La Faute à la vie - Chapitre Vingt-Neuf

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

J'ai éteint les lumières du salon. J'ai allumé les cinq bougies qui ornaient le gâteau. Tout le monde attendait dans le salon. Je ne les ai pas fait attendre plus longtemps. J'ai débarqué avec le gâteau illuminé. J'ai commencé à chanter en sortant de la cuisine. Marty n'a pas mis longtemps à me rejoindre. Il a toujours aimé les anniversaires. Surtout quand ce n'est pas le sien.

La tablée toute entière s'est mise à chanter. Même Kathryn a chanté. J'ai posé le gâteau sur la table, devant Killian. J'ai attrapé mon appareil photo et me suis mis en face de lui. La flamme des bougies se reflétait dans ses grands yeux bleus. Un timide sourire se dessinait sur son visage. C'était encore tout nouveau pour lui de fêter son anniversaire. C'était tout nouveau pour lui d'avoir autant de monde auprès de lui. D'avoir de vrais amis.

-          Attends avant de souffler ! me suis-je écrié.

J'ai préparé mon appareil photo. J'ai dit être prêt. Tout le monde a attendu que Killian souffle ses bougies. Il l'a fait. En une fois. J'ai immortalisé le moment. Vingt-quatre ans, ça se fête. Bientôt deux ans sans drogue, ça se fête aussi.

J'ai posé mon appareil photo. Je suis allé rallumer la lumière. Killian avait l'air émerveillé devant son gâteau. C'était Kathryn qui l'avait fait. Maintenant, elle savait ce que Killian aimait ou n'aimait pas. Je lui ai tendu un couteau. A lui de couper la première part. Il l'a fait avec grand plaisir.

Marty a déposé près de lui ses paquets cadeaux. Mes paquets paraissaient ridicules à côté de ceux de mon frère. Mais Marty ne le faisait jamais remarquer. Ça lui faisait juste plaisir d'offrir de beaux cadeaux. Killian était ravi de ses cadeaux. Il était toujours ravi de ses cadeaux. Quand on n'a jamais rien eu dans la vie, le moindre cadeau nous paraît merveilleux. Surtout quand les cadeaux viennent de Marty.

Je me suis avancé avec mon propre cadeau. J'en avais deux autres mais celui-là était le plus important. Je voulais qu'il l'ouvre en premier. Je lui ai tendu le petit paquet. Il l'a observé, l'a soupesé, l'a secoué avant de finalement déchirer le papier. Il était perplexe devant le catalogue qu'il tenait dans les mains. Il a levé les yeux vers moi.

-          Qu'est-ce que c'est ?

-          Les différentes universités de Marseille.

Il ne comprenait toujours pas.

-          Je te paye celle que tu veux, ainsi que le billet d'avion pour t'y rendre et je te virerai de l'argent tous les mois pour que tu n'aies pas à travailler en plus de la fac, ai-je dit.

Killian a baissé la tête et a longuement observé la brochure.

-          Je vais partir étudier… en France ?

J'ai vu un sourire naître sur son visage. Un vrai grand sourire. Le sourire du gosse qui réalise ses rêves. Le sourire du gosse qui va à Disneyland pour la première fois de sa vie. Il s'est levé de sa chaise. Il est venu vers moi. Il m'a serré dans ses bras. Il n'avait pas de mot tant il était ému. Je n'en avais pas non plus.

Il m'avait tellement parlé de la France et de Marseille. Il m'avait dit vouloir apprendre le français. Il l'avait appris en six mois à peine. Je ne l'avais jamais autant vu travailler. Il regardait des films en français, sans sous-titre. Il avait plus de deux cents DVD sur ses étagères. Il lisait beaucoup. Sa chambre était remplie de classiques français. Il y en avait partout. Sur son bureau, son lit. J'ai déjà retrouvé un Balzac esseulé dans son tiroir à chaussettes. Il rêvait d'aller là-bas. Je lui offrais ce rêve.

Il s'est détaché de moi et s'est rassis. Il a de suite ouvert le catalogue et a examiné les différentes universités. Anna a consulté le catalogue avec lui. Elle aussi avait les yeux qui brillaient en lisant les divers programmes des universités.

-          Sciences Po Aix, ce serait idéal pour parfaire mon cursus.

