La femme de mes rêves
laurentlesax
La première fois que je vis sa silhouette, c'était à Paris, dans un café, avenue du Général Leclerc. Le Café d'Orléans, un lieu où j'avais jadis mes habitudes. Je poussai la porte du café sans savoir, et m'assis à une des tables, en terrasse, espace fumeurs. Si je me souviens bien, elle était assise face à moi. Nous n'étions pas seuls. À notre table il y avait un homme qui parlait avec elle, avec nous. Il fumait le cigare. Sa fumée me revenait souvent au visage, mais cela ne m'importait pas, ne m'importunait que modérément: Je n'avais d'yeux que pour cette belle et mystérieuse jeune femme, assise en face de nous, qui parlait peu. Comme moi. Notre première rencontre. Elle écoutait l'homme volubile à notre table. Comme moi, sauf que je ne me souviens pas de quoi il parlait. Sans doute n'écoutai-je pas tant que ça… troublé par cette présence inattendue. Redoutant que mon trouble ne soit découvert, je tentai à maintes reprises et difficilement de détourner mon regard d'elle… regard qui se posait alors sur un verre, sur une lampe et s'y accrochait absurdement sans autre raison que d'en chercher une. Manœuvre ridicule et dérisoire : mes yeux revenant inexorablement vers les siens, qui ne me regardaient pourtant toujours pas ; Ou rarement ; Ou brièvement. Je scrutais, en secret, le parfait contour de ses lèvres, de son nez, de tout son visage, dans la pénombre du lieu, et m'imprégnait de son sourire comme pour le dessiner avec application en ma mémoire et tenter de l'y imprimer définitivement. Elle était belle. Si belle. D'une beauté étrange et envoûtante. Tranchante comme une lame de rasoir. Directe comme un coup de pied. Presque douloureuse. Dangereuse. Une beauté mystérieuse et sans appel. Magie irrésistible. En pensées, délicatement, je me hasardai à caresser ses longs cils, écrin de ses yeux bleus. Je baisai ses paupières, son front. En pensées seulement… dans le brouhaha de la discussion qui ne semblait se dérouler qu'entre elle et l'homme au cigare. Sans doute n'y avais-je pas ma place. J'étais comme spectateur de cet échange. Spectateur passif et neutre. Spectateur envoûté et muet. Qu'aurais-je bien pu dire qui n'eût été déplacé dans cette magie parfaite, de toutes façons? Alors je me suis tût, autant qu'il m'en souvienne. Je n'ai fait que regarder, boire de mes yeux avides le frais liquide de sa parfaite beauté coulant sur mon cœur. Laisser mes yeux emplis de cette étrange lumière.
Le souvenir de cette première rencontre est à la fois assez flou dans sa forme, son contour indistinct, mais aussi très net par certains détails, par certaines images qui restent gravées dans ma mémoire : Je me souviens bien de cette odeur de cigare, des Mojitos que nous buvions, les feuilles de menthe, les glaçons, les reflets de lumière à travers le verre. Je ne me souviens pas de comment nous étions arrivés là. Je me souviens du regard clair de la jeune femme, assise un peu en retrait, penchée sur sa chaise, regardant l'homme au cigare. Je ne me souviens pas de la teneur de la discussion entre eux, entre nous. Je me souviens de son sourire et de ses yeux, bleus comme un ciel de matin. Je ne me souviens pas du moment de la journée où nous nous trouvions, sans doute le soir, la terrasse me semblant sombre. Oui, le soir, car ensuite nous marchions dans la rue. Il faisait nuit alors quand, pour la première fois, elle s'adressa à moi : « Alors comme ça tu écris un roman ? ». Son subit intérêt pour moi me dérouta. Sans doute l'homme au cigare lui en avait-il parlé lors de cette discussion qui m'avait échappée. Je bredouillai une réponse évasive pour ne pas approfondir un sujet dans lequel je ne me sentais pas bien à l'aise, fort peu confiant en mes essais littéraires qualifiés pompeusement de roman. Ma réponse lui suffit sans doute, ou bien ne lui suscita pas davantage d'intérêt, car elle ne rebondit pas et enfourcha la moto de l'homme au cigare et s'éloigna dans la nuit sur cette avenue vers le Lion de la Place Denfert-Rochereau.
