La Faute à la vie - Chapitre Vingt-Deux

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

Ça faisait quinze bonnes minutes qu'on attendait. Je m'ennuyais ferme. Les magazines qui se trouvaient à l'accueil dataient tous d'au moins deux ans. Je trépignais. J'en avais assez d'attendre. J'en avais assez de l'attendre. Sérieusement, qu'est-ce qu'il foutait ? Marty était assis à côté de moi. Il sentait mon impatience. En fait, il la voyait.

-          Arrête avec ta jambe, Pete, c'est saoulant.

J'ai essayé de contrôler le tremblotement de ma jambe. Ça a repris cinq secondes plus tard. Marty a soupiré, a voulu dire quelque chose et s'est ravisé.

-          Bordel, mais qu'est-ce qu'il fout ?

-          Il va arriver, arrête de stresser.

-          Je ne stresse pas, ai-je rétorqué.

-          Bien sûr, et moi, je vends des tapis.

Il a ri de sa blague. Je lui ai jeté un regard en coin. Il a levé les yeux au ciel et a cessé de rire. Son humour douteux me surprenait toujours. Ses blagues ne faisaient rire que lui. Mais bon. Au moins, quelqu'un riait de ses blagues.

Une infirmière d'une quarantaine d'années est passée près de moi. Je l'ai hélée. Elle s'est approchée de moi, interrogative.

-          Bonjour, excusez-moi de vous déranger mais je suis le tuteur de Killian Murray. J'aimerais savoir s'il va arriver bientôt ou si j'ai le temps de lire une ou deux revues.

L'infirmière a souri.

-          Killian arrive dans quelques minutes. Il disait au revoir à ses compagnons de cure.

J'ai remercié l'infirmière. Elle est repartie vaquer à ses occupations. Killian avait donc des « compagnons de cure ». Killian savait donc être social quand il le voulait. C'était bon à savoir.

-          Tu veux manger où, après ?

J'ai tourné la tête vers Marty. Il a répété sa question. J'ai haussé les épaules. Je n'en savais rien. Je m'en foutais.

-          Allez, je vous invite, Killian et toi.

-          Où tu veux, Marty, ça m'est égal.

-          Il y a ce petit italien qui vient d'ouvrir, ça pourrait être sympa. Qu'est-ce que tu en penses ?

Je n'ai pas répondu. J'avais aperçu Killian. Je me suis levé de ma chaise. Marty en a fait de même. J'ai regardé Killian s'avancer vers nous. Il a salué les secrétaires et les infirmières qui passaient. Il y avait quelque chose de changé chez lui. Il y avait toujours ce je-m'en-foutisme latent mais il paraissait plus apaisé. Plus serein.

Le médecin m'avait bien expliqué que le sevrage n'était pas complètement terminé. Que, physiquement, son corps ne réclamait plus de drogue mais que, psychologiquement, le travail n'était pas terminé. Il m'avait conseillé un psychologue spécialisé dans l'addiction. C'était celui que Marty m'avait conseillé. Visiblement, il était réputé dans le milieu. Je lui enverrai Killian. Avec un peu de chance, les séances se passeront bien.

Killian est arrivé près de nous. Il a déposé son sac et son blouson sur une chaise avant de me faire face. Marty s'est éloigné de quelques pas pour nous laisser tous les deux.

-          Alors, ai-je commencé, comment tu te sens ?

-          Ça va, ça va plutôt bien même.

-          Plus de drogue ?

Il a vigoureusement secoué la tête.

-          J'en ai fini avec cette merde.

-          Et les médocs ?

-          J'en prends presque plus.

J'ai acquiescé. Physiquement, il allait bien. Son organisme était enfin débarrassé de tout ça. C'était un bon début.

-          L'infirmière m'a dit que tu t'étais fait des amis.

Il a doucement opiné du chef, pensif.

-          Ça m'a fait réfléchir, tu sais. J'ai réfléchi à ce que je voulais faire de mon avenir, maintenant que j'en ai un.

-          Et alors… ?

Il a haussé les épaules.

-          Ça, j'ai pas encore trouvé. Mais déjà, j'ai réfléchi.

Je lui ai ébouriffé les cheveux. Il ne m'a pas repoussé. Ça l'a fait sourire, même.

-          Marty nous invite au resto. Italien, ça te va ?

-          Tout plutôt que la bouffe dégueulasse qu'on nous sert ici.

J'ai fait signe à Marty. Il est revenu vers nous et nous avons quitté le centre. J'ai prié pour ne jamais revenir ici. Plus jamais. J'ai prié pour que Killian soit définitivement sorti de cet engrenage. Pour l'instant, c'était plutôt bien parti.

