La Faute à la vie - Chapitre Vingt-Cinq
Julie Vautier
J'ai pressé un peu Killian. Nous étions déjà en retard. Marty nous attendait. Killian a à peine réagi. Il est resté assis sur le canapé, les yeux dans le vague. Je l'ai pressé un peu plus. Il ne bougeait pas. J'ai fini par aller lui chercher son manteau et ses chaussures. J'ai posé le tout à côté de lui. Je me suis assis sur le canapé.
- Dépêche-toi, Killian, s'il te plaît.
Il m'a jeté un regard avant de se décider à mettre ses chaussures. Il avait le regard vide. Ça m'a attristé. Il avait ce regard depuis que Lily était venue à l'appart. Il ne mangeait presque plus et passait ses journées dans le canapé, à regarder la télévision. Il enchaînait les télé-réalités. Sans doute pour ne pas penser à sa réalité à lui.
Une fois ses chaussures lacées, il s'est levé. Lentement. Il a mis son manteau et s'est tenu droit comme un piquet au milieu du salon. J'ai soupiré en le regardant. Il me faisait de la peine. Je ne savais pas quoi faire pour qu'il aille mieux. Un dîner avec mon frère allait peut-être l'aider. Il aimait bien Marty et Marty aimait bien Killian. Ça pourrait l'aider.
J'ai attrapé les clés de ma voiture. Nous avons quitté l'appart et sommes montés dans ma voiture. J'ai attaché ma ceinture. J'ai démarré. A un feu rouge, j'ai tourné les yeux vers Killian. Il n'était pas attaché.
- Ta ceinture, Killian.
Il n'a pas réagi. J'ai réitéré ma demande. Avec plus d'autorité. Il a obéi sans me regarder.
- Tu pourrais te tuer en ne t'attachant pas.
- Je sais.
Sa réponse m'a fait froid dans le dos. J'ai continué à rouler. Je vérifiais régulièrement qu'il gardait sa ceinture attachée. Il n'a pas bougé jusqu'à notre arrivée. Nous avons quitté la voiture. J'ai tendu un bouquet de fleurs à Killian.
- Offre-le à Kathryn, ça lui fera plaisir.
Il a hoché la tête, sans grande conviction. J'ai sorti une bouteille de vin du coffre. Le vin préféré de Marty. J'ai sonné. Marty m'a ouvert cinq secondes plus tard.
- Ah, Pete ! Qu'est-ce qui a bien pu te retarder autant ?
Sa voix sonnait faux. Il m'a poussé vers l'extérieur. Je l'ai regardé sans comprendre.
- Les parents de Kathryn sont là ! a-t-il soufflé.
J'ai failli m'étouffer.
- J'ai rien pu faire, vieux, je suis désolé !
J'ai tourné la tête vers Killian. Il avait suivi la conversation. Il a haussé les épaules. Il a voulu retourner dans la voiture. Marty l'en a empêché.
- Tu restes là, bonhomme.
- Et les parents de Kathryn ? me suis-je inquiété.
- Au diable les parents de Kathryn.
Marty est rentré dans la maison. Je me suis rapproché de Killian.
- Offre le bouquet à la mère de Kathryn, lui ai-je murmuré.
Nous sommes entrés dans la maison. Les parents de Kathryn étaient là, effectivement. Je ne les avais jamais vus. Mais ils correspondaient à la description que Marty m'avait faite. Grands, minces. Madame en tailleur, monsieur en costard. L'air snob et hautain. Les aristos de base. J'ai collé un sourire Colgate sur mon visage et me suis avancé vers la table, Killian à ma suite.
Monsieur et madame Campbell sont venus à ma rencontre.
- Bonsoir, vous devez être Peter, n'est-ce pas ? s'est intéressé monsieur.
Killian a tendu les fleurs à madame. Elle en a été touchée. Du moins, c'est ce que je croyais.
- Quelle délicate attention. Dommage que je déteste les pivoines.
Elle a posé le bouquet sur le canapé de Marty. Ce dernier m'a lancé un nouveau regard désolé. J'ai haussé les épaules. Ce n'était pas sa faute si les Campbell étaient des chieurs de compétition.
Nous nous sommes installés à table. Kathryn avait placé des petites étiquettes avec nos noms. Killian était assis en face de monsieur Campbell, en bout de table. Madame Campbell était à sa droite, entre lui et moi. J'ai glissé un regard vers Marty, assis en face de moi.
- Je lui avais interdit de faire un plan de table, m'a-t-il soufflé à l'oreille.
Le début du repas s'est bien déroulé. Du moins, il s'est déroulé. Les Campbell m'ont posé beaucoup de questions. Ils étaient ravis d'apprendre que j'étais avocat. Beaucoup moins d'apprendre que je n'avais pas mon propre cabinet et que j'étais toujours commis d'office, à presque cinquante ans.
- Mais vous défendez des innocents, n'est-ce pas ? a demandé madame.