Au matin, en buvant mon café, je repensai à elle, à son doux visage. Son sourire. Je revivais alors en pensées cette étrange apparition nocturne, les yeux dans le vague, l'esprit encore un peu dans le sommeil, dans le rêve. Le cœur encore un peu étourdi par cette éphémère présence. Je retraçai le contour de son visage, de son sourire, dessinés la veille, tant appliqué que j'avais été à les mémoriser alors. Je souriais moi-même en finissant ma tasse. Puis j'allai travailler.
La deuxième fois que je la vis, nous étions à nouveau à une terrasse de café, mais de jour cette fois. Quelque part sur le Boulevard Saint Germain, près d'Odéon, face à la statue de Danton qui nous intimait, de son doigt furieux, l'ordre sans appel de déguerpir sur le champ, ce que nous ne fîmes pas. Nous étions-nous donné rendez-vous ? Je ne m'en souvenais guère. Peu importe comment, mais je l'avais retrouvée, comme par miracle, et nous étions à nouveau face à face. Il faisait un beau soleil. Peut-être était-ce l'été ? Ou bien un beau jour d'automne ? En tous cas l'homme au cigare n'était plus là. Il n'y avait qu'elle et moi sur cette terrasse. Je buvais un chocolat, elle un Perrier. À la table à côté de nous, se chamaillaient Bouvard et Pécuchet, deux petits vieux qui y ressemblaient en tout cas. Cela l'amusa et elle me le fit remarquer. Me demanda si j'avais lu le livre. Je répondis que non. Elle enchaîna.
Je ne sais plus par quel subtil stratagème, mais nous nous retrouvâmes, peu après, assis côte à côte et non-plus face à face. La terrasse était étroite, les tables serrées, et je pouvais sentir son épaule contre la mienne, sa chaleur. Son visage était plus proche du mien également et cette soudaine proximité ne fit que renforcer un trouble déjà bien présent depuis notre première rencontre. Elle parlait beaucoup, riait. Me regardait. Notre discussion, dont le sujet m'échappe à nouveau, semblait si naturelle et facile. Je dus dire quelque chose d'amusant et elle rit alors en s'inclinant de la tête et du buste vers moi un court instant, trahissant comme une tendresse naissante. C'est comme si elle allait poser sa tête contre mon épaule. Sans doute le réflexe d'une autre histoire. Elle se reprit toutefois bien vite et se remit promptement bien droite sur sa chaise, mais pas assez rapidement pour que cet instant fugace ne m'échappe… C'était doux, c'était joli. Mon cœur battait. Sans doute avais-je rougi un peu, aussi… Je me sentais merveilleusement bien à ses côtés, son épaule contre la mienne, nos cuisses s'effleurant parfois, nos yeux se croisant souvent. J'aurais tant aimé, à ce moment, qu'elle posa en effet sa tête contre moi… Mais c'était impossible bien-sûr et je tentais à mon tour de cacher ma réciproque tendresse pour elle en me forçant à ne pas trop la regarder. À regarder au loin. Une fois encore. Dure mission.
Café en main, pensif, je me remémorai à nouveau ce doux moment, au matin. Encore une belle rencontre pensai-je. Le mystère de cette jeune femme s'épaississait à mesure que je la rencontrais, et pourtant j'avais l'impression de la connaître chaque fois un peu mieux. C'est comme si je l'avais toujours connue en fait et que nos rencontres ravivaient juste un souvenir enfoui. Elle était comme un reflet de moi au féminin. Comme un écho dans mon cœur, un accord majeur, une résonance à mon âme qui se propageait sans trêve, irréelle et tenace, au-delà du sommeil, au-delà de la réalité et du temps. Une évidence.