J'ai glissé un regard vers Marty. Lui aussi avait compris. Anna avait brillamment obtenu son diplôme de journalisme, mais elle voulait encore étudier. C'était une gamine qui avait la bougeotte. Et cette université l'intéressait fortement. Ça me rassurait d'un côté. Ainsi, Killian n'aurait pas à affronter cette nouvelle vie seul. Il aurait Anna avec lui.

Il avait l'air perdu. Je me suis approché de lui.

-          Je ne sais pas ce que je veux étudier, a-t-il avoué.

-          Ce n'est pas grave, tu as le temps de choisir.

J'ai désigné les cadeaux restants.

-          Occupe-toi de tes derniers cadeaux, on s'occupera de ça plus tard.

Il a hoché la tête et s'est jeté sur les cadeaux. Le casque audio l'a enchanté et il n'a pas pu s'empêcher d'ouvrir le livre de photos sur la Provence. Les couleurs l'ont émerveillé. Il m'a fait penser à Cassie. Il a tourné le livre vers moi.

-          Tu as vu toute cette lavande, Pete ?

Il était beau à voir quand il était heureux. Et aujourd'hui était un jour très heureux. Nous avons mangé le délicieux gâteaux de Kathryn. Nous avons bu nos cafés. Marty, Kathryn et Anna sont partis une heure plus tard, en nous laissant les deux parts de gâteau restantes. Ce qui a fait le bonheur de Killian, qui venait de décréter que c'était son « nouveau gâteau préféré ».

Il a rassemblé ses cadeaux dans sa chambre. Il les a entassés sur le lit. Il s'est ensuite emparé du catalogue et l'a consulté pendant des heures, assis sur le canapé. Je l'ai regardé faire tandis que je nettoyais la table. Killian ne savait pas quoi faire dans la vie. Quel métier choisir, quelle formation suivre. Il ne savait pas. J'ai fini par m'asseoir à côté de lui.

-          Je suis complètement paumé.

J'ai lu les différentes formations proposées.

-          De quoi tu as envie ? ai-je demandé.

-          De parler français.

J'ai ri. Il a ri aussi avant de réfléchir.

-          J'ai envie d'aider les gens comme moi.

-          Les gens comme toi ?

-          Les toxicos.

-          Tu n'es plus un toxico, Killian. C'est fini tout ça.

Il a haussé les épaules.

-          C'est fini mais ça fera toujours partie de moi. J'ai eu la chance qu'on me tende la main mais tous les toxicos n'ont pas cette chance. Je veux les aider.

-          Comment ?

-          Ça, j'en ai aucune idée.

Il a baissé les yeux vers le catalogue. Il a tourné plusieurs pages. Droit. Médecine. Economie. Ces formations-là ne risquaient pas de l'aider. Une en revanche pouvait l'intéresser.

-          Tu peux les aider avec l'art.

Il m'a regardé bizarrement.

-          Tu ne pourras jamais les aider médicalement parlant. Je veux dire, sur le plan physique, tu ne pourras rien faire. Mais sur le plan psychologique…

-          Je pourrais peut-être intervenir dans des centres de désintox.

-          Tu pourrais animer des ateliers de peinture ou d'écriture.

Killian a tourné les pages du catalogue. J'ai regardé l'université qu'il pointait du doigt. Une formation en cinéma.

-          Je pourrais leur parler de cinéma et leur montrer des films ! Imagine : le lundi, je fais un petit cours sur un réalisateur, un acteur ou un courant, et le jeudi, je diffuse un film en rapport avec le cours !

Il a continué à parler de ce projet pendant dix minutes. Il était surexcité. Il s'imaginait déjà revenir dans ce centre où il avait fait sa cure pour aider les jeunes à penser à autre chose.

-          Moi, je me faisais vraiment chier quand j'y étais. Il y avait que le Trivial Pursuit pour s'occuper !

Il s'imaginait commencer dans un premier centre, puis être appelé dans un deuxième. Il se voyait donner des cours de cinéma un jour et raconter son ancienne vie de junkie un autre. Et puis, un jour peut-être, il pourrait ouvrir un atelier de réalisation. Puis, d'écriture de scénario. Puis, les élèves d'un cours réaliseraient les scénarii des autres. C'était un avenir qui lui plaisait.

A la fin de son laïus, il s'est tu et s'est tourné vers moi. Les yeux plein d'étoiles. Il voulait mon accord. Il voulait mon soutien.

-          Prépare tes bagages, Coppola.

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