La grenouille et la casserole

Christian Pluche

une fable sur la vie d'aujourd'hui...

            ― Tu connais l'histoire de la grenouille ? Michel surpris par ma question ne répondit pas tout de suite. Il ne répondait jamais « non » ou «  je ne sais pas » mais répondait toujours à une question par une autre question.

            ― De quelle grenouille parles-tu ? Parce que des histoires de grenouille j'en connais plein tu sais ! Il y a celle qui voulait se faire plus grosse qu'un bœuf, et puis…

             ― Ma grenouille n'est pas aussi prétentieuse, elle ne demande que le droit à la paresse dans sa casserole. Ma remarque attisa sa curiosité.

             Il avait sauvé la face, montré son érudition en matière de batraciens. Il me donnait tacitement l'autorisation de continuer mon récit à peine commencé. Son regard brillait d'une curiosité certaine, il aimait les histoires depuis toujours et je le savais. Je me raclais doucement la gorge, mon histoire allait démarrer.

             Michel était attentif. Je commençais donc l'histoire de la grenouille dans la casserole. La casserole posée sur la cuisinière, le gaz allumé. Elle trouve ça très plaisant la grenouille. La situation est absurde, une grenouille qui se baigne dans une casserole.

Donc l'eau est tiède, une température bien agréable pour une grenouille habituée à l'eau de sa mare. Bien plus propre, plus limpide aussi.

Alors elle barbotte gentiment la petite grenouille et profite de l'instant présent. Elle ne  pense pas à sauter hors du récipient. Un peu comme toi cet été Michel, dans la piscine, on était si bien, aucune envie d'en sortir tu t'en souviens ? L'envie de voir ce moment s'étirer en une longue tranche d'éternité.

La grenouille sent bien pourtant que la température monte doucement. Mais qu'est-ce que c'est qu'un degré de plus ? Puis un autre ? Et encore un autre ? Elle est bien, alors pourquoi sauter pour aller voir ailleurs ?

             Michel me regarde, il attend la chute, il s'interroge sur le sens de cette histoire. Je lis dans ses yeux des points d'interrogation. Mais moi, j'ai envie de faire durer l'histoire pour gagner du temps et retarder l'issue fatale, degré Celsius après degré Celsius, jusqu'à voir la pauvre grenouille ébouillantée de ne pas avoir su réagir à temps. Elle était tellement bien, l'eau était si délicieuse. Elle n'avait jamais connu une telle félicité la pauvre petite grenouille. J'insistais et me répétais au risque d'être un peu lourde, mais Michel ne comprenais pas le sens caché de cette histoire. Une grenouille ébouillantée dans une casserole la belle affaire !

             L'eau bouillonnait maintenant à grosses bulles, la grenouille flottait sans vie. Sa dernière pensée a été  « si j'avais su… » et son cerveau s'est arrêté de fonctionner en plein milieu d'une idée, embrumé par la vapeur d'eau. Et maintenant elle flotte, la petite grenouille, le ventre en l'air de n'avoir pas réagi à temps…

             Michel me regarde toujours sans comprendre, interrogatif, où est la chute ?

             ― Et bien tu vois Michel, je ne veux plus continuer à partager… hum, disons la même casserole d'eau chaude, le même quotidien… Je te quitte Michel…Je te quitte.

 

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