Autre terrasse, autre moment. Me semblant être un restaurant cette fois, aux lumières jaunes, oranges. Décidément, nous ne pensions qu'à boire on dirait. Un lieu bruyant. Une table où nous n'étions plus seuls alors, mais entourés de toute une clique d'inconnus volubiles qui semblaient nous connaître et nous parlaient ainsi sans cesse. Elle et moi ne disions mot, abreuvés du flot de paroles des autres. Assise à ma gauche, je la sentais lasse et déçue. Sans doute déçue tout comme moi de cette intimité de l'autre jour perdue au profit de cette tablée agitée et indifférente. Rendez-vous trop bruyant. Pas possible de se parler tranquillement. Tête à tête gâché. Nos épaules, l'une contre l'autre cependant, nos pieds qui se touchaient parfois, étaient la douce force qui me permettait de tenir à cette table, d'y rester, de ne pas avoir envie de m'extraire de ce cauchemar assourdissant et me réveiller de ce rêve mal engagé.
Peu importait ainsi le bruit de fond, ce caquetage de la tablée de poules alignées face à nous, le cliquetis des couverts et des verres, les apartés et les rires sonores, car je pouvais sentir à nouveau son épaule tiède tout contre la mienne et je me sentais bien. Trouble d'adolescent qui découvre ses premiers émois. Sa chaleur emplissait tout mon être et je n'avais pas envie que cela s'arrête. Jamais. Besoin de rien d'autre. Je priai pour que tous ces convives, que je ne connaissais pas, continuent de tenir cette conversation à notre place, conversation que nous ne faisions, elle comme moi, que feindre d'écouter, tout à nos sensations de secrète intimité. Nos regards se croisant, à nouveau, souvent, plein de mots interdits, de rires cachés, d'impatience et de regrets de n'être pas tout seuls. Peut-être est-ce à ce moment-là que nous prîmes conscience de l'irréalité de nos moments ensemble, l'irréalité de nos rendez-vous, planants tout deux alors dans un sommeil profond que nous partagions mystérieusement certaines nuits. Nous rêvions ainsi, sans logique, sans but, sans espoirs si ce n'est celui de ne pas trop vite nous réveiller… mais conscients, malgré tout, de plus en plus à chaque fois, de traverser un rêve, ensemble. Notre rêve.
Nos paroles étaient sans mots. Nos mots sans échos. La mélodie de notre fugace bonheur était une musique qui n'avait pas de notes. Juste une harmonie. Le temps n'était plus, ne semblait plus être. Il n'y avait plus de jour, de nuit, de lumière ou d'obscurité. Il n'y avait qu'elle et moi, partageant cet étrange sentiment de pouvoir ou devoir nous retrouver. Comme une évidence. Comme une règle. Une règle que nous découvrions à mesure que nous nous rencontrions. Un schéma étrange qui nous réunissait malgré nous pour des moments inattendus, à des terrasses de café imaginaires ou bien d'autres lieux que nous ne décidions jamais.
Chacun dans son monde, il semblait nous être données, certaines nuits, comme des bulles où nous étions autorisés à nous revoir, des parenthèses communes. Un espace hors du temps et de la réalité. Un sas vers autre chose… mais vers quoi ? C'est comme si nous nous retrouvions, un peu comme à un parloir, certaines nuits, assis l'un face à l'autre derrière la vitre transparente mais infranchissable entre la réalité et les rêves, et je ne savais peu à peu plus trop de quel côté de la vitre se trouvait ma place. De quel côté je voulais qu'elle fût. Elle non-plus sans doute. Sorte de magie étrange qui nous réunissait malgré nous dans cette prison de verre et qui se jouait de nos émotions, de nos rêves, de nos nuits, de nos vies. De nous.
