La Fin des Atlantes
aziraphale
« Grand prêtre ? Le Temple coule. »
Si il ne haïssait pas déjà profondément les manières des Atlantes, le Grand Prêtre Atlar aurait tué de ses propres mains l'abruti qui venait de lui annoncer l'évidence de la fin d'un ton si badin. La décadence. C'était un bien petit mot, pour décrire l'état de la civilisation Atlantéenne. Leurs sciences avaient fait d'eux des dieux, capables de renouveler leurs corps et leurs terres a l'infini, rendant possible -en théorie-, l'éternel gâchis et la démesure absurde. Atlar aurait pu se laisser aller à son envie de meurtre : sa victime aurait juste subie quelques secondes de douleur, le temps de se rendre compte de la situation, avant de se laisser mourir elle-même et de se régénérer quelques instants plus tard, la colère du prêtre passée, colère qui serait bien évidemment pardonnée. La « folie atlante », comme la nommait Atlar, permettait toutes les ignominies : elles seraient de toute façon réparées l'instant suivant. Certains -Atlar le premier- prêchaient que bien que le fait horrible soit réparé, l'énergie malsaine consumait tout de même les âmes et la terre, mais on les traitait de réactionnaires.
Et à présent, Atlantide coulait. Ou plutôt, venait de couler. Seul restait pour le moment le Temple, sur une hauteur, et quelques Atlantes qui avaient choisis d'assister un peu plus longtemps au désastre. Car il ne s'agissait pas de se sauver : tous pensaient qu'ils pourraient se régénérer, lorsque les eaux se seraient retirées.
Le Temple constituait un vaste bâtiment de cristal changeant -il était rouge de la haine sourde du prêtre depuis des mois-, qui recouvrait toute la colline. Qu'il soit rouge aurait été un cas de mise en retraite du prêtre en place, il y à peine quelques siècles, lorsqu'on considérait encore la maitrise de ses sentiments et l'acceptation de son ombre comme des vertus. Mais depuis que les hommes étaient devenus tout-puissants, ils laissaient libre-cours a leurs sentiments sans aucune entrave, et « l'acceptation de l'ombre » devenait une débauche d'ombre malsaine : c'était à qui « acceptait » son ombre le mieux en l'exagérant au monde à qui mieux-mieux. Et ceux qui tentaient, en réaction à cette folie, de cacher leur part d'ombre, de la mesurer, étaient méprisés sans aucune vergogne, puisqu'il ne fallait pas laisser pourrir les sentiments -au pire, on pourrait toujours réparer les dégâts physiques-. La haine du prêtre envers le monde entier passait donc inaperçue, voire, pis encore, de bon ton, et on critiquait doucement, presque sur le ton de la politesse, la couleur pourpre du Temple.
« Je sais. Il coule. Avec tout le reste.
-A votre avis, combien de temps durera l'immersion ?
-Plus d'années que vous ne le pensez.
-D'années ? Allons. Je parlais d'heures, tout au plus de journées ! Nous sommes sur une hauteur, vous le savez.
-Pauvre imbécile! Ce n'est pas l'eau qui monte, c'est Atlantide qui coule. Vous l'avez dit vous même. »
Atlar détourna le regard de son interlocuteur, qui tourna les talons en riant, l'air de penser que le pauvre prêtre supportait mal le stress, à son âge vénérable. Pensez bien, au bout de 6700 ans, on commence à vouloir se retirer et à aspirer à moins d'évènements chahutants -comme par exemple la chute de son monde-.
L'eau grignotait maintenant les marches de grès du Temple. Bientôt, dans une heure au plus, ils seraient tous à l'eau. Rares seraient ceux qui tenteraient de nager : ils se laisseraient mourir pour la plupart, persuadés que cela ne durerait pas et qu'ils n'auraient qu'à se régénérer d'ici deux jours au plus tard. Pendant ce temps, ils feraient une petite sauterie dans l'Astral, histoire de passer le temps.
D'autres, une minorité, tenteraient de se sauver à la nage. Par fierté matérielle, uniquement : ils étaient conscient qu'ils finiraient par mourir.
Oui, mourir. Et non pas attendre de se régénérer. Ils abandonneront leurs corps, leurs souvenirs, tout ce qui faisait qu'ils étaient eux-mêmes depuis des millénaires, pour se réincarner dans les enfants des familles Atlantes sur les autres continents -moins avancés, certes-. Se réincarner, redevenir les mortels qu'ils étaient. Recommencer ailleurs, sortir du cercle sclérosé dans lequel Atlantide avait plongé, dans tout les sens du terme.
Car les Atlantes qui étaient restés conscients du marasme -dont Atlar- savaient tous pertinemment pourquoi leur continent sombrait : chaque acte malsain perpétré depuis des centaines d'années par les Atlantes sur eux mêmes ou leurs voisins dégageait une énergie chargée de haine. Et la Terre en tombait malade. A tel point que la conscience collective des Atlantes n'eut d'autre choix que de précipiter, inconsciemment des individus, la chute de l'Atlantide, pour se sauver d'une mort totale. Une purge radicale.
Atlar resterait le dernier vivant. En vertu d'une ancienne coutume, datant des temps barbares où la guerre subsistait, qui voulait que les prêtres soient les derniers a mourir lors des éventuels pillages de Temple. Fierté mal placée, sans aucun doute, mais Atlar s'autorisait ce dernier vice avant de retourner au Cycle des Réincarnations originel.
A fur-et-a-mesure que l'eau montait le long de son corps, la haine qui l'habitait depuis maintenant des mois, des années, le quittât doucement, pour ne laisser qu'un doux sentiment de bienveillance envers ce peuple, son peuple, qui n'avait cessé de s'éloigner de sa nature profonde. Et, lorsque l'eau emplit ses poumons et que ce fut l'heure de mourir, sa seule préoccupation fut que son esprit se réincarna dans un corps où il put faire œuvre de paix.