La lettre
Lisa Mody
Il soupire. Encore une journée fatigante. Pas sans soucis. Il pense à son ami routier, Éric. Il soupire de nouveau. Il arrive sur le pas de la porte. Il se rappelle qu'il a oublié de relever le courrier. Il redescend jusqu'à la boite à lettre. Une carte d'Italie. Justement, il s'agit d' Éric. Le veinard, il doit bronzer au soleil alors que lui trime dans ce zoo infernal. Il passe la porte, se laisse tomber sur le vieux canapé usé, ouvre l'enveloppe, commence à lire. Éric parle avec aversion de son métier, qui l'oblige à voyager, qui est trop calme et ennuyeux.
L'homme finit de lire la lettre et sourit. Il semble dans la lune, sûrement en train de penser à l'Italie. Il baille, prend une feuille blanche et commence à écrire.
Cher Éric,
je viens de finir cette lettre où tu décris avec répulsion cette solitude dont je rêve si souvent, cette tranquillité tant enviée. Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as de pouvoir voyager. Combien donnerai-je pour partir à ta place ? Vaste question dont la réponse m'est inconnue. Beaucoup, sûrement. Être routier semble soudain à mes yeux un bien meilleur métier que gardien de zoo.
Il soulève sa plume, repart dans la lune. Bien sûr, il hait son métier. Chaque jour, il doit supporter l'agressivité des lions, les sifflements exaspérants des perroquets... Toujours le même décor, les mêmes personnes, les mêmes ennuis.
Le matin, lorsque j'arrive, ils se redressent tous avec cette lueur mauvaise dans les yeux, et je sais qu'ils ne comptent pas me laisser une journée de repos... Alors je pense à toi, simplement assis à bord d'un camion, conduisant tranquillement.
De nouveau, il lève sa plume. Rien que parler de cette grimace moqueuse qu'ils font en le voyant... Horrible. Tout simplement horrible. Comme s'ils réfléchissaient à un moyen de torturer son esprit tourmenté. Il tressaille. Il ne veut même pas y penser.
Je ne pense pas que tu puisses imaginer le cauchemar que je vis au quotidien, et je suis obligé de prendre des médicaments pour calmer le stress que me causent ces animaux. ( À ce point. )
D'ailleurs, il les a oublié. Il se lève et va les chercher. Il se sert un grand verre d'eau et les avale. Retour vers la lettre.
Hier, un macaque est sorti de sa cage pour se mettre derrière moi et imiter chacun de mes gestes. Tout le monde riait. Je n'ai pas compris sur le coup. Dur comme métier ! Tu ne sais pas ce que c'est que de devoir supporter les moqueries de ces singes pendant une heure avant qu'un autre ne te remplace à contrecœur. Toujours le même paysage vert, jamais de changement, à part l'humeur de ma supérieure. Chaque animal est particulier, chacun a sa façon bien à lui de se moquer, de me créer des soucis. Entre les crachats de lamas, les ânes complètement stupides et les tortues tellement lentes à réagir, je ne sais plus où donner de la tête. Il y aussi ce petit lémurien, au fond de la troisième allée ; petit primate malicieux aux yeux pétillants. On pourrait le croire des plus inoffensif, mais il ne faut pas s'y tromper ; j'y reviendrai tout à l'heure.
Je suis las de cet endroit, las de devoir sans arrêt contrôler ces bestiaux sans cervelle.
Il pose sa plume encore une fois. Ses mains tremblent. Il essuie du revers de sa manche les gouttelettes de sueur qui perlent sur son front. Il souffle. Il se souvient du premier jour au zoo. Il avait montré qu'il voulait être respecté ; les animaux avaient semblé rire. Rire d'un sot qui pensait pouvoir les supporter, d'un jeune idiot qui avait cru pouvoir les faire obéir. Maintenant, il avait comprit. Il était impossible de faire quelque chose d'eux. Impossible de créer un semblant d'ordre dans cet endroit. Pas étonnant que certains partent en dépression. Lui même n'en était pas loin. Il reprit son crayon et continua.
Comme cela doit être apaisant de passer une journée à conduire, oubliant jusqu'à cet horrible serpent qui se glisse derrière toi et manque de t'étouffer. Mes collègues pensent la même chose que moi ; souvent nous discutons à l'abri de leur venin, et je me rends compte que nous sommes beaucoup à penser que tous ces animaux sont fous. Mais ma supérieure refuse d'admettre notre échec quant à les contrôler. Elle pense qu'il est possible de les éduquer; ne veut rien entendre. Mais il faut admettre que cet affreux lémurien de la troisième allée est un calvaire ; Il te fait d'immenses sourires, paraît tout sage, mais dès que tu détournes le regard, tu le retrouves avec ton paquet de carambars dans sa petite patte et une petit sourire triomphant sur le bout des lèvres.
Amicalement,
Jean-Marcel Le Marchand
Professeur de Français.
Ps : Cette classe de 3e finira par m'avoir...
Oui, tu as raison ! Merci du conseil ;)
· Il y a plus de 13 ans ·Lisa Mody
Je "changerais", bien sûr, au lieu de "chanterais"...
· Il y a plus de 13 ans ·rocco-cartland
Pas mal. Perso, j'avais deviné avant la fin, mais j'avais lu un texte similaire il n'y pas longtemps et, en plus, c'est peut-être un peu maladroit d'annoncer à l'avance qu'il va y avoir une chute surprise. Mais bien imaginé, je chanterais juste le titre.
· Il y a plus de 13 ans ·D'un autre côté, il est vrai que ça encourage à lire jusqu'au bout...
rocco-cartland