La Faute à la vie - Chapitre Vingt et Un

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

Je pensais avoir vécu le pire concernant le sevrage. Je m'étais trompé. Je suis rentré dans un centre. Parce que, tout seul, c'était pas possible. Même avec l'aide de Pete, c'était pas possible. J'avais besoin d'un spécialiste pour m'aider. C'est bien que je l'aie compris. Je suis moins con que ce que je pensais. C'est toujours ça de pris. Bref. Je suis rentré dans un centre. Ça va faire un mois que j'y suis. Je m'emmerde. Je m'emmerde à un point, t'as même pas idée.

Je passe mes journées dans ma chambre. Je pourrais sortir mais j'ai pas envie. Tu verrais les activités qu'ils proposent… J'ai l'impression d'être dans une maison de retraite. J'ai essayé de jouer au Trivial Pursuit. J'ai essayé. Ça m'a tellement fait chier que j'ai passé le reste de la journée devant la télé.

Heureusement que j'ai la télé. Ça, c'est grâce à ton oncle. Il est super cool, ton oncle. Il a usé de son influence. Depuis, j'ai la télé. Je regarde beaucoup de conneries mais parfois, je regarde des trucs intéressants. La dernière fois, il y avait un reportage sur la Provence. Tu sais, c'est une région, en France. C'est joli comme tout. Ça t'aurait plu. Il y a de la lavande partout et les cigales chantent tout le temps. On dirait un décor de film. Les couleurs, les sons… C'est ouf. Il y avait cette ville. Marseille. Ça a l'air vraiment sympa. J'en parlerai à ton père. Ça le branchera peut-être.

Je teste plein de médicaments par contre. Les noms sont marrants. Je les ai pas retenus, ils sont trop compliqués. Mais ça change selon les semaines. Parfois, ce sont des cachets. Des ronds, des ovales. Parfois, des injections. J'ai déjà eu des gélules aussi. Parfois, elles sont bicolores. Des petits sachets à faire dissoudre. Les couleurs changent selon les médocs. C'est marrant. Ouais, je m'emmerde vraiment.

En revanche, il y a cette infirmière. Te fais pas de films, elle a l'âge de ton vieux. Mais elle est gentille. Elle est vraiment gentille avec moi. Tu sais, on dirait un peu une maman. Bon, en vrai, la mienne a pas trop géré. Du coup, je sais pas à quoi ça ressemble, une maman normale. Tu sais, une maman qui aime ses enfants et qui se sacrifie pour eux. Je sais pas à quoi ça ressemble. Mais je crois que ça ressemble à cette infirmière.

Le lundi matin, elle me ramène toujours un paquet de bonbons. J'ose pas lui dire que je suis pas très fan des bonbons. Ça lui fait tellement plaisir. Ça me fait plaisir à moi aussi. Ça veut dire qu'elle pense à moi quand elle fait ses courses le samedi. Elle se dit : « Tiens, je ne dois pas oublier les bonbons du p'tit Murray. » Je distribue les bonbons aux autres patients quand je sors de ma chambre. Ça arrive une fois par semaine. Faut pas rater le coche.

Il y a des patients tellement jeunes… Certains ont à peine quatorze ans. A quatorze ans, je savais même pas ce que c'était la drogue. Enfin, j'en avais entendu parler. Mais pour moi, c'était comme la poussière de fée de Peter Pan. Rare et magique. La poussière de fée, elle m'a bien défoncé les narines depuis. Les médecins ont dit que j'avais perdu trente pour cent de mon odorat à cause de la drogue. Ils m'ont dit que j'avais raccourci mon espérance de vie aussi. Ça calme d'entendre ce genre de trucs.

Je refais des crises de temps en temps. Des petites. Rien à voir avec mes crises d'avant. J'arrive à me contrôler. J'appelle une infirmière. Je prends un médoc et ça passe. Vingt minutes plus tard, c'est oublié. Je t'avoue que l'envie de prendre un rail revient parfois. Comme ça. Ça donne quelque chose du genre : « Tiens, je me ferais bien un rail. » Et puis, je vois ta photo. Ça me fait penser à toi. Ça me fait penser à ton père. J'ai pas envie de vous décevoir. J'ai déçu trop de gens dans ma vie.

Les médecins disent que je pourrais peut-être sortir d'ici deux à trois semaines. Il faudra que je continue mes traitements, que je suive une thérapie. Ils disent que ça me prendra des années avant d'être parfaitement clean. Psychologiquement parlant. Mais d'ici deux-trois semaines, je pourrai envisager de chercher un travail. De reprendre une vie normale. J'ai jamais eu de vie normale. Ça a l'air sympa. Faudra que j'essaye.

Quand ils m'ont dit ça, j'ai réfléchi. Je réfléchis beaucoup en ce moment. A ce que je vais faire dans la vie. J'y avais jamais pensé avant. Je pensais qu'à la coke. Comment trouver l'argent pour en acheter. Où en acheter. A qui en acheter. J'avais pas d'avenir. Maintenant, j'en ai un. Enfin, j'ai la possibilité d'en avoir un. Faut pas que je gâche cette seconde chance. Faut bien que je réfléchisse à ce que je vais faire.

J'ai pas de diplôme. J'ai pas d'expérience. J'ai une gueule à faire peur. J'ai pas acheté de fringues depuis mes dix-huit ans. Mes pompes, je préfère même pas en parler. Il faudrait que je me remplume un peu aussi. Au moins, j'ai pas de tatouages. J'avais pas le fric pour en faire de toute façon. Pas de piercings non plus. Pas le fric non plus pour ça. Mais je suis sûr que Pete m'aidera. Il va m'avoir sur le dos encore un bon bout temps, le petit Samaritain.

Ça a l'air sympa le centre comme ça mais c'est pas simple tous les jours, tu sais. J'ai des jours sans. Des jours où je me dis que la vie était plus simple quand j'étais qu'un toxico. Quand c'est comme ça, je sors de ma chambre. Je me force à sortir. La petite infirmière me force à sortir aussi. Elle me dit de parler avec les gens. De partager nos expériences. C'est ce que je fais. Je parle. Je vois des gens bien plus bousillés que moi. Je vois des gens qui partent du centre et qui font des overdoses mortelles une semaine plus tard.

Les héroïnomanes sont les plus intéressants. Ils ont les bras déglingués à force de se piquer. Beaucoup ont chopé le sida en utilisant des seringues usagées. Certains se sont prostitués pour se payer leurs doses. Quand ils font la liste des maladies qu'ils ont chopées, ça fait peur. Ils sont condamnés. Mais ils veulent quand même s'en sortir. C'est beau et triste à voir. Ça me donne envie de m'en sortir. Pour de vrai. Parce que j'ai pas toutes ces merdes-là. J'ai juste l'odorat qui fonctionne moins bien. Ça, c'est pas très grave. Je snifferai les fraises d'un peu plus près.

Signaler ce texte