- C'est assez rare que je défende des innocents.
- Vous défendez des coupables ?
J'ai ignoré son air faussement choqué.
- Je défends des gamins qui n'ont pas assez d'argent pour se payer un avocat.
- Vous défendez donc de jeunes délinquants, a dit monsieur.
J'ai hoché la tête. S'en est suivie une longue conversation stérile entre monsieur Campbell et moi. J'avais beau lui expliquer que les jeunes délinquants n'étaient pas tous des Ted Bundy en puissance, il ne voulait rien entendre. J'étais agacé par sa manière de penser. J'ai fini par citer Killian en exemple. Je m'en suis mordu les doigts. Je n'aurais jamais dû l'impliquer.
Killian a levé le nez de son assiette et a regardé avec méfiance les Campbell. Monsieur et madame l'ont observé. Méprisants.
- Vous êtes donc un jeune délinquant, a fini par dire monsieur.
- Kathryn, tu invites des délinquants chez toi ? s'est interrogé madame.
Marty a soupiré. Kathryn a regardé Killian avant de regarder sa mère.
- C'est un gentil garçon, a-t-elle dit.
- C'est peut-être un gentil garçon, a rétorqué sa mère, mais il te volera tous tes bijoux en allant aux toilettes.
- Martin, vous devriez sans doute ranger vos montres de collection, a ajouté son père.
- Killian n'est pas un voleur ! me suis-je exclamé.
- Et qu'est-il alors ?
J'ai fixé madame, sans savoir quoi dire. Kathryn s'en est chargée pour moi.
- C'est un ancien cocaïnomane.
J'ai lancé un regard noir à Kathryn. Elle a senti mon regard. Elle n'a rien ajouté. Les parents Campbell ont fixé Killian. Je n'avais jamais vu autant de suffisance. Marty n'avait pas menti. C'étaient des emmerdeurs.
- C'est bien votre fille qui est décédée d'une overdose ? m'a demandé monsieur.
Marty a pâli. J'ai serré les dents et n'ai rien répondu. Kathryn s'est lentement levé de sa chaise.
- Je vais chercher le plat.
- Vas-y, chérie, nous surveillons le jeune homme, a dit madame.
- Nous ne voudrions pas qu'il mette quelque chose dans le plat, n'est-ce pas ? s'est amusé monsieur.
Cette réflexion était la réflexion de trop. Marty a tenté de me calmer, par le regard. Je bouillonnais. Finalement, il a hoché la tête. Je me suis levé de table.
- Viens, Killian, on s'en va.
Killian a quitté la table à son tour. J'étais écœuré par le comportement des deux aristos. Killian n'était pas un voleur.
- Vérifiez quand même que vous avez tous vos bijoux avant de partir, a ironisé Killian à madame Campbell.
Marty nous a accompagnés jusqu'à la porte d'entrée. Un silence de mort régnait dans le salon. Il est sorti avec nous. Il a fermé la porte. Nous sommes restés un instant ainsi.
- Je pensais que tu exagérais, ai-je fini par dire. Je comprends que tu n'aies pas très envie d'aller en vacances avec eux.
Mon frère a secoué la tête.
- Je suis vraiment désolé.
Il a posé une main sur l'épaule de Killian.
- Je me sens vraiment mal par rapport à ce qu'ils t'ont dit.
Killian a simplement haussé les épaules. J'ai sorti mes clés de voiture. Killian est monté sitôt que je l'ai ouverte. Il a claqué la portière et m'a attendu.
- Je ne sais pas quoi faire pour m'excuser, a repris Marty.
- Ce n'est pas à toi de t'excuser.
- Kathryn la dernière fois et maintenant, ses parents.
- Ce n'est pas de ta faute, Marty.
Marty a soupiré.
- Le pauvre gosse en a déjà suffisamment bavé.
Nous avons jeté un œil à Killian. Il était sur son téléphone.
- Lily est passée à l'appart.
Cette fois, c'est Marty qui a failli s'étouffer.
- Lily ?! Qu'est-ce qu'elle voulait ?
- Elle a appris que j'hébergeais le « tueur de sa fille. » Elle était folle de rage. Killian a eu droit à tous les noms d'oiseaux qu'elle connaît.
- Pauvre gosse.
- Le pire, c'est ce que je ne peux même pas en vouloir à Lily. Je comprends sa colère.
La porte s'est ouverte derrière Marty. Kathryn s'est avancée vers nous.
- Chéri, papa aimerait te parler de l'entreprise.
- C'est le cadet de mes soucis, Kathryn.
Elle a acquiescé et est rentrée dans la maison. Marty s'est tourné vers moi.
- Prends soin de Killian. Entre Lily, ma femme et les deux abrutis qui lui servent de parents, il a bien morflé.
J'ai remercié mon frère et suis monté dans la voiture. Killian avait rangé son téléphone et avait les yeux dans le vague.
- Ta ceinture, Killian.