Au fil des rencontres, j'en vins ainsi peu à peu à me demander lequel de ces deux mondes était finalement le vrai ?… laquelle de ces parenthèses était bien la réelle ?… Deux univers qui n'auraient jamais dû se rencontrer et qui se mélangeaient ainsi en une confusion étrange où naissaient en moi, et en elle – si tant est qu'elle existât – des sentiments qui se poursuivaient d'un monde à l'autre. Je retrouvais, certaines nuits, cette femme de l'autre côté… Je l'espérais, je l'attendais. Mon émotion était bien réelle et se poursuivait ensuite à chaque réveil, comme une vague que rien n'arrête, pas même la lumière du jour. Étais-je en train de perdre pied ? De perdre la raison ? J'étais amoureux d'une jeune femme irréelle, apparue dans la nuit, coincée dans sa nocturne obscurité, au fil de mes rêves absurdes. Je pensais ainsi à elle tout au long de mes longues journées en espérant la retrouver le soir, la nuit. Je l'espérais si fort. Oui, sans doute devenais-je un peu fou. Je n'en avais pas l'impression pourtant. Mais bon, n'est-on pas un peu fou, de toutes façons, lorsqu'on aime ?
Autre jour. Autre nuit. J'étais en train de conduire un autobus dans les rues de Paris cette fois et descendais le boulevard Saint-Michel en m'arrêtant à tous les arrêts, consciencieusement, machinalement, machiniste de la RATP qui fait ses tours de bus, ses navettes en solitaire au cœur de Paris. Il avait plu et le sol luisait des guirlandes de lumières troubles des réverbères. Mon bus filait, glissant le long des caniveaux, comme un bateau sur une mer d'huile vers les mille reflets de la côte.
C'est à l'arrêt Les Écoles où j'accostai alors, que je la vis cette fois. Bonheur. Elle m'attendait, l'air espiègle et le sourire aux lèvres, contente de son effet de surprise. Mon cœur battit plus vite et j'en oubliai un moment d'ouvrir les portes arrières, ce qui me valut quelques requêtes agacées du fond du bus. Elle monta à bord et resta contre le portillon qui nous séparait. Contre moi, presque. Autre moment. Autre parloir. C'était doux de la revoir. Je me sentais bien avec elle. Incroyablement bien. Nous ne parlions pas forcément beaucoup, mais même nos silences étaient agréables, jamais pesants. Nos regards se croisaient. Nos sourires se répondaient. Je pense que nous étions heureux. Moi je l'étais en tous cas. Heureux comme jamais je ne l'avais été dans le monde réel, ni dans aucun rêve. J'avais envie d'attraper sa main et de la serrer longuement, mais je ne le fis pas, évidemment. Nous étions réunis, c'était tout ce qui comptait. Nous traversions la nuit tous deux, dans ces rues de Paris, magiques, pour un trop court voyage ensemble, mais un voyage d'une infinie tendresse, d'une infinie douceur. Un voyage juste à nous deux. Notre voyage, perdus ensemble dans l'obscurité de la nuit, de notre rêve commun. Derrière les vitres du bus scintillaient plein d'étoiles de toutes les couleurs qui défilaient en silence. Elle m'accompagna ainsi dans cette ronde de bus, jusqu'à la Gare du nord puis redescendit avec moi vers la Porte d'Orléans. Avant de quitter mon bus, elle me dit :
– « C'est dur de devoir se quitter sans savoir ni où ni quand on va pouvoir se retrouver… Tu ne trouves pas ? »
– « Oui. C'est dur… » répondis-je. « Mais cela doit bien avoir un sens, même s'il nous échappe encore… Toutes ces retrouvailles, toutes ces sensations lorsqu'on est ensemble, ça ne peut pas être pour rien, j'en suis sûr… »
– « Tu crois ? »
Je ne répondis pas… Je la serrai dans mes bras un court instant… puis elle s'évapora dans l'obscurité de la petite rue du Père Corentin… et je m'éveillai, triste et ému.
