La distorsion du son Clerck
Boris Krywicki
Loin des yeux, le cinéma des premiers temps. Loin du cœur, les films muets dont les cartons assuraient la narration. Aujourd'hui, le spectateur s'attend à en prendre plein les oreilles. Une bonne partie des émotions ressenties devant un long-métrage incombe à ses ambiances sonores, aux chevrotements que l'on saisit dans la voix des interprètes. Sans la montagne de travail gravie par d'ingénieux experts, le Dolby 5.1 n'en mènerait pas large.
Les hauteurs de Liège, en Belgique, abritent un héros du cinéma. Sans son talent, Schoenaerts serait muet comme une carpe dans Rundskop. Benoit De Clerck est ingénieur du son. Un métier méconnu sans lequel le septième art battrait son creux. « On a une vraie responsabilité, parfois on sauve un film », explique-t-il. « Je me rappelle de l'incompréhension de ce vieux comédien français en chaise roulante. Je lui place un micro-cravate, comme de coutume, et il n'en comprend pas l'utilité car n'a aucune ligne de dialogue. » Même les gens de cinéma ne saisissent pas le rôle de l'ingénieur du son. Malheureusement, entre le tournage et la sortie du film, l'acteur passe l'arme à gauche. « J'avais enregistré ses respirations que j'ai pu ajouter en post-synchro, il était encore un peu présent grâce à cela. »
Finalement, agencer ce que le spectateur entendra requiert une sensibilité artistique. En France et en Belgique, on conserve un amour du son direct, une volonté de réalisme pas toujours simple à transposer. « Surtout avec les frères Dardenne », renchérit Benoit De Clerck, qui bosse avec eux depuis Rosetta. Habiter Liège devient un avantage lorsqu'on œuvre avec le célèbre duo de réalisateurs. Cela permet d'aller récupérer des sons supplémentaires lorsque Jean-Pierre et Luc le suggèrent. « Ils sont très exigeants, c'est enrichissant. Quand on recherche un son authentique, c'est important d'aller chercher tout l'écosystème du jeu du comédien, pas juste sa réplique. » Beaucoup se contentent pourtant du minimum syndical. Les choix de l'ingénieur du son, son emploi ou non de certains détails, créent une alchimie auditive singulière. « Parfois on doit se battre pour imposer notre vision. Malgré le forcing, il y a des projets où ça demeure impossible. Alors, on met l'exigence sonore au placard, on devient davantage exécutant. » Benoît De Clerck habite Liège, loin de la capitale, ce qui peut compliquer les choses. « C'est un choix de vie ». Il vit rue du Géron, où il occupe trois maisons mitoyennes qu'il retape. « Quand une production vient à moi, je me déplace et ça ne pose pas de problèmes. » Son édifiante filmographie (Mobile Home, les films de Lafosse, Le gamin au vélo…) lui offre une popularité flamboyante.
Double casquette pour Benoît De Clerck : il assure aussi le montage sonore de certaines œuvres. Il peut s'agir d'enrichir les dialogues, les ambiances, les bruitages. Sur de gros projets, on compte un responsable différent pour chacune de ces catégories. Un ouvrage méticuleux sur l'enclume de la patience. « Je me suis occupé de Post-partum, un film où une jeune mère endure mal le baby blues et pète les plombs », raconte-t-il. « Ça implique d'affiner à longueur de journée l'équilibre entre des pleurs d'enfant et des cris d'hystérie ». Parfois, ce genre de curiosités interpelle des auditeurs impromptus : « La police a fini par débarquer chez moi, alertée par le voisinage ! J'ai dû leur montrer des rushes pour les convaincre que je ne battais pas ma femme et mon fils. » Pour une fois que son labeur ne tombe pas dans l'oreille d'un public sourd...