La famille hantée

khole

Réflexions sur les secrets de famille et les cadavres qu'ils engendrent.

La famille.


On ne la choisit pas. C'est un peu comme une maison hantée dans laquelle on vit, essayant d'avancer péniblement entre ses spectres et ses cadavres planqués dans les murs et les placards.


Ça parle pour ne pas laisser les cris s'entendre et ça sourit pour ne pas montrer qu'on grince des dents. Mais lorsque les lumières s'éteignent et que les murmures se font entendre du haut de l'escalier, alors les spectres ressurgissent : rancœurs, cachotteries, mensonges...


Et l'enfant que l'on est, planqué à écouter les grands, se nourrit de ces guerres intestines jusqu'à s'en tordre lui même les boyaux. Mais ne pas en parler surtout. Ça pourrait briser le semblant de famille.


Que sait on réellement du passé de nos parents ? De ce qu'ils ont pu faire ou ne pas faire ? Le soir avant de dormir l'un vous conte une histoire et le lendemain l'autre vous en conte une bien différente. Les versions s'entrechoquent et nous paument un peu plus chaque jour.


On voit le soleil au dehors de la porte d'entrée. Mais comme le suggère si bien son nom, c'est une porte qui nous fait entrer mais ne nous laisse pas toujours sortir.


L'issue de secours, elle nous fait passer par tous les pans de la maison où les démons se cachent. Affronter la noirceur de ses aïeux et les répercussions qu'elles peuvent avoir sur nous. Affronter notre propre noirceur également. Digérer et accepter que nous sommes aussi mauvais que nos aînés et que nous engendrerons à notre tour de nouveaux spectres, de nouveaux monstres, de nouveaux cadavres.


Je les entend gratter le soir venu, lorsqu'il n'y a plus rien à penser. Ceux de mon passé je les vois, effrayants, suintant la pestilence du remord et exaltant la puanteur du regret. Mais les autres ? Ceux qu'on ne fait que deviner, parce que les grands ont cru, naïfs, qu'ils seraient les seuls à les subir et que leur engeance en serait soulagée ? Ceux qui datent d'avant notre existence, mais que l'on ressent en nous, sans nous l'expliquer ?


Mes parents sont des gens bien. Enfin je crois. Mais alors pourquoi tant de bave au coin de leurs lèvres qu'ils espèrent douces et mielleuses ? Et quelque fois, cela sort. Le spectre s'empare des cœurs des vivants. Et les phrases sont envoyées telles des piques empoisonnées : si la douleur sur le coup est forte, le poison qu'elles distillent, lui, va s'immiscer dans votre cœur et dans votre chair.


Et là, face à cela, que faire ? Si on en croit les histoires de maison hantée, trois options se présentent :


- La fuite : on court à toutes jambes, de préférence en hurlant et en secouant les bras (histoire d'ajouter un peu de pathos supplémentaires). Mais gare au retour de bâton. De par la violence de la fuite, on peut même créer de nouveaux spectres dans la maison que l'on quitte... Et on ne quitte jamais une maison hantée sans emporter dans son cœur quelques spectres qui sauront se faire discrets, juste le temps pour nous de nous sentir soulagés. Mais ils sont là.


- les œillères : on choisit de rester dans la maison, après tout ces fantômes, avec le temps, on s'y fait. Pis y a peut-être un gentil Casper au milieu de la smala qui saura nous sauver un jour ou l'autre... Peut-être... Ah mais merde c'est vrai, j'avais oublié que le salut ne viendra jamais de l'extérieur.


- l'affrontement : on sort l'artillerie lourde et on fonce dans le tas. On bute l'un après l'autre toutes ces saloperies. Oui, mais à condition de ne pas tomber au combat. A condition de ne pas se faire leurrer. A condition que la famille nous désigne sincèrement tous les endroits où les traquer. A condition d'être suffisamment armé face à tous ces ténèbres. Ça fait beaucoup de conditions.


Alors je me pose la question : dans cette maison hantée d'amours et de haines, où les recoins sont tellement nombreux que chacun peut abriter un monstre, où chaque membre de la famille, tels des pièces où les draps recouvrent les meubles, tente par tous les moyens de cacher ce qui lui fait honte, ou ce qui lui fait mal, se levant chaque matin avec la sensation qu'aujourd'hui peut-être ses fantômes viendront l'achever au grand jour... Comment tirer mon épingle du jeu ? Comment faire pour enfin connaître ce à quoi je suis confronté ?


Les enjeux sont lourds et dérisoires à la fois, et seule notre propre foi en ce que nous valons vaut quelque chose face à tant de mystères. Mais si je viens du brouillard, que j'avance dans la brume et que je me destine à en sortir... Comment savoir où aller ?


Et si d'aventure je croise une bonne âme sur mon chemin... Lui dirai-je d'où je viens, les trops et les vides qui me hantent ? Assumerai-je mes spectres ou le démon qui vit en moi ?


Ou alors est-ce que je cacherai tout cela dans notre nouvelle maison, sous un lit ou dans un placard...? Après tout, ce sont les miens pas vrai ? Aucune raison que mes descendants ne les entendent gratter dans les murs...

  • Quelle réflexion !
    Petit coup de cœur pour cette formule : "...dans cette maison hantée d'amours et de haines"
    Merci.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Black

    le-droit-dhauteur

    • Merci de m'avoir lue, et heureuse que la formule ait plu à l'un de nos grands maitres de l'expression, poignante ou improbable ;)

      · Il y a plus de 7 ans ·
       20170609 205026

      khole

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