" la maman mouette"

andorfee

La perte d'un enfant peut couper les ailes , mais parfois elle en créé de bien belle, de bien folle aussi , comme chez l'héroine de " La maman mouette"

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La maman Mouette

On avait plus grand-chose à manger, alors j’avais rejoint cette ville, mais ça aurait pu en être une autre. J’avais erré depuis quelques mois ou même années dans plusieurs villes enchaînant les petits boulots pour manger et boire , je n’avais pas vraiment parlé avec mes contemporains . Je crois que j’ai cessé de parler à ta mort ma poupée. Je crois qu’il ne vaut mieux pas. Enfin bon peu importe, j’étais arrivée dans cette ville aussi sale que ta première couche et il me fallait me laver. Et c’est comme ça que j’ai rencontré la Marie, cette femme d’auberge comme toutes les autres, aussi grosse que généreuse et qui m’a prise pour nettoyer ses casseroles et puis pour se donner la conscience de la none. Une de plus qui t’aurait bien plu je suppose, tu lui aurais sûrement apprit à rire à elle aussi. Je ne sais pas vraiment si elle s’appelait Marie, en tout cas, elle aurait pu donner le sein à toutes les bouches vides du pays. Et beaucoup de monde dans la ville l’aurait canonisé, alors oui elle s’appellera Marie, juste pour toi et moi, juste à toi et moi. Elle saura peut-être le faire elle.

Son auberge ressemblait à toutes les auberges, et mon placard ressemblait presque à toutes mes chambres. Elle m’avait appelée la muette, transformé au fil des verres par les piliers du bar en « la mouette ». Dans cette ville je serai donc une mouette, c’est un bien grand oiseau, tu en aurais eu peur, mais sous mon manteau blanc, ma foi oui, dans ces rues qui ressemblaient à celles d’un port, je devais peut-être être un oiseau, la tète toujours là haut avec toi ma poupée. Je travaillais le midi et la nuit, le matin je déambulais, je ne le savais pas mais je déambulais, je te suivais. Tantôt dans une petit fille aux cheveux blonds, tantôt dans un berceau bleu, je pensais te retrouver dans chaque appel d’anonyme, dans chaque « Maman » de petits des rues. Et je vivais comme ça d’espoir en espoir, de petit nuage en petit nuage, je n’étais pas triste ma poupée, je vivais encore avec toi. Les gens me souriaient souvent, je devais encore porter quelques stigmates, mais je n’avais plus les cernes de tes premiers jours, j’aurais était une bien belle maman je crois, j’aurais pris soin de moi et de nous. Certains autres se moquaient, peut-être maman avait l’air un peu fatigué. Mais tu sais les mamans mouettes ça vole beaucoup pour rejoindre les nids de leurs petits.

La ville ne t’aurait pas plu, pas de manège en bois ni même de chien, c’était un peu plat et mort, moi par contre je m'y retrouvais, platitude et sérénité, tout ce qu’il me fallait pour rêvasser à ma guise. Assez de monde pour être invisible. Je rêvais parfois aussi au travail, mais la Marie ne criait pas, elle me tapotait sur la joue, pour me réveiller et je rougissais. Et lorsque la saison est passée, elle ne m’a pas abandonnée, et j’ai travaillé dans sa maison de campagne, avec elle aux vignes et aux oliviers. Tu aurais trouvé de bien belle planque ma petite, peut-être quelques gamelles t’auraient égratignées mais tu aurais su, comme à ton habitude sourire malgré tout. On travaillait en même temps que le soleil, le froid commençait a gelé les feuilles le matin, tout brillait ça t’aurait tellement plu. Dire que tu ne connais pas la neige , faudrait peut être que j’aille te montrer.

Plusieurs fois la Marie voulait savoir qui hantait mes pensées, elle t’appelait mon fantôme sans savoir que tu étais un ange. Parfois marin, parfois prisonnier de guerre et d’autre mari volage, tu as du faire dans ses pensées toutes les atrocités du monde pour m’avoir coupé la parole. Dire que tu ne sais même pas encore nager. Elle ne t’aimait guère, mais ne lui en veut pas, elle ne t’a pas connu, et peut-être elle-même n’a jamais eu de petits. Enfin bon elle n’est pas à plaindre, toi non plus tu n’auras pas de petits ce n’est pas pour ça que tu pleures ma poupée, dans mes pensées, toujours tu ris, dans mes pensées toujours tu vis.

La