La Faute à la vie - Chapitre Neuf

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

 -          Tu pourrais t'occuper de ce cas ?

J'ai levé les yeux vers Lewis. J'ai observé le dossier qu'il me tendait. J'en avais marre. Vraiment. J'en avais vraiment ras le bol.

-          Va te faire foutre, Lewis.

Lewis a ouvert la bouche pour répondre. Il l'a ensuite refermée. Puis, il est parti avec son dossier. Je crois qu'il est parti embêter quelqu'un d'autre. J'avais assez donné. Je voulais juste faire mon boulot.

Mon patron est passé dans l'après-midi. Il avait oublié un dossier important. Quelque chose du genre. Il est venu me voir avant de repartir pour le tribunal. Il m'a adressé un grand sourire. Je n'y ai pas répondu. C'était pas le jour.

-          Bonjour, maître Bailey. Comment va notre petit protégé ?

Killian. Il parlait de Killian. Que devais-je répondre ? « Je n'en sais rien, je l'ai foutu à la porte » ? « Il est peut-être mort d'overdose, mais ce ne sont plus mes affaires » ? « C'est à cause de ce gamin que ma fille est morte alors son état de santé me préoccupe assez peu » ?

-          Bien, merci de vous en inquiéter.

Maître Gregson est reparti, satisfait de ma réponse. Je l'étais beaucoup moins. J'avais désespérément envie de coller Killian au mur et de l'y laisser pour le restant de ses jours. C'est vrai. Mais je voulais aussi savoir s'il allait bien. Je connaissais trop bien la souffrance des jeunes toxicos. J'avais vu ma fille souffrir. Je l'avais vu, lui, souffrir. J'espérais qu'il allait bien. Sincèrement.

J'ai bossé jusque tard dans la soirée. Pour oublier. Pour ne pas avoir à rentrer à la maison. Pour ne plus retrouver cette solitude que je croyais connaître par cœur. Pour ne pas avoir à penser à ce que j'avais fait. Ce gosse avait besoin d'aide. Je l'avais mis dehors. Je lui avais volé sa seule chance de s'en sortir. En même temps, il est le responsable de la mort de ma fille. Je ne pouvais pas m'en vouloir d'avoir agi ainsi. Pas totalement. J'ai agi pour me protéger.

Un café fumant est entré dans mon champ de vision. Mon nom inscrit dessus. J'ai levé les yeux.

-          Tu n'es pas censé avoir du boulot ?

Marty a ri.

-          J'ai pris ma journée.

-          Moi non et j'ai du boulot, alors…

Mon frère s'est assis devant mon bureau. J'ai soupiré.

-          Marty, s'il te plaît. J'ai tous ces dossiers à gérer et je dois partir pour le commissariat dans à peine une heure. S'il te plaît.

-          Tu veux pas plutôt me dire ce qui te tracasse ?

-          De quoi tu parles ?

-          Ça fait une semaine que tu n'as pas donné signe de vie.

J'ai ouvert un dossier sans grande conviction.

-          Peter.

J'ai tressailli. Personne ne m'appelait « Peter ». J'ai fixé Marty. Jamais il n'avait eu l'air aussi sérieux.

-          Parle-moi.

J'ai repoussé mon dossier. J'ai bu une gorgée de café. Mon préféré. Marty me connaissait par cœur.

-          J'ai mis Killian à la porte.

Marty a failli s'étouffer.

-          Tu as fait quoi ? Pourquoi ?!

-          C'est à cause de lui que Cassie est morte.

-          Qu'est-ce que tu racontes ?

-          C'est à cause de lui qu'elle a commencé la drogue.

Marty s'est reculé dans son siège. Sans me quitter du regard. Puis, il a regardé mes dossiers. J'ai bu une autre gorgée. J'ai tenté de me remettre au boulot. Marty ne disait rien. Mais je sentais sa désapprobation planer au-dessus de moi. Au bout de deux longues minutes, j'ai craqué.

-          Merde, Marty, parle ! Engueule-moi, je sais pas, mais parle !

Mon frère m'a fixé.

-          Trois personnes sont responsables de la mort de Cassie. Lui, elle et toi.

-          Moi… ?

-          Parce que tu n'as pas réussi à la sauver.

J'étais estomaqué.

-          Comment peux-tu dire une chose pareille… ?

-          Je t'en prie, Pete ! C'est à cause de cette culpabilité que tu n'arrives pas à refaire ta vie !

Je me suis levé. J'avais besoin de m'éloigner de Marty. Lui n'en avait visiblement pas fini avec moi. Il a attrapé mon bras. Je me suis débattu. Mais Marty a toujours été plus fort que moi. J'ai fini par cesser de résister.

-          Qu'est-ce que tu veux que je fasse, hein ?! ai-je fini par dire.

-          Je veux que tu ailles de l'avant !

-          Et comment ?!

-          En allant chercher Killian.

J'ai eu un sourire amer.

-          Je croyais que je le faisais pour les mauvaises raisons.

-          Putain, Pete. Tu réfléchis à l'envers.

Je suis allé me rassoir. Marty a fait de même.

-          Quand tu cherches à entretenir le souvenir de Cassie en accueillant Killian, tu le fais pour les mauvaises raisons. Quand tu veux aider un gosse à se sortir de la merde dans laquelle il s'est fourré, tu le fais pour les bonnes raisons.

-          Et ça, c'est censé me faire aller de l'avant ?

-          En l'aidant, c'est toi que tu aides.

-          C'est une belle phrase qui ne veut rien dire.

-          Je sais que tu comprends ce que je veux dire.

Marty s'est levé de son siège. Il est resté quelques secondes ainsi. Je ne l'ai pas regardé. Je voulais qu'il parte. Qu'il me laisse tranquille. Parce que je savais qu'il avait raison. Et ça me faisait chier.

-          J'espère que tu sais quoi faire, a-t-il dit avant de partir.

Maintenant, oui. J'ai appelé le commissaire Perez. Lui pourrait m'aider. Il était étonné de mon appel.

-          Maître Bailey ? Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

-          J'ai besoin d'un tuyau, commissaire.

-          Je vous écoute.

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