La Guêpe

Jane Doe

Il était une fois une princesse folle et mal élevée qui fasait des collages de femmes qui ont leurs règles parce que les siennes lui manquaient.

Elle était frustrée, la Guêpe. Personne ne connaît son vrai nom, elle a sûrement un prénom à la con, comme Clara ou Bérénice. Je la comprends, moi aussi je prendrais un nom d'insecte si on m'avait appelé Bérénice.

La Guêpe a le regard vide et des cheveux courts qui chatouillent sa mâchoire. Elle les a teint en bleu marine, ça lui va bien. Elle a un corps frêle, je pense qu'elle doit s'y sentir à l'étroit. Elle est encore plus maigre que moi, c'est frustrant. Parfois j'ai envie de comparer la circonférence de nos poignets, pour savoir qui est la plus malade mais je sais qu'elle gagnerait.

Elle passe son temps à découper des images dans des magazines et des journaux pour les réassembler. Elle ne ressemble plus à rien, dans ses vêtements amples, les sourcils froncés, les yeux plissés, penchée au-dessus d'une feuille de papier sur laquelle elle colle une montagne de petites formes de papier glacé. Quand elle a fini, elle me demande de juger. C'est joli ? Oui, très. Toujours la même réponse, même quand c'est laid, je n'ai pas envie de la blesser, elle a l'air si fragile, elle pourrait s'effondrer à la moindre critique. Sous le glacis de colle, on voit toujours des femmes, les jambes écartées, le sang de leurs règles qui coule. La Guêpe et moi nous avons perdu les nôtres il y a longtemps.

Elle est la seule personne en qui j'ai confiance, on ne parle pas souvent et je me contente de la regarder coller des jambes, des corps et du rouge. Il y a quelque chose de rassurant dans le fait d'être assise à côté de quelqu'un qui créé. Les idiots passeront devant ses collages en pensant regarder le travail  d'un enfant à l'esprit obscène, mais la Guêpe est la plus délicates des patients et son travail est si précis qu'on sent l'odeur moite du sang lorsqu'on jette à un œil à ce qu'elle fait.

Nous ne prenons pas les même médicaments, elle prend des antidépresseurs, j'ai des neuroleptiques. Elle a de la chance, et elle le sait, ses médicaments ne lui donnent pas faim, les miens peuvent me rendre obèse.

Un jour, elle m'a tendu l'un de ses collages, c'était un cadeau. Toujours une femme avec ses règles. Elle avait utilisé les trains rouges et bordeaux d'un catalogue de jouets pour faire le sang. Et la femme, la femme en train de souffrir, avait le ventre rond et mou, les cuisses pleines de capitons et des bras pendants. C'était moi. Elle n'a pas eu besoin de le dire, c'était explicite, elle s'était appliquée à colorier sa peau en brun pour qu'elle ressemble à la mienne. Elle me narguait, elle bourdonnait dans mes oreilles, elle me demandait de faire attention, et de ne surtout pas me laisser faire.

Le lendemain, je lui ai écrit un conte, celui d'une petite princesse mal élevée qui tenait à rappeler qu'elle était plus atteinte que les autres, et qui finissait morte parce qu'un dragon avait besoin de cure-dent et que ses tibias étaient parfaits pour cet usage.

Elle ne m'en a pas voulu, la Guêpe n'est pas rancunière. Elle a froncé les sourcils, puis elle s'est remise à coller avec son bâton de colle rouge et ses magazines en papier glacé, et je me suis assise à côté d'elle.


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