La Faute à la vie - Chapitre Dix-Huit
Julie Vautier
Il avait l'air bien en sortant de l'hôpital. Il me souriait. Il a même plaisanté. Je ne l'avais jamais entendu plaisanté. Ça m'a fait tout drôle. Je crois qu'il voulait faire bonne figure. Parce qu'il savait ce qui allait arriver. Il savait par quoi il allait devoir passer. Et ça lui foutait la trouille. Alors, il essayait de déconner avec moi pour ne pas y penser. Alors, j'ai répondu à ses déconnades pour l'aider à ne pas y penser.
Nous sommes arrivés à l'appart vers midi. Nous avons déjeuné tranquillement. J'ai allumé la télévision. J'ai zappé pour trouver une émission stupide. Ça a fait rire Killian. Ça l'a un peu détendu. Nous avons mangé de la tarte aux mirabelles. Killian n'avait jamais mangé de mirabelles. Il a bien aimé. Même s'il préférait quand même les pêches.
Nous avons débarrassé la table. L'instant se rapprochait. Inexorablement. Killian le sentait. Je le sentais. Les plaisanteries se sont fait rares pendant la vaisselle avant de complètement disparaître. Nous avons rangé les assiettes et les couverts. Nous nous sommes regardés. Nous nous sommes compris.
Nous nous sommes dirigés devant la porte des toilettes. J'avais retiré tout ce qui s'y trouvait et y avais mis quelques provisions et un peu d'eau. Pas de coke. Evidemment. Killian a longuement observé la petite pièce. Il était mort de peur. Il était mort de peur mais il était déterminé.
- Je ne bougerai pas d'ici, ai-je dit pour le rassurer. Je resterai derrière la porte. On pourra se parler.
Killian n'a pas répondu. J'ai posé mes mains sur ses épaules.
- On va y arriver, ensemble.
- Et si je craque ?
- Je ne te laisserai pas sortir avant d'être sûr que tu es clean.
Il a hoché la tête. Il est rentré dans les toilettes. Il s'est assis à même le sol. Les coudes sur les genoux. Je lui ai demandé s'il voulait un dernier rail. Il m'a dit de tout balancer tout l'évier. Absolument tout.
- Ok, on peut y aller, a-t-il ajouté.
J'ai commencé à refermer la porte. Je me suis interrompu.
- Attends, j'ai quelque chose pour toi.
Je me suis rendu dans ma chambre et en suis revenu avec une photo. Celle que je gardais toujours dans le tiroir de ma table de chevet. Celle qui me redonnait le sourire quand j'allais mal. Celle qui allait aider Killian. Je lui ai tendu la photo. Il a souri en reconnaissant Cassie. J'ai aimé ce sourire. Un sourire amoureux.
- Elle venait de fêter ses dix-huit ans, ai-je dit.
Killian m'a remercié. Il l'a longuement contemplée. Il avait déjà moins peur.
- Tu es prêt ?
Il a acquiescé. J'ai fermé la porte. Puis, j'ai fermé à double-tour. J'ai posé la clé près de moi. J'ai ensuite attrapé mon téléphone. Mon patron a répondu au bout de deux sonneries. Il m'a demandé comment j'allais. J'ai dit que j'allais bien. Puis, il a demandé des nouvelles de Killian.
- C'est à son sujet que je vous appelle.
- Il y a un problème avec Killian ?
- Non mais il démarre son sevrage aujourd'hui. Je dois rester près de lui.
Maître Gregson s'est montré très compréhensif. Il m'a accordé quatre jours de congé. Il a aussi ajouté que cela ne devait pas se reproduire. Que c'était exceptionnel. Je l'ai remercié. J'ai raccroché. Je suis retourné près des toilettes.
- Je suis là, Killian. Je suis là.
Il n'a rien dit. Comme d'habitude. Mais il savait qu'il pouvait compter sur moi. C'était le plus important. Je me suis assis contre la porte des toilettes. J'ai repensé au Killian des débuts. A ce petit con insolent qui sniffait ses rails devant moi. Les prochains jours allaient être très difficiles mais il allait s'en sortir. Ce gosse allait s'en sortir.
Une petite voix m'a appelé de l'autre côté de la porte.
- Qu'y a-t-il ?
- Quand est-ce que tu as su pour Cassie ?
- Quand est-ce que j'ai su qu'elle se droguait, tu veux dire ?
J'ai réfléchi quelques secondes. Puis, je m'en suis souvenu.
- C'était en début d'année. Cassie m'avait appelé pour me dire qu'elle restait dormir chez une copine. Ruth Sanders. Sa copine s'appelait Ruth Sanders. C'était sa meilleure amie. Elles devaient réviser pour leurs examens. Le lendemain matin, j'ai appelé la mère de Ruth pour la remercier d'avoir accueilli ma fille. Madame Sanders ne voyait pas de quoi je parlais. Ruth non plus d'ailleurs. Cassie est rentré deux heures plus tard. Je lui ai demandé comment s'était passée la soirée chez Ruth. « Très bien » m'a-t-elle dit. « Sa maman te passe le bonjour. »
J'ai laissé passer un silence en repensant à cette journée.
- C'était la première fois qu'elle me mentait. Ça m'a suffi pour savoir qu'elle me cachait quelque chose. Je n'ai pas mis longtemps à trouver quoi.
J'ai soupiré.
- Ma fille ne me regardait plus dans les yeux quand elle me parlait. Elle fuyait mon regard. Un jour, je l'ai forcée à me regarder dans les yeux. Elle avait les pupilles dilatées.
- Les yeux sont le miroir de l'âme, a philosophiquement répondu Killian, et les pires balances qui soient.
- Comme tu dis.
J'ai croisé mes jambes en tailleur. J'ai appuyé ma tête contre la porte.
- Pete, je peux t'avouer un truc ?
- Fais donc, je suis tout ouï.
- Le soir où elle t'a menti, elle était avec moi.
J'ai souri. Je m'en doutais. J'en avais la confirmation.
- On était sur le promontoire.
Cassie parlait souvent du promontoire dans son journal.
- C'était notre endroit. On y allait tout le temps. Tu te souviens de la photo que je t'avais envoyée ?
J'ai cherché la photo sur mon téléphone. Je l'ai regardée.
- Ça a l'air d'être un endroit sympa.
- Cassie adorait cet endroit.
Je n'ai pas eu de mal à imaginer ma fille dans cet écrin de verdure et de roche.
- La vue est vraiment superbe.
On voyait toute la ville. J'avoue, j'ai cherché mon immeuble. Les gosses font ça sur Google Maps. Ils cherchent leur maison, leur collège, leur boulangerie. Je n'ai pas pu m'empêcher de le faire moi aussi. Mais je ne l'ai pas trouvé.
- Tu m'y emmèneras un jour ?
J'ai attendu une réponse. Elle n'est jamais venue.
- Killian ?
J'ai froncé les sourcils. Killian ne répondait pas. Et ce n'était pas son « Je ne réponds pas » habituel.
- Killian, est-ce que ça va ? Killian, réponds-moi !
J'ai collé mon oreille à la porte. J'ai fini par entendre la respiration haletante de Killian.
- Killian, dis-moi quelque chose, n'importe où !
- Je pensais pas que je crèverais dans des chiottes.
Le ton de sa voix se voulait décontracté. Il ne l'était absolument pas. Il était en manque. Le sevrage avait commencé.