La Faute à la vie - Chapitre Six

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

Marty m'a proposé une deuxième part de tarte. Les belles fraises rouges m'ont fait envie. J'ai accepté la part. Tout en mangeant, j'ai observé le visage de mon frère. Je venais de lui raconter toute l'histoire. Il était perplexe. Il ne savait pas quoi dire. Pour une fois.

-          Tu veux dire que ce gosse vit chez toi ?

J'ai acquiescé, la bouche pleine. Marty s'est resservi un verre de vin, pensif.

-          Est-ce que tu as fait ça par rapport à… ?

J'ai haussé les épaules.

-          Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, a-t-il fini par dire.

-          Tu ne dirais pas ça si tu l'avais vu comme je l'ai vu, Marty. Il faisait peur à voir.

Marty a bu son verre de vin.

-          Ce n'est pas une bonne idée, et tu ne le fais pas pour les bonnes raisons.

-          Tu dis n'importe quoi ! Tu ne sais pas de quoi tu parles !

-          Pete, reconnais-le : tu ne le fais pas par charité !

-          JE VEUX AIDER CE GAMIN ! ai-je explosé.

Mon frère s'est tu un instant avant de reprendre.

-          Elle est morte, Pete. Tu ne la feras pas revenir en aidant un toxico. Il faut que tu ailles de l'avant.

-          C'est facile à dire pour toi.

-          Tu devrais faire comme Lily.

J'ai souri amèrement en pensant à mon ex-femme.

-          Consulter un psy et me le taper ensuite ? Non merci. Je ne mange pas de ce pain-là.

-          N'empêche qu'elle va mieux depuis.

-          Marty, j'ai enterré ma fille, pas mon hamster. Je ne pourrai jamais aller mieux.

Mon portable a sonné. J'ai quitté la table et mes miettes de tarte pour répondre. Je ne connaissais pas le numéro. J'ai décroché.

-          Ouais, c'est moi.

J'ai reconnu la voix de Killian.

-          Je peux savoir où tu es ?

-          En bas de l'immeuble, je me rappelle plus de l'étage.

-          Reste où tu es, je viens te chercher.

J'ai raccroché. Je sentais le regard de Marty dans mon dos. Je me suis retourné pour lui faire face. Il n'y avait pas de réprobation dans ses yeux.

-          J'espère que tu sais ce que tu fais, Pete.

Je n'ai pas répondu. Parce que je ne savais pas quoi répondre. Je l'espérais moi aussi. J'espérais vraiment que je saurais aider ce pauvre gosse. Vu que je n'avais pas réussi à aider la mienne. J'ai laissé Marty seul à l'appart le temps d'aller chercher Killian. Il avait raison. Je le savais. Je ne faisais pas ça par bonté d'âme. Je le savais depuis le début.

Killian était adossé à un mur quand je l'ai retrouvé.

-          Où est-ce que tu étais ?

-          J'ai été visiter le musée. Très chouettes les reproductions de la Guerre de Sécession.

J'ai détesté l'ironie de sa voix. Je l'ai violemment attrapé par le bras, excédé.

-          Tu arrêtes immédiatement ce petit jeu, ai-je dit, et tu me dis où tu étais.

-          Lâche-moi, putain !

Je n'ai pas lâché. J'en avais déjà marre de son comportement.

-          Tu étais où ?

-          Fous-moi la paix !

-          Tu étais où ?!

-          J'ai acheté ma dose, ça te va comme réponse ?!

Je l'ai lâché. On dira que oui, pour cette fois. Nous nous sommes toisés un moment. J'ai failli m'excuser. J'ai ravalé mes excuses. J'ai ouvert la porte de l'immeuble et je me suis rentré. Killian m'a suivi. Sans un mot.

Marty était toujours attablé. Il finissait sa part de tarte. Il a levé les yeux vers Killian. Ils se sont dévisagés.

-          C'est toi, le fameux Killian ?

L'intéressé n'a pas répondu. Il est parti s'enfermer dans sa chambre. Je l'ai laissé aller. Je suis revenu m'asseoir à côté de Marty. Sans le regarder.

-          C'est quoi son truc ?

J'ai observé mon frère sans comprendre.

-          Héroïne ? LSD ? Déodorant ?

-          Cocaïne.

