La horde

David Walter Avila

Survint la horde.

Elle arrivait sans prévenir, de nulle part.

Oui, ces gens avaient eu une enfance, des rêves et des espoirs. Désormais, l'idée que ces êtres aient eu un passé semblait invraisemblable. Ils n'avaient plus de passé.

On voyait errer leurs pupilles désincarnées, sans un semblant de vie. Modelés par une lente souffrance, leurs traits étaient informes. Ils déplaçaient leurs corps en manque, leurs âmes mortes, leurs silhouettes évaporées. Et sur leur visage, on lisait une expression d'un neutre infini. Ils n'étaient plus qu'un continent de vide.

Ils déambulaient sans motif, ces désœuvrés, parcourant les rues désertes de la métropole. Depuis quand exactement sévissait-elle, cette horde, cela était difficile à déterminer. Les archives restaient muettes. Pas de date fondatrice, de manifeste politique pour ce mouvement hors de toute norme, insaisissable par nature. Une manifestation spontanée, animale, instinctive ; c'est ainsi que l'on pouvait définir la horde. Les rares tentatives d'analyse s'étaient heurtées à un mur de non-dit. Ce pesant silence puisait ses forces dans la honte, le dégoût et la peur que suscitait la simple évocation de la horde auprès du reste des habitants.

Pourtant, ils s'étaient regroupés, un jour, ces hommes et ces femmes, dans une place non loin du centre-ville. Fruit troublant du hasard, leur rassemblement s'était produit ; mais il ne fut jamais documenté.

Face à la horde, la population avait choisi son camp : la défaite. Elle avait déserté la ville, sans un mot, sans concertation. La horde gagnait en puissance, son invasion devenait chaque jour plus palpable. Les anonymes, eux, sentaient la fin proche de leur société patiemment construite ; cette société paisible, avec sa bonne conduite et ses lois, sa politesse et ses rites initiatiques. Tout s'effondrait dans un bruit sourd, dans l'ombre d'une révolte sans logique, imposée par cette horde abjecte. Le souvenir d'un ordre éphémère, voilà ce qui resterait de ce prototype de civilisation. Les ruines encore fumantes de l'idéal humain, voilà ce que la horde laisserait derrière elle. L'anarchie était là ; le règne du désordre, tel était l'unique dessein de l'humanité laissée à elle-même, sans justice ni morale. La horde asseyait son empire.  

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