La machine.

sphtst

Simon et ses amis vivent en colocation, mais il est distant depuis quelques temps.

_______________________________________________________

 

            L'endroit était silencieux lorsqu'il passa la porte. Il devait être approximativement vingt-trois heures, ou peut-être minuit passé. Simon perdait la notion du temps lorsqu'il révisait à la bibliothèque et il était souvent le dernier à rentrer dans l'appartement. En passant par la cuisine, il vit son repas laissé au chaud, comme chaque soir. « Bon appétit ~ A demain, si nous avons la chance de te croiser. Reposes-toi un peu petit ! » Il fut encore une fois touché par l'attention que lui portaient ses amis. Il ne les avait pas vus depuis deux jours, ses révisions intensives lui prenaient un temps fou. Mais il en avait besoin. Il avait choisi médecine, il savait à quoi s'attendre. Il fallait qu'il soit prêt. Qu'il soit fort, et parfait. Meilleur, jours après jours. Cela l'épuisait, le bouffait presque. Il passait son temps à travailler heures après heures les mêmes fiches, à répéter les mêmes mots savants et à apprendre les mêmes cas. Il s'enfermait dans une salle jusqu'à la fermeture de la bibliothèque pour se concentrer, ne pas être perturbé par les autres. Et de jours en jours, il gagnait en force. Les examens arrivaient dans plus de deux mois, et il serait prêt. A cette pensée, le jeune homme esquissa un sourire qui lui tordit les muscles. Il était à bout de force, et ne ressentait pas même de l'appétit sinon de la fatigue. L'horloge du frigo affichait une heure du matin. Simon soupira ; dans quatre heures il devrait se lever. Recommencer une journée comme celle-ci.

Et l'éviter encore.

« Tu devrais manger un peu, si tu n'as pas l'intention de dormir. »

Simon sentit son cœur se lever : elle l'avait surpris et il avait horreur de ça. Il respira profondément pour calmer son rythme cardiaque, qui avait tendance à s'emballer trop vite à cause de l'épuisement. Et lorsqu'elle était là.

« Excuses-moi, je ne voulais pas te faire peur. Mais je t'ai entendu rentrer.

- Je vais me coucher, répondit juste Simon. »

Ils partageaient un grand appartement avec quatre autres de leurs amis. Ils avaient tous décidé de tenter leur chance à la fac et leurs parents n'avaient pas les moyens de payer quoi que ce soit. Alors ils avaient trouvé cette solution, et elle était plutôt parfaite. Chacun avec son rythme, chacun avec ses études et jamais de prises de tête. Ou peut-être si, mais Simon était souvent absent. Et il n'avait pas le temps de penser à ça.

 Avec nonchalance, il traversa la cuisine et sans adresser ni geste ni parole à Laura, le jeune homme alla rejoindre sa chambre.

Laura fut touchée, blessée presque. Deux jours. Son ami ne lui adressait plus la parole depuis deux jours. Mais ce qui inquiétait le plus la jeune fille était que son ami se transformait en véritable machine. Simon était dans un sale état, et cela continuerait d'empirer si elle n'agissait pas. Il se détruisait, et pas seulement physiquement. Il ne fallait pas qu'elle laisse passer ça. Elle ne pouvait pas de toute façon, le regarder se briser était au-dessus de ses forces.

Furieuse, et frustrée, Laura marcha sur les pas du jeune homme et le rattrapa. De justesse, elle le bloqua devant la porte de sa chambre, s'entreposant entre celle-ci et son ami.

« Il faut qu'on parle, lança-t-il l'air grave. 

- Il faut que je dorme.

- Tu vas passer la nuit à réviser avec ta musique dans les oreilles à écrire dans ton foutu journal Simon, joues pas au plus malin avec moi. »

Simon essaya en vain de forcer le passage, mais Laura savait s'imposer. Et puis il avait toujours eu du mal à lui faire face. Il la détestait pour ça. Juste un peu. Il n'était pas quelqu'un de vraiment vulnérable généralement, mais elle … Ils se connaissaient depuis quatre ans, Laura était arrivée au lycée en milieu d'année durant la seconde, et elle avait tout de suite attirée son attention. Marie l'avait ramenée dans leur groupe de potes, et ils étaient tous inséparables depuis.

