La fenêtre et l'arbre

Calame Scribe

4 Décembre 2018

 

Allongé sur son lit, il regarde vers la lumière. La fenêtre est petite, proportionnelle à la pièce somme toute ! Elle se situe au niveau du quart supérieur du mur, ce qui fait qu'il ne peut se placer face à elle, impossible de coller son nez sur la vitre et faire de la buée sur le carreau, comme quand il était petit, pour faire enrager sa grand-mère. Petit sourire à ce souvenir. 

Le mur étant épais, de son lit, le carré de ciel est encore plus petit que lorsqu'il est assis ou qu'il est debout mais il voit quand même la couleur du ciel, les nuages blancs ou gris, parfois ce n'est que du bleu. Assis ou debout, il voit le sommet de l'arbre. Cet arbre, c'est toute sa vie : il lui raconte la colère du vent. Lorsque les branches se plient vers la fenêtre, c'est un vent d'ouest, souvent accompagné d'une pluie battant le carreau, le mouillant sans le nettoyer. Séjours en Bretagne, après-midis pluvieux, c'était il y a longtemps ! 

L'arbre l'aide à définir les saisons, et de là, le temps qui passe. Couleurs changeantes des feuilles au fil de l'année, rameaux dénudés de leurs frondaisons et parfois blancs d'une neige posée en équilibre sur les frêles supports. Alors, il surveille la hauteur du dépôt neigeux, guette sa chute brutale : quelques centimètres seulement au milieu d'une branchette. Pourquoi à cet endroit, pourquoi sur une longueur de 5 cm et non de 10 cm. Un coup de vent et tout s'envole ! Batailles de boules de neige : réminiscences des rires de l'enfance. 

Septembre : il imagine dans quelques semaines le tapis d'or qui s'étalera au pied du tronc. Comme tous les enfants il aimait, de ses pieds, éparpiller les feuilles tombées. Émotion à cette évocation. 

Pluie d'automne : l'eau a gainé les feuilles rousses d'un glacis qui brille dans le soleil du soir. C'est beau, éphémère mais beau ! Différent de la pluie printanière qui fait frissonner les tendres nuances de vert pâle des feuilles en devenir. Il pense alors à ce renouveau de la nature qu'il ressent par procuration à travers cette fenêtre, grâce à cet arbre posé là par miracle dans l'angle lumineux qui sans cesse attire son regard. Bourgeons poisseux des marronniers de la cour de l'école : il avait quoi ? 8 ans ? 

L'arbre immobile reste figé sous le soleil lourd du milieu de l'été. Accablé par la canicule, il souffre, comme lui, de la soif, de la chaleur excessive. Il ne peut pas les voir, mais il imagine les oiseaux, tapis au plus épais de l'ombre, oiseaux sans voix, sans couleur qui se cachent, se protègent. Il ne les voit pas, mais, au printemps, il les imagine construisant leurs nids pour accueillir les oisillons qui feront les chants de demain, qu'il n'entendra pas davantage. Nostalgique, il se souvient du couple de mésanges qui avait fait son nid à côté de la boîte aux lettres de ses grands-parents. Interdiction de s'approcher quand la femelle couvait. 

Les sons extérieurs ne lui parviennent pas, ou si peu. Les murs sont trop épais, et puis il y a peu d'animation là où l'arbre a poussé. Les sons de la nature lui manquent : écouter la vie dans les bois, assis en tailleur sur sue souche était l'un de ses passe-temps favori quand il était jeune. 

Il sommeille, rêve ou cauchemarde, ça dépend mais, quand il se réveille, c'est vers la fenêtre qu'il tourne son visage. Il se lève alors pour voir le sommet de son arbre, sa vue le rassure. Tout est en place, rien ne manque. 

Fin d'automne triste comme la pluie, même si le ciel est aujourd'hui dégagé. Bruits inhabituels, surprenants par leur sonorité, par leur violence. Il ne peut pas voir ce qui se passe en bas mais, déjà, il s'inquiète, sait par instinct que ce brouhaha va bouleverser sa vie, que plus rien ne sera comme avant. Il tend le dos, attend la catastrophe, se raccroche désespérément au spectacle de cet arbre qui est son univers. Il voit les branches tressauter de manière anarchique alors qu'il n'y a pas de vent. 

Petit à petit, le sommet de l'arbre se déplace, il le suit en bougeant dans la pièce, il voit les dernières petites branches s'échapper de son champ visuel et, après un sinistre craquement, plus rien. Le ciel est nu, sans couleur définie, son arbre a disparu et c'est alors qu'il voit les quatre barreaux verticaux qui strient la lumière du jour.

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