enfermé dans le petit joyau.
« Je suis désolée… Je ne maîtrisais rien ! Ils m'ont eue… Ils m'ont eue comme une idiote Roy… Tu avais raison… » Elle éclata en sanglots et articula avec peine : « Je… je ne voulais pas… je ne voulais pas te tuer… »
Roy apparut, en chair et en os, durant une fraction de seconde. Ils se fixèrent, droit dans les yeux à la fois effrayés et émerveillés. Puis il s'avança, la prit doucement dans ses bras et déposa le plus délicatement du monde, un baiser sur le front de sa sœur.
Il l'aider à se relever et ensemble, ils se lancèrent de toute leur âme, dans ce qu'ils savaient leur dernière danse.
Les parfums, les chants, les lumières parurent doubler d'intensité, rien que pour réchauffer leurs âmes gelées et leur apporter un bonheur qui avait disparu depuis longtemps.
Mais le fantôme commença à se désintégrer, comme de la poussière emportée par un souffle de vent. Il lui souriait tristement.
-Non ne pars pas ! Je vais te perdre encore une fois. Reste ! Je t'en prie reste, supplia-t-elle en serrant le cristal qui devenait de plus en plus terne.
Elle tenta en vain de retenir l'image de brume, mais la poussière filait entre ses doigts.
-Roy… ! Gémit-elle, dans un ultime cri de désespoir.
Les derniers restent de son fantôme se dissipèrent dans la nuit. Elle se retrouva seule, agenouillée dans la neige, serrant le cristal. Les yeux pleins de larmes, le cœur immensément vide.
Il lui sembla entendre leur chanson au loin.
L'atmosphère était emplie d'une aura de tristesse infinie. Cette aura douloureuse et insupportable, cette aura de remords qui venait l'imprégner chaque année.
Rien ne nous séparera jamais hein ? Viens jouer avec moi ! Je t'adore ! J'ai peur, qu'est-ce qui va se passer ? Non… Je vous en supplie… Je ne voulais pas te tuer…
Reste, je t'en prie reste ! Roy… !