La Faute à la vie - Chapitre Vingt-Huit

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

« Parce que, moi, je t'ai toi pour veiller sur moi et toi, tu m'as moi pour veiller sur toi. » C'est de Steinbeck. Des souris et des hommes. Un des seuls bouquins que j'ai lu de ma vie. Je devais avoir treize ans à tout casser quand je l'ai lu. C'était pas un gros livre. C'est pour ça que je l'avais lu. Je l'ai toujours. Dans mon sac à dos. Il est déchiré, corné. Il manque la quatrième de couverture. Il y a du crayon partout. Des couleurs partout. Il y a mon histoire là-dedans.

Il y a des jours où je me sens comme George. Le cow-boy beau gosse et sûr de lui. J'ai l'impression d'être le roi du monde. J'ai l'impression d'être au-dessus des gens. De valoir mieux qu'eux. J'ai l'impression que rien ne peut m'arriver et que je saurai me défendre en cas d'attaque. Parfois, je me sens comme ça. La plupart du temps, je me sens comme Lennie.

La plupart du temps, j'ai l'impression de ne rien comprendre au monde qui m'entoure. J'ai l'impression que le monde avance mais qu'il a oublié de m'inclure dans l'équation. J'ai l'impression que les gens peuvent m'écraser d'une pichenette. J'ai l'impression d'essayer de faire le bien. Mais je finis toujours par tout gâcher. Je suis un Lennie en puissance. Et Pete est un George.

J'aurais pas sauté. J'aurais eu trop peur. Je me serais barré et je me serais flingué. Ou alors j'aurais essayé d'avoir une overdose. Quelque chose comme ça. J'aurais pas sauté. J'aurais eu trop peur de me rater et de finir en fauteuil. Peur de devenir un légume. De ne plus pouvoir parler ou bouger. D'être là sans être là. J'aurais vraiment gâché la vie de ton père en faisant ça.

La vie a été la pire des enflures avec moi. Elle m'a pas gâté. Loin de là. Elle a pris tout le malheur qu'elle a pu trouver et elle l'a envoyé chez moi. Suffit de voir la gueule de mes parents. Ils le portent littéralement sur la tronche. Moi aussi, je porte le malheur sur ma tronche. C'est comme ça. Je me plains pas. Je constate. La vie m'a fait les pires saloperies. Aujourd'hui, je veux prouver à la vie qu'elle n'en a pas fini avec moi. J'ai une revanche à prendre. Je laisserai pas passer ma chance cette fois.

Il est pas trop tard pour moi. Je n'ai que vingt-deux ans. J'ai encore le temps. Je vais apprendre ce que j'ai toujours voulu apprendre. Je vais aller là où j'ai toujours voulu aller, sans oser le dire. J'irai au cinéma. Je lirai. Beaucoup. Enfin, je lirai des petits livres. Je vais pas me bouffer L'Iliade et L'Odyssée. Faut pas déconner, non plus.

Je continuerai à t'écrire. Ça, ça s'arrêtera jamais. Du moins, pas tout de suite. J'ai encore besoin de toi. T'écrire, ça m'aide à aller mieux. A faire mon deuil de toi. Ça m'aide à accepter aussi. Peut-être qu'à l'avenir, je t'écrirai moins. Puis plus du tout. On verra bien. On n'y est pas. Pour l'instant, je t'écris. Tu m'aides à y voir clair.

Ton père va m'aider. Ton oncle va m'aider. Même ta tante va m'aider. Ta cousine m'aidera quand elle viendra pour les vacances. Les parents de ta tante, faut pas trop compter dessus. Ils s'en remettent pas d'avoir été à la même table qu'un toxico. Enfin, ex-toxico. Je ne suis plus cette personne-là. C'est fini. Maintenant, je suis plus que ça. Maintenant, je peux devenir qui je veux.

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