Nous avons mangé au restaurant italien. Moi, une calzone. Marty, des lasagnes. Comme d'habitude. Killian n'avait jamais mangé au restaurant. Ça l'a un peu dérouté. Je l'ai observé pendant qu'il lisait le menu. Je n'osais même pas imaginer comment ce gosse avait vécu toutes ces années. Dans la rue, sans doute. Dans le squat où je l'avais retrouvé.

Il a fini par choisir une pizza, presque au hasard. Il l'a tellement aimée qu'il l'a finie en à peine dix minutes. Il a aussi fini les lasagnes de Marty. Il a également lorgné sur ma dernière part de pizza.

-          Tu sais que tu as le droit de prendre un dessert si tu as encore faim ?

Ce qu'il a fait. Je ne l'avais jamais vu manger avec autant d'appétit. J'avais l'impression de voir un enfant découvrir la glace au chocolat. S'il avait pu lécher son assiette, il l'aurait fait. Ça faisait plaisir de le voir comme ça. Il avait retrouvé le goût des choses.

Marty nous a déposés à l'appart. Killian était impressionné devant la voiture de mon frère. Ça m'a amusé de les voir, tous les deux. Marty adorait sa bagnole et il ne pouvait pas s'empêcher de la montrer à tout le monde. Même le livreur de sushis avait eu droit à son lot d'anecdotes concernant les sièges faits sur mesure. J'ai laissé Killian monter à l'avant. Marty et lui étaient comme des gamins. Killian a presque eu du mal à quitter la belle voiture.

Nous sommes rentrés à l'appartement. J'ai rangé mes clés. Killian est resté bloqué dans l'entrée. Il venait de découvrir les différentes photos de Cassie. Il s'est avancé vers l'une d'elle, l'a longuement observée.

-          Elle avait douze ans, c'était son spectacle de danse de fin d'année. Elle jouait une étoile.

-          Maintenant, elle en est une.

-          Maintenant, elle en est une, ai-je répété.

Killian s'est dirigé vers sa chambre.

-          J'en ai mis une sur ton guéridon.

Il s'est précipité sur le guéridon. Il a regardé la photo. Je l'ai vu sourire. Ensuite, il a sorti la photo de Cassie que je lui avais donnée. Il l'a posée sur la table de chevet, près de l'autre photo. Il n'a rien dit de plus. Il est resté dans sa chambre jusqu'à l'heure de dîner.

Je me suis allongé dans mon canapé. J'ai lu un bouquin. Ça faisait quelques temps que je n'avais pas lu. Avant, j'adorais ça. Je pouvais passer des heures, plongé dans un livre. Je partageais ça avec Cassie. Puis, elle est partie et j'ai préféré me surcharger de boulot.

Aux alentours de vingt heures, j'ai toqué à la porte de sa chambre. Il m'a ouvert de suite.

-          Plateau-repas devant Iron Man, ça te dit ?

-          Carrément.

J'ai fait chauffer des plats tout prêts. J'ai ressorti les plaids du placard. J'ai allumé la télévision et j'ai zappé. Le film commençait tout juste. Killian a attrapé son plateau et a soigneusement choisi sa place dans le canapé. Je lui ai proposé un plaid. Il a refusé. Je me suis emmitouflé dans mon plaid avec mon plateau-repas.

On faisait ce genre de soirées avec Cassie. Un soir, je choisissais le film. La fois d'après, c'était elle qui choisissait. Mais elle avait de très bons goûts. C'était ma fille, après tout. Sa mère n'était pas très cinéma. Elle n'était pas très art tout court, d'ailleurs. De toute façon, elle travaillait beaucoup trop pour ça. Elle n'avait pas le temps d'aimer. Moi, j'avais le temps. Cassie aussi. On aimait l'art ensemble.

J'ai ramené les plateaux dans la cuisine. Quand je suis revenu, Killian avait piqué mon plaid et s'était enroulé dedans. Je l'ai fixé un instant, un sourire flottant sur les lèvres. Killian a senti mon regard.

-          J'avais froid.

Je suis revenu m'asseoir. Mais je n'ai pas prêté beaucoup d'attention au film. Les yeux dans le vague, je pensais à Killian. Au gosse que j'avais récupéré il y a un peu plus de quatre mois. A ce qu'il était devenu. A ce qu'il pouvait encore devenir. J'étais si fier de lui. J'ai appuyé ma tête contre un coussin. J'ai imaginé ce que pouvait être son futur. J'ai fermé les yeux. Je me suis endormi. Quand je me suis réveillé, la télévision était éteinte et un plaid me couvrait des épaules aux pieds.

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