La Faute à la vie - Chapitre Onze
Julie Vautier
La vie peut être ironique quand elle s'y met. Il y a deux ans, je te perdais à cause d'une overdose. A cause de moi. Aujourd'hui, je vis chez ton père. Pour ne pas mourir d'une overdose. En même temps, j'aurais jamais pu le deviner. Maître Samaritain a rangé toutes ses photos de toi. Il ne parle jamais de toi. J'aurais jamais pu deviner.
Je crois qu'il m'en veut encore. Je crois qu'il m'en voudra toujours. Il t'adorait. C'est évident. Il ne parle jamais de toi pour ne pas pleurer. Un jour, je lui demanderai les albums de famille. Pour voir ta bouille de bébé. Ça doit te faire marrer de lire ça de moi. Que veux-tu. Je suis du genre sentimental quand je m'y mets.
Tu sais, Cassie, je t'ai aimée. Il y avait eu des filles avant toi, mais il n'y avait jamais rien eu avant toi. J'ai pas compris ce qu'il m'arrivait quand c'est arrivé. Les sentiments. Je comprenais pas. J'en avais jamais eu. Pas pour une fille en tous cas. Il n'y en avait jamais eu avant toi. Il n'y en aura plus jamais après toi. Je pense encore trop à toi. Tout le temps. J'aimerais parler de toi à maître Samaritain. Mais je veux pas. Pas encore.
Il veut m'aider. Je veux qu'il m'aide. Je veux vraiment qu'il m'aide. Mais je suis pas assez fort pour ça. Je sais que j'y arriverai pas. Il veut prendre rendez-vous chez un spécialiste. Je crois pas que j'irai. Je sais pourquoi je fais ça. Pour oublier ce que je t'ai fait. C'est pas d'un spécialiste dont j'ai besoin. C'est d'une machine à remonter le temps. Pour t'empêcher d'essayer cette merde.
Je me souviens bien du jour de ta mort. C'était un mardi. C'était un mardi parce qu'il y avait cette promo chez l'épicier. Les Mardis Fous, ça s'appelait. C'est un détail à la con, je sais. Je me souviens aussi qu'on s'était donnés rendez-vous. Je t'ai attendue longtemps. Deux heures et demi je crois. Peut-être plus. Je n'en sais rien. J'avais pas de montre ce jour-là. J'en ai toujours pas, d'ailleurs. Pas assez de fric pour en acheter une.
C'est Ted qui m'a dit. Qui m'a annoncé ta mort. C'était Ted. Il osait pas me le dire. J'avais dû lui coller une beigne de l'enfer pour qu'il crache le morceau. Je me souviens pas des mots qu'il a employés. Mais je me souviens de l'état dans lequel j'étais. Effondré. J'étais effondré. J'étais effondré parce que tu étais morte. Mais, surtout, j'étais effondré parce que c'était de ma faute. Parce que j'avais pas réussi à te faire arrêter cette merde alors que je savais que tu valais mieux que ça.
Il se passe pas un jour sans que j'y pense. Et maintenant que j'habite avec ton père, c'est pire. Ça me revient dans la gueule à chaque fois que je croise son regard. Je sais qu'il m'en veut. Il ferme la porte de ta chambre à clé. Pour pas que j'y entre. Il a pas confiance en moi. Il a raison. J'ai pas confiance en moi non plus. Toi, t'avais confiance en moi. Et c'est ce qui t'a tuée. Personne ne devrait avoir confiance en moi.