La Faute à la vie - Chapitre Vingt-Six

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

Killian n'était pas bien depuis l'épisode du dîner chez Marty. Il n'avait déjà pas très bien depuis la sympathique visite de Lily. Les réflexions des Campbell l'avaient achevé. Il restait prostré pendant des heures dans sa chambre. Seul devant sa fenêtre. Il se couchait à des heures plus que tardives. Il dormait peu ou pas. Mangeait peu ou pas. Ne parlait plus.

J'avais pris trois jours de congé pour être auprès de lui. J'essayais de lui proposer des activités. D'aller au musée, au cinéma. De sortir marcher dans le parc. Il ne voulait rien faire. Je commençais à vraiment m'inquiéter. J'ai commencé à flipper quand il n'a pas voulu toucher à ses sushis. « Tu peux les manger si tu veux. » En temps normal, jamais il ne m'aurait laissé faire une chose pareille.

Un jour, sur les coups de dix-neuf heures, je suis allé le rejoindre dans sa chambre. Il ne dormait pas. Il était juste étendu sur son lit, les yeux ouverts. Fixant le plafond. Je me suis assis sur le bord de son lit. Je devais parler avec lui. Savoir ce qui n'allait pas. Même si je m'en doutais.

-          Parle-moi, Killian.

Pas de réponse. Comme d'habitude.

-          Ils n'auraient jamais dû te dire ces choses-là, ai-je repris. C'était méchant, c'était bête, c'était…

-          Vrai.

Je me suis tourné vers Killian. Il est resté allongé, les yeux au plafond.

-          C'était vrai, Pete.

-          Tu n'es pas un voleur.

Il s'est appuyé sur ses coudes pour me regarder.

-          Tu ne sais pas ce que j'ai dû faire pour me payer mes doses.

-          C'est derrière toi, tout ça.

-          J'en suis pas si sûr.

Il s'est rallongé et a posé ses mains sur son ventre.

-          Tu ne vas pas replonger, Killian.

-          Tu les as entendus. Je suis qu'un junkie.

-          Tu es plus que ça, bordel.

Il s'est à nouveau redressé.

-          Pete, arrête. T'es pas dans ma tête.

-          Dis-moi ce qui se passe dans ta tête, alors.

Killian a détourné les yeux. Il a soupiré.

-          Je me dis que c'était plus simple que j'étais qu'un drogué. J'avais pas à penser à ce que j'allais faire demain. C'était plus simple.

-          Tu as failli mourir à cause de la drogue !

-          Arrête de vouloir jouer au bon petit Samaritain. Je suis une cause perdue. Je retomberai dans la drogue, un jour ou l'autre. Parce que j'ai pas plus de chance de m'en sortir. J'ai cru que je pouvais devenir quelqu'un en arrêtant la drogue. Je me rends compte que c'est écrit sur mon front. « Toxico. » J'ai beau faire tous les efforts du monde, les gens, ils veulent pas le voir. Ils veulent pas voir mon futur. Ils voient que mon passé. « Toxico. » Ils voient que ça. Moi aussi, je vois que ça.

Sur ces mots, il s'est rallongé et m'a tourné le dos. J'ai voulu lui répondre. Lui dire qu'il avait tort de penser ça de lui. Qu'il était quelqu'un. Qu'il n'était plus un toxico. J'aurais voulu lui dire que moi, je ne voyais pas son passé. Je ne voyais que les possibilités que la vie lui offrait. J'aurais voulu lui dire que le monde était grand et qu'il y avait une place pour lui. J'aurais voulu lui dire tout ça. Je n'ai pas trouvé les mots justes.

Je suis sorti de la chambre. J'ai fermé la porte. Je me suis rendu dans la cuisine et j'ai préparé un chocolat chaud. Avec de la vanille. J'ai versé le chocolat dans mon mug Superman. J'y ai ajouté de la Chantilly. Je suis revenu dans la chambre de Killian. J'ai déposé le chocolat sur son bureau. Je l'ai regardé. Il me tournait toujours le dos.

-          Je t'ai fait un chocolat chaud.