Chaque matin, le café me devint ainsi un peu plus amer, en repensant à ces visions d'elle, à nos rencontres nocturnes, absurdes. Amertume du réveil. Aigreur de la séparation. Je passai d'un monde à l'autre, d'une vie à l'autre, d'une histoire à l'autre, en un strident bip-bip de réveil… une fulgurante déchirure de lumière… et j'attendais alors chaque jour le soir suivant avec un peu plus d'impatience et de désir de la retrouver, quelque part… au gré des rêves.
Je pensais, en mes journées interminables à attendre la nuit, à des questions à lui poser lorsque nous nous retrouverions, afin d'apprendre à la connaître, connaître le monde dans lequel elle vit, connaître sa réalité peut-être ?… qui sait, pouvoir l'y retrouver ?… trouver une piste pour la rejoindre en vrai, lier nos deux mondes séparés par l'éveil, résoudre cette énigme… Mais chaque fois, sorte de magie noire ou d'invisible interdit, j'oubliais de les poser, et restais ainsi dans le mystère, à chaque réveil. N'était-elle donc que le fruit d'un délire nocturne né dans la chimie de mon cerveau, un simple rêve, ou bien était-elle une jeune femme bien réelle endormie tout comme moi dans un univers irréel qui nous réunissait alors par un étrange sortilège télépathique?
Il se passait parfois plusieurs nuits sans la voir. Des nuits alors inutiles. De mauvaises nuits polluées de rêves absurdes barrant notre bonheur d'être ensemble… et puis, soudain, sans savoir comment, je la retrouvais, au hasard des songes. Elle était alors dans ma rue, à ma table, à mes côtés… et son beau sourire illuminait l'obscurité de ma nuit à nouveau. Sentiment inexprimable de plénitude, d'équilibre, d'évidence. Oui. Nous étions le couple idéal. J'étais Tristan et elle Iseut, venue me sauver du poison quotidien de la vie, de l'arsenic réalité.
Cette nuit-là, la dernière, nous étions devant une porte cochère, sous la pluie, mains jointes et face à face. Je tremblais un peu. Il faisait froid, ou bien était-ce l'émotion. Je la sentais, elle aussi, frissonner. Une petite bruine nous mouillait les cheveux. Son front collé contre le mien, nous restions là, en silence. Parfois ses yeux se plantaient dans les miens, longuement, avant de retomber vers le sol, en silence. Étaient-ce des larmes, était-ce la pluie ? Je me souviens de son visage et de ce sentiment de tristesse. Cette impossibilité d'être tous les deux, pour de vrai, pour de bon. Silence et fatalité. Comme si nous savions que ce rendez-vous serait le dernier. Que ce prochain réveil nous séparerait définitivement. Que nos rencontres, interdites, ne menaient à rien et devraient, un jour ou l'autre, cesser. Un jour ou une nuit. Que devrait fatalement se briser ce sentiment de pur amour entre nous. Fort et douloureux. Infini et immatériel. Nos mains étaient jointes et nos bouches si proches que leur souffle même était presque un baiser. Je la serrai contre moi, son corps collé au mien. Soupir de plaisir. De chagrin. De désir. De regret aussi. J'avais envie de lui dire ces petits mots interdits et désuets que l'on n'ose prononcer de peur qu'ils ne brisent le charme. Lui dire que je l'aimais. Peur de ce ridicule, peur de la dérision, peur de la futilité de ces mots si souvent galvaudés, inutiles et presque vulgaires, mais qui m'auraient été si doux à prononcer à son oreille ce dernier soir, cette dernière nuit. Je ne dis rien. Nos lèvres se touchèrent, délicatement, tout doucement, fébrilement… Notre premier baiser. Notre dernier aussi. Chaud et tendre. Notre doux aveu, par la caresse de nos langues mêlées. Puis elle disparut. Pour toujours… dans la bruine froide de cette dernière nuit et jamais plus aucun rêve ne la ramena à moi, plus aucun rendez-vous ne nous réunit, plus aucune terrasse. Nos chemins de sommeil ne se recroisèrent plus jamais. Voilà.
