La Faute à la vie - Chapitre Sept

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

J'y suis retourné aujourd'hui. Tu m'avais fait promettre de ne plus y aller. Je te l'avais promis. Je sais. Mais je peux pas m'en empêcher. J'aime trop cet endroit pour ne plus y aller. Je l'aime parce que tu l'as aimé. Profondément. Intensément. Je l'aime comme je t'ai aimée, toi. Et je continue à y aller parce que j'accepte toujours pas que tu sois plus là. Il paraît que le temps finit par panser les blessures. Conneries. Il panse rien du tout. Il détruit. A petit feu.

Maître Samaritain est persuadé que j'ai été acheter de la coke. C'est moi qui lui ai dit ça. Il m'a cru. Je crois. Après tout, je suis qu'un pauvre toxico. Je sais rien faire d'autre qu'acheter de la drogue et la sniffer au pied de mon lit. Je crois qu'il m'a cru. Je voulais pas qu'il sache où j'étais vraiment. Il pense pouvoir me comprendre. Quel con. Je le laisse croire. Ça lui fait plaisir. Mais il saura jamais où j'étais. Ça, il saura jamais.

Je me suis assis au bord du vide. Comme on le faisait à l'époque. Tu me disais toujours de faire attention. Tu m'engueulais parce que je jouais au con. En vrai, j'essayais de faire attention. Pour toi. Pour nous. Aujourd'hui, je sais pas si j'ai encore envie de faire attention. J'ai pas envie de crever, non plus. Pas comme ça en tout cas. J'aurais trop peur de me rater et de finir dans un fauteuil. Je fais attention du coup.

J'ai regardé la ville. J'avoue, j'ai pris ma dose en regardant la ville. Tu m'engueulais toujours parce que j'amenais mes doses. Toi, tu avais le tact de pas les prendre ici. Ça me faisait marrer. J'aimais te voir énervée. Agacée. Tu étais belle quand tu étais agacée. Tu n'aimais pas que je te le dise. Ça faisait trop comédie romantique. Ça ressemblait à une belle phrase à la con que Hugh Grant aurait pu dire.

C'est fou comme le monde change. La ville change. Des immeubles se construisent. Des baraques sont détruites. Les enfants grandissent. J'ai jamais su où tu habitais. Je peux même pas te dire si chez-toi, ça existe encore. J'espère que oui. J'espère que je saurai un jour où tu vivais. Au final, on se connaissait pas tant que ça.

Tu sais, les questions que les couples se posent pour mieux se connaître ? On les a jamais posées. Ta couleur préférée. Ton animal préféré. Ton acteur préféré. J'ai jamais su. Toi non plus. Je savais pas non plus ton signe astrologique ou le dernier bouquin que tu avais lu. Je savais juste que tu étais belle quand tu étais agacée. Je savais que tu aimais regarder la ville du haut de notre promontoire. Je savais que tu m'aimais. Je savais que tu aimais la vie. Moi, je l'aimais beaucoup moins. Et je t'ai entraînée dans mes conneries.

J'aimerais bien savoir où tu habites maintenant. A l'époque, Ted m'avait dit que tes parents étaient friqués. Que tu avais eu un bel enterrement. J'aurais bien aimé être là. Mais avoue que j'aurais fait tâche. Le junkie au milieu des billets verts. Ça aurait fait tâche dans le décor. Mais bon. Aujourd'hui, le monde a changé. Il y a peut-être moyen pour que je vienne te voir.

Je pourrais t'amener des fleurs. Je sais pas quelles fleurs tu préférais. Ça a sans doute aucune importance. Je cueillerai trois fleurs. Une pour chaque mois où tu as été à moi. Puis, j'en cueillerai vingt-quatre. Une pour chaque mois que j'ai dû vivre sans toi.

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