Pas de réponse. J'étais habitué. J'ai quitté la chambre. Je me suis vautré dans mon canapé. J'ai eu envie de fumer une cigarette. J'ai contenu cette envie. Ça faisait vingt ans que j'avais arrêté. Je ne devais pas reprendre. J'ai allumé la télévision et me suis assoupi devant un téléfilm. Je ne me suis réveillé que trois quarts d'heure plus tard.

J'ai préparé le dîner. J'ai appelé Killian. Il n'a pas répondu. Je suis allé toquer à sa chambre. Pas de réponse. J'ai fini par entrer. Il n'était pas dans sa chambre. Il n'avait pas pris ses affaires mais il n'était plus là. Il avait filé pendant que je dormais.

J'ai commencé à paniquer. Puis, j'ai trouvé le mug de chocolat chaud. Il n'y avait pas touché. Mais il avait laissé un mot à côté.

            Pete,

Je te remercie pour tout ce que t'as fait pour moi. Mais je te l'ai dit : je suis une cause perdue. Depuis que ta femme est passée, je pense tout le temps à Cassie. C'est pire qu'avant. Je m'en veux de te l'avoir prise. J'ai foutu ta vie en l'air. Je sais que tu m'as pardonné. Moi, je me pardonnerai jamais.

J'ai véritablement commencé à paniquer. J'ai essayé de savoir où il était parti. Le squat, peut-être. Je devais y passer. Avant, j'ai essayé de l'appeler. J'ai entendu un vibreur non loin. J'ai soulevé un pull. Son téléphone. Il l'avait laissé. Pour ne pas que je l'appelle. Pour ne pas que je le retrouve.

J'ai attrapé mes clés et ai foncé dehors. Le squat. Je devais aller au squat. J'ai roulé pendant vingt minutes dans toute la ville. Pas de nouvelle de Killian. Il n'était nulle part. Les junkies ne savaient pas où il était. Les flics non plus. J'ai roulé sans m'arrêter. J'ai regardé absolument partout. Pas de Killian. Il avait disparu.

Une chanson des Red Hot Chili Peppers a démarré à la radio. Je l'ai éteinte. J'ai continué à rouler encore un peu. Je tournais en rond. J'ai fini par m'arrêter en double-file. J'ai appelé Marty. Il a de suite compris que quelque chose n'allait pas.

-          C'est Killian, il a disparu. Je sais pas où il est… Ça fait presque une demi-heure que je roule, je le trouve pas…

Il m'a demandé où j'étais. Je lui ai donné le nom de la rue. C'était à cinq minutes à pied de chez lui. Il m'a ordonné de l'attendre dans ma voiture. J'ai raccroché. Je n'ai pas bougé. A peine deux minutes plus tard, je l'ai vu arriver en courant d'une ruelle. Il a manqué de se faire écraser, s'est excusé auprès de l'automobiliste et m'a rejoint dans la voiture.

J'étais au bord de la crise de nerfs. A deux doigts de péter un câble. De pleurer. De taper sur ce que je trouvais. Marty a voulu paraître le plus calme possible.

-          Tu as été au squat ?

J'ai répondu par la positive. Je lui ai fait la liste des endroits où j'étais allés.

-          Tu es sûr qu'il n'y a pas d'autres endroits ? a-t-il demandé.

-          J'ai tout essayé, Marty, il est introuvable…

-          Je sais pas, un endroit qui aurait compté pour Cassie et lui ?

Le promontoire. J'aurais voulu me gifler pour n'y avoir pas pensé plus tôt. J'ai cherché la photo que Killian m'avait envoyée. Je l'ai trouvée. Je l'ai montrée à Marty.

-          Est-ce que tu connais cet endroit ?

Marty a regardé la photo. Il a eu un bref sourire qu'il a vite effacé.

-          C'est là que j'ai demandé Kathryn en mariage.

-          Il faut que tu m'y conduises. Maintenant.

Il a hoché la tête.

-          Prends la prochaine à droite.

J'ai démarré si vite que j'ai failli percuter un cycliste. J'ai tourné à droite. Marty m'a donné une autre instruction.

-          Il veut peut-être juste être seul, Pete. Ça a été dur pour lui dernièrement.

-          Il ne veut pas être seul.

Ma gorge s'est serrée. J'ai senti une larme perler.

-          Il veut se suicider.

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