Mes nuits sont, depuis, restées obscures et inutiles et si je rêve d'elle aujourd'hui, ce n'est que bien éveillé, lorsque mes pensées vont, parfois, se perdre encore dans les limbes sombres de la mélancolie. C'est uniquement le jour, quand mon regard la cherche dans les rues de la ville, sur le quai d'une gare, dans un autobus, à la terrasse d'un café, au grain d'une bruine de pluie. Partout et nulle-part… et si je la revois alors, ce n'est qu'en nostalgie, qu'en souvenir, quand apparaît son visage au détour d'une chanson, d'un air de musique ou d'un parfum, apporté par le vent.
Chaque matin je pense ainsi à elle. Je pense à ce baiser et à ce souffle chaud. Je pense à tous ces rendez-vous, perdus à jamais. Elle me manque… tant… et chaque soir je me dis que, peut-être, je vais la recroiser, qui sait, dans le dédale infini de ces songes nocturnes? Je me dis que je vais arriver à briser cette malédiction de verre, et enfin la rejoindre. Rester avec elle, pour toujours. Ne jamais plus lâcher sa main, laisser son bleu regard se détourner du mien. Mais cela n'arrive jamais. Elle a quitté mes nuits, trouvé le moyen de s'extraire de ces rendez-vous inutiles, se cacher de moi, me fuir peut-être… Sans doute a-t-elle a trouvé la clé pour ouvrir la porte du long couloir obscur, de la sombre impasse de nos nuits et s'en échapper à tous jamais, loin de nos retrouvailles irréelles aux confins du sommeil.
Oui, je pense à elle chaque jour. Absurde amour. Je me demande si elle a jamais existé… si elle est, en ce moment, comme moi, éveillée, quelque part dans ce Paris grouillant de gens, de lumière et de bruit, ou ailleurs, en voyage, à l'autre bout de la Terre. Je me demande si elle pense à moi, même un peu, juste un peu. De temps en temps. De nuits en nuits. Si elle regrette. Si elle est heureuse. Si elle est vivante. Si elle rêve à d'autres rêves, d'autres rencontres, d'autres baisers. Peut-être est-elle assise à un autre parloir, piégée dans un autre rêve, avec un autre moi, un autre homme qui saura, lui, la retenir. La garder. Lui offrir ce dont elle a besoin. Un homme, un vrai, qui la comblera comme je n'ai pas su. Pas pu.
Sans doute ne la reverrai/rêverai-je plus… Il faut m'y faire. Me résoudre à cette idée. Elle est partie. Pour de bon. Elle n'est plus. C'est comme ça... Sans doute n'était-elle qu'un mirage d'amour, une chimère romantique qui a traversé mon cœur en une absurde fulgurance, magnifique et tragique. Éphémère. Chaque soir pourtant, je prends soin de me recoiffer un peu avant d'entrer dans le sommeil. Je me pare, en pensées, de mes plus beaux habits… On ne sait jamais… Si elle revient ? Si je la recroise… si j'ai la chance de parler encore avec elle ? Lui expliquer tout ce que je ressens pour elle… la convaincre de ne plus jamais partir. Je dois être impeccable. Prêt. Mais cela n'arrive jamais. Je garde ma déclaration pour moi. Elle ne l'entendra plus.
Mes nuits sont longues et inutiles, depuis. Mes journées, sans soleil, sans l'ombre de sa silhouette qui s'étend jusqu'au soir et s'incline vers moi la nuit venue, de rêve en rêve. Elle me manque…