La fuite
hopeanddreams
Mes doigts sont couverts de sang, je pousse un cri et m'enfonce alors dans les bois. Mon cœur bat la chamade, mon corps tremble et je sent les larmes me monter aux yeux. Détresse, angoisse, faiblesse. Je ne peux plus fuir à présent. Il me faut affronter la dure réalité. J'ai tué un homme. Un être humain avec une famille, des amis, un chien peut être. J'ai, par ma simple action, privé des dizaines de personnes d'un père, d'un frère, d'un collègue, d'un fils, d'un mari, d'un cousin, d'un ami... J'ai mis fin à une vie. Pourtant, on écrase des fourmis lorsqu'on marche dans l'herbe, on percute parfois un chat en conduisant, on tue des poulets, des cochons, des bœufs chaque jour sur terre. Où est la différence ? Un homme, on l'enterre, on le pleure, on le fait vivre à travers nous. Un humain, quand il meurt, fait ravage sur son passage.
Tout en ruminant ces sombres pensées, je trempe mes mains dans le ruisseau glacé. Il ne faudrait probablement que quelques minutes à la police pour arriver sur les lieux, les habitants de la ferme voisine ayant dû l'alerter. Fallait-il que je me rende ? Et finir le reste de ma vie en prison ? Fuir et ne jamais retrouver une vie normale ? Le hululement d'une chouette me fit sursauter, je tournais la tête, me relevais et tendis l'oreille.
« Il y a quelqu'un ? » demandais-je. Seul le silence me répondit. Non, ils n'étaient pas encore arrivés ; je devais faire un choix maintenant. Haletante, en sueur, j'avançai dans les broussailles. Dans le ciel, se détachait le disque argenté de la Lune. La brise légère s'emmêlait dans les branches de sapins qui s'élevaient haut dans la nuit. Une beauté dont je n'aurai peut-être plus la chance de profiter dans ma cellule ou dans ma vie de hors-la-loi.
Une sirène retentit soudain, la police arrivait ! Vite, je me remis à courir tandis que la panique me submergeait. Dans ma course, des images surgirent et s'imposèrent à mon esprit. Antoine, souriant m'annonçant qu'il allait avoir un fils, s'étonnant de ma réaction vive, plissant son nez aquilin de surprise, riant aux éclats de ma jalousie maladive, et enfin couvert de sang, agonisant, devant moi, un couteau à la main... Le couteau ! Je l'avais laissé sur les lieux du crime avec mes empreintes dessus ! Je trébuchai sur une racine et m'étalai sur le sol le nez dans la terre. Des bruits de pas retentirent non loin de là. Je tenta de me relever la cheville douloureuse mais je retomba brutalement et me cogna la tête sur une pierre. Je sentis un liquide chaud me couler sur le visage. Ma vision commença à se brouiller.
Tout d'un coup, un bras surgit de nulle part et me saisit à l'épaule. Je fus traînée à l'écart. Je ne cherchai pas à me débattre, j'étais trop faible, mais je voulus parler. Je demandai qui était la personne qui m'emmenait, je n'obtins aucune réponse de l'inconnu. Celui-ci m'allongea dans un bosquet et repartit. Gémissante, je tentai de me redresser, en vain. J'attendis donc le retour de mon sauveur si s'en était bien un. Le temps passa mais personne ne vint. Il me semblait que des heures s'étaient écoulées depuis que j'avais commis l'irréparable, mais j'étais toujours seule. Je songeai à l'enfant que j'avais privé d'un père. Sa mère devra l'élever seule, dans le chagrin et la douleur, il ne connaîtra jamais qu'un seul parent. J'aurais pu être cette mère, sa mère, et Antoine son père, nous aurions été une famille heureuse tous les trois.
Mais il avait fallu qu'il la préfère elle à moi. Après la mort de mes parents, j'avais réussi à reconstruire ma vie grâce à lui. La séparation datait d'un an mais la plaie ne s'était toujours pas refermée. Pourquoi m'avait-il abandonnée ? Pourquoi en étais-je venue à le tuer ? Peut-être valait-il mieux que je mourusse ici plutôt que de vivre avec cela sur la conscience.
On ne me laissa pas le choix, quelques instants plus tard, la police arriva.
« - Madame ? Vous allez bien ? Vous êtes blessée , Répondez, répondez !
- Elle n'a pas perdu connaissance, elle est juste un peu sonnée.
- Les secours vont arriver d'une minute à l'autre, ne vous inquiétez pas mademoiselle. »
Les voix me paraissaient lointaines. Déjà, je sentais la vie quitter mon corps, la dernière chose que je vis fut ce visage ensanglanté au nez aquilin...