Marty a hoché la tête. J'ai terminé ma part de tarte. Enfin, mes miettes de part de tarte.

-          Tu ne peux pas gérer ça tout seul, Pete. Il faut que tu l'emmènes voir un spécialiste. Il faudra peut-être lui faire intégrer un centre aussi. Il n'y a pas beaucoup de places mais je pourrai t'aider. Je connais bien le directeur de l'hôpital. Il pourra appuyer le dossier de Killian.

Je l'ai écouté parler. Il a continué encore une ou deux minutes. « Tu devrais faire ça, Pete. » « Tu devrais éviter ça, Pete. » « Fais-toi aider, Pete. » « Tu n'y arriveras pas tout seul, Pete. » Je l'ai laissé parler. Marty aime s'écouter parler. Je lui ai laissé le plaisir de s'écouter me donner des bons conseils. Puis, j'ai fini par l'ouvrir.

-          Je n'ai pas besoin que tu me dises quoi faire. J'aurai bientôt cinquante ans, tu te souviens ?

Marty a souri. Mais pas comme d'habitude. J'ai aimé ce sourire-là. C'était le sourire du grand frère. Je ne le voyais pas souvent, celui-là, même si je savais que Marty m'aimait. En général, c'était le sourire du meilleur ami que je voyais. Le sourire ironique aussi. Parfois, il y avait le sourire professionnel du patron. Je ne voyais pas souvent le sourire du grand frère.

-          Je sais, Pete. Je sais.

Il a ensuite regardé l'heure, a décrété qu'il était temps pour lui de partir et s'est levé. Je suis allé chercher son manteau. Il l'a mis. Il a consulté son téléphone. Kathryn l'avait appelé cinq fois, lui avait laissé deux messages et avait envoyés trois textos. Il était vraiment temps pour lui de filer. En partant, il a posé ses deux mains sur mes épaules.

-          Pete, aide le gosse mais ne le fais pas pour Cassie.

-          Tu sais bien que tout me ramène toujours à Cassie.

-          Ne le fais pas pour elle.

Puis, il est parti. J'ai refermé la porte en méditant ce qu'il venait de me dire. Je me suis ensuite décidé à aller parler à Killian. Malgré son comportement, je lui devais des excuses. Et même si je ne lui en devais pas, je voulais m'excuser. Je voulais qu'il ait confiance en moi.

J'ai cherché les mots justes tout l'après-midi. Mais je crois qu'il n'y avait tout simplement pas de mots justes pour ce genre de situation. Lui n'est pas sorti de sa chambre. Je l'imaginais sniffer ses rails de coke. Je l'imaginais se bousiller la santé. Ça m'a fait mal de l'imaginer. Je devais lui parler. Urgemment.

J'ai sorti une tablette de chocolat d'un placard. J'ai fait fondre le chocolat dans une casserole. J'ai fait bouillir du lait. J'ai cherché mes gousses de vanille mais je les avais utilisées depuis longtemps. Tant pis. Je ferai sans vanille cette fois. J'ai versé le tout dans un mug Superman. Le chocolat chaud était bouillant. Il n'y a pas de mots justes pour ce genre de situation. On dit que la musique adoucit les mœurs. Le chocolat chaud maison adoucissait peut-être les toxicos mal lunés.

J'ai toqué à la porte, le chocolat à la main. Une fois. Deux fois. Pas de réponse. J'ai toqué encore. J'ai fini par l'appeler. Un retentissent « Va te faire foutre » a résonné à travers tout l'appartement. J'ai attendu quelques secondes. J'ai retoqué.

-          T'es con ou quoi ? Laisse-moi tranquille !

-          Killian, ouvre-moi, s'il te plaît.

-          Dans tes rêves !

J'ai soupiré. J'ai attendu quelques secondes. Je ne savais pas si je devais réessayer de toquer ou pas.

-          Je t'ai fait un chocolat chaud. Je le pose devant ta porte.

Pas de réponse. J'ai posé le chocolat et je suis retourné vaquer à mes occupations. J'ai allumé la télévision. Ils passaient des vieux épisodes de Columbo. Je me suis calé dans mon canapé. J'ai entendu une porte s'ouvrir et se refermer. J'ai regardé dans la direction de la chambre de Killian. Le chocolat chaud avait disparu.

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