« Allez viens, fais pas ta tête de mule. »

Laura lui prit la main, et il sourit lorsqu'il se rendit compte qu'elle était aussi chaude que d'habitude. Simon pouvait faire semblant, et il le faisait très bien, mais quelque chose le trahissait toujours. Ils s'asseyaient sur le sol du salon, face à face. Pas trop près, mais pas trop loin l'un de l'autre non plus.

« Je m'excuse, sincèrement. Je n'aurais jamais dû le lire, je le sais. Je m'en veux, j'te jure.

- T'aurais pas dû le lire, point. Lança le propriétaire du journal.

Laura fut bouleversée par le ton que prit son ami, la rancœur qui émanait de sa voix était inhabituelle.

« Tu n'aurais jamais, il insista sur le jamais, dû ne serait-ce qu'y toucher. »

Le visage de Simon était déformé par la rage.

Il avait commencé ce journal après leur arrivée dans cette ville, juste avant de commencer l'université. C'était Julien qui lui en avait parlé, ils étaient tous les deux stressés par cette nouvelle aventure et Julien avait trouvé ça. Mais ils avaient promis de garder le secret l'un de l'autre. Un journal pour un mec, ça craint. Et Simon avait tout écrit dedans, tous les jours, tout le temps. Tout. La vie à l'appartement, elle, le début des cours, elle, la foi où il s'était viré de cours parce qu'il dormait, elle, et aussi elle, elle elle et elle. La première fois qu'il avait écrit à propos de Laura, c'était lorsqu'elle s'était effondrée en larmes dans ses bras parce que son mec l'avait larguée. Méchamment. Il ne savait pas pourquoi elle avait choisi de lui raconter ça à lui, et pas à Marie ou à Thomas, dont elle était proche. Elle n'avait rien répondu, juste pleuré. Et elle s'était endormie comme ça. Et Simon avait senti son cœur bondir pour la seconde fois dans sa poitrine à cause d'elle.

Ce soir, il parlait de manière agressive, mais le plus calmement possible pour ne pas réveiller les autres. La douleur qui ressortait de ses yeux était vite effacée par la rage qu'ils cherchaient à expulser. Ce n'était pas lui. Simon était possédé par quelque chose. De fort, de plus fort que lui. Le jeune homme avait toujours été calme et posé, mais il était sur le point d'exploser. Il avait serré les poings, et ses yeux étaient plus sombres que le plus noir des ors.

« Parles moi Simon, qu'est-ce-qui cloche ? demanda désespérément Laura.

Le coréen soupira. Il allait le rendre dingue.

«  Tu oses me demander ce qui cloche ? Parce que c'est moi qui est tort peut-être ? Simon rit gravement. Bon sang, c'est quoi ton problème Laura ? Tu as violé mon intimité, tu as lu la totalité de ma vie. J'ai l'impression que tu m'as fouillée le cerveau, que tu l'as décortiqué et décrypté sans ma permission. J'me sens sale ! Il ne monta pas trop le ton. T'avais pas à lire mon journal, t'avais pas à chercher à savoir ce qu'il y avait dedans. T'avais pas à le faire, c'est tout. »

Il avait marché jusqu'à la baie vitrée et regardait dans le vide. On entendait encore quelques voitures passer dans le quartier. Mais la nuit était on ne peut plus calme, et Simon n'avait pas hurlé.

« Je voulais savoir si c'était vrai. Murmura Laura »

Les muscles du plus jeune se raidirent, il crispa les dents.

«  Tu ne me parles plus, j'ai l'impression qu'il s'est passé un siècle depuis la dernière fois. Tu m'évites, tu nous évites tous ! Les autres sont très inquiets Simon, et je suis inquiète aussi. Tu ne peux pas m'en vouloir pour ça.

- On aurait pu parler.

- Mais quand j'ai voulu le faire tu n'étais pas là. Et le jour suivant non plus. Tu passes ton temps à t'entraîner tout seul !

- Je fais ça pour pas qu'on s'embrouille ! s'indigna Simon.

- Je sais, souffla la jeune fille, visiblement déçue.

Simon prit sa tête entre ses deux mains et l'enfouit entre ses genoux. Il devait retenir et cacher ses larmes. Il passait ses nuits et ses journées à travailler pour ça : il savait qu'au moindre moment où il la croiserait, ça irait plus loin, et il craquerait. Il ne pouvait plus lui faire face, pas après ce qu'il lui avait dit l'autre soir. « Je crois que je t'aime ». Laura avait ri d'un rire cristallin, moqueur mais elle était innocente. Ces mots s'étaient échappés tout seuls de sa bouche, et il n'avait rien pu faire pour les retenir. Ils avaient tous bu après avoir appris que les examens étaient repoussés.  La nouvelle était si surprenante et superbe, ils s'étaient tous emportés. Bon sang ! Depuis combien de temps n'avaient-ils pas eu les temps de s'amuser ? Et tous ensembles en plus ! Lui et Laura étaient assez proches depuis cette nuit-là, enfin. Un peu. Ils passaient un peu de temps ensembles, et les autres étaient souvent absents aussi. Elle le faisait rire tout le temps, et il l'aidait à réviser. Elle n'était pas superficielle ni suffisante, et elle était extrêmement jolie. La plus jolie.

Simon n'avait pas su se retenir, et Laura avait ri. Il frappa machinalement sa tempe, trois fois, pour essayer d'enlever ce rire et son écho de son esprit. Aucun effet.

Le rire moqueur de son amie raisonnait dans sa tête comme le son continu d'une horloge.

« Non, tu ne sais rien, lâcha-t-il dans un murmure.

Laura s'était approchée.

            « Je m'en souviens Sam. Quand tu m'as dit ça. (Elle hésita à citer son ami). Tu as écrits que tu étais à la fois soulagé et blessé que je ne m'en souvienne pas, parce que j'étais trop bourrée pour m'en rappeler. (Elle soupira). Je n'ai pas avalé une seule goutte d'alcool Sam, j'étais totalement sobre ce soir-là, je croyais que tu l'avais remarqué.»

            Ce dernier sentit ses oreilles rougir de honte. Il releva la tête et lança un regard effrayé à Laura. Si elle s'en souvenait, c'était encore pire. Finalement, oui, c'était encore pire que ce qu'il croyait.

            «  J'ai lu ton journal parce que je voulais savoir si c'était vrai, que tu m'aimais je veux dire. Je suis sincèrement désolée. Pardonne-moi. (Elle prit les mains de son ami et lui releva la tête). J'ai ri parce que je n'ai pas su quoi faire d'autre. Pardonne-moi. (Elle prit   son visage et le caressa doucement). Je crois que je t'aime aussi, pardonne-moi. S'il te plaît. »

            Elle déposa ses lèvres lentement sur les siennes, et elle fit attention de ne pas faire de gestes brusques. Laura savait à quel point il était fragile, et même si elle l'avait à travers ces quelques pages, elle l'avait deviné bien avant. Il était sensible, calme et n'aimait que rarement les choses qu'il ne maitrisait pas. Il était timide aussi, et manquait de confiance en lui mais ça, elle n'en avait pas besoin.

            Simon sentit son cœur faire un bon dans sa poitrine, et son estomac chavira. Il connaissait Laura quasiment par cœur, il savait qu'elle pouvait être chaleureuse. Mais cette douceur incroyable et cette délicatesse exquise lui étaient encore inconnues. Et il n'eut pas longtemps pour en profiter, Laura mit fin au baisé et plongea ses yeux dans les siens. Puis brusquement, Laura fit demi-tour. Elle lui attrapa la main et le tira pour qu'il la suive une seconde fois ce soir. Simon fit une grimace. Ses muscles le faisaient souffrir et ses articulations grinçaient presque d'avoir été dans la même position toute la journée, coincées sur une chaise en bois dans un recoin de la bibliothèque universitaire.

            « Je vais le coucher, et tu viens avec moi, chuchota-t-elle tout en l'entrainant dans sa chambre à elle cette fois.»  

Simon se laissa faire, et de toute façon, il n'arrivait plus à réfléchir. Elle se changea sans prudence ni gêne, et il enleva, lui, juste son t-shirt et son pantalon. Elle avait un lit une place, alors ils s'enlacèrent en croisant leurs jambes les unes sur les autres. Et lorsque Laura posa sa tête son torse, Simon lui embrassa tendrement le haut du front, et  murmura un « merci » à peine audible.

 

Signaler ce texte