La France du milieu du 17e siècle

Dominique Capo

Thèse personnelle en doctorat d'Histoire, pages 19 à 21

Le milieu du XVIIème siècle est marqué, dans la majorité des territoires de l'Europe, par une stagnation de la population. En France, par exemple, le seuil des 20 à 22 millions d'habitants, atteint vers 1550, n'est toujours pas dépassé. Mais, cette tendance générale est toutefois nuancée par de brillantes exceptions ; comme dans les prospères Provinces Unies et dans certaines régions d'Angleterre. Et en France même, même la Bretagne se singularise par une sensible croissance démographique.

Cet état de fait s'explique avant tout par les freins que l'augmentation naturelle de la population subit, et l'absence de toute révolution agricole, ou mutation technologique. Jusqu'au Siècle des Lumières en effet – près de 100 ans plus tard – le rendement moyen du blé reste stable et très faible. Pour un grain semé, on n'en récolte pas plus de trois à cinq. Ainsi, la fragile économie agraire, partout dominante, est-elle soumise au moindre dérèglement climatique : un Printemps pluvieux ou un Hiver trop rigoureux, qui tue les semences dans les sillons, suffisent à provoquer une brusque poussée des prix, et condamne inexorablement les plus démunis à la disette. Et la faim, qui affaiblit les corps, se conjugue souvent avec les épidémies, qui fauchent des centaines de milliers de vies.

A la fin du XVIIème siècle, l'économiste Britannique Malthus verra dans la multiplication des crises de mortalité l'effet des lois de la nature. Il pensera que ces crises tendent à réguler les différences entre la croissance de population et celle de la production agricole. De fait, leur récurrence, dont la plus terrible apparaît en France en 1693-1694, fait deux millions de victimes ; soit, 10 % de la population.

« De la famine, de la peste, délivre-nous Seigneur » est t'il régulièrement écrit dans les registres paroissiaux entre les relevés des baptêmes, des mariages, ou des enterrements. En effet, le curé y inscrit parfois cette prière pour accompagner la macabre comptabilité à laquelle contraignent les terribles hécatombes de 1693, du grand hiver de 1709. Tout le XVIIème siècle, que l'on clôt habituellement en 1715 avec la mort de Louis XIV, voit donc alterner de courtes périodes heureuses, et des crises particulièrement violentes, avec de multiples nuances locales. Un village, une province, peuvent ainsi prospérer au milieu d'une population qui souffre de disette. Dans les années 1661-1662, lorsque Louis XIV affirme son pouvoir personnel, après la mort de Mazarin, une disette, puis une famine, accompagnées de graves épidémies, frappent le pays. Elles touchent surtout les pays de la Loire et le Bassin Parisien. Les mémoires de Louis XIV destinées au Dauphin disent que « la stérilité de 1661 affligea tout le royaume. ». Le 16 Mars 1662, l'intendant de Caen signale au ministre Colbert qu'il y a des paysans qui se nourrissent plus que de racines, de choux crus, et de légumes. Il écrit également qu'il y a des personnes qui ont passé quatre mois entiers dans cette ville sans avoir autre chose à manger. D'après les députés des villes et des élections de la province d'Anjou, de Laval, et du Maine, les paroisses se sont trouvées réduites à la moitié du nombre de leurs habitants. Et ainsi, tout le peuple a été accablé, et réduit à la mendicité.

De fait, les crises de subsistance contribuent à amplifier les différences sociales. Les plus apparents, comme disent les textes du temps pour désigner les riches, qui possèdent et négocient le produit de la terre, peuvent spéculer sur les grains. Ils peuvent également attendre, pour vendre, les périodes de cherté maximale, entre les mois d'Avril et de Juillet. Ils disposent aussi d'assez de ressources pour prêter aux plus démunis, qui doivent payer l'impôt, ou simplement, tenir jusqu'à des temps meilleurs. Au contraire, le paysan pauvre, le manouvrier, le journalier, ou l'artisan des villes, n'ont rien à vendre. Souvent dépourvus de vivres, ils sont plus que jamais les victimes directes et impuissantes des crises répétées. Aussi, dès que les prix augmentent, ils se privent. Ils empruntent sur gages, ils consomment des nourritures avariées ou infectes, des graines déterrées, du pain de son, des orties cuites, ou les entrailles de bestiaux qu'ils ramassent devant les abattoirs.

Toujours selon les mémoires de Louis XIV, ceux qui, en pareil cas, « ont accoutumé de profiter de la calamité publique » ne manquèrent pas de fermer leurs magasins, « se promettant dans les suites une plus grande cherté, et par conséquent, un gain considérable. ».

Ainsi, la misère et la disette condamnent des dizaines de milliers de pauvres à l'errance, aggravant la crainte des gens de bien. Ces derniers, bourgeois, officiers, ou notables, sont de plus en plus effrayés par la multiplication des hommes et des femmes sans feu, sans lieu, sans aveu. Car, pour eux, pour eux, pauvreté et délinquance sont souvent associés dans cette même peur de l'autre qu'incarnent le mendiant et le miséreux. Aussi, les municipalités tentent t'elles de limiter les effets des crises. Aides ponctuelles, greniers de prévoyance, accompagnement spirituel et évangélisation sont les premiers remèdes, complétés par les corps de chasse de gueux, qui, armés de bâtons, expulsent de force les errants hors des villes.

En 1656, le pouvoir royal crée l'Hôpital Général de Paris : c'est une maison chargée de lutter contre la mendicité, et d'imposer un travail obligatoire à tous les oisifs valides recueillis. En 1663, au lendemain de la dramatique crise de subsistance qui accompagne l'avènement de Louis XIV, il abrite exactement 6171 personnes. Il s'y trouve, entre autres, 3000 valides ou infirmes, 1300 enfants, 250 ménages, 200 femmes ou nourrices. Mais cet espace ne fut jamais l'immense prison que l'on a parfois décrite. Néanmoins, un édit de Juin 1662 décide que, à l'imitation de l'Hôpital Général parisien, un hôpital sera établi dans chaque ville et chaque bourg du royaume. Celui-ci sera réservé aux pauvres, aux malades, aux mendiants, et aux orphelins. Tous y seront instruits à la piété et à la religion Chrétienne, ainsi qu'aux matières dont ils pourront se rendre capables. Par contre, il ne leur sera pas permis de vaquer, ni, sous quelque prétexte que ce soit, d'aller en ville, ni de venir dans la capitale. Et ils seront contraints, par les habitants des villes et des gros bourgs, d'emprunter toutes les bonnes voies raisonnables. Malheureusement, comme souvent dans cette France d'Ancien Régime, le fossé est grand entre le projet de l'édit, et la réalité du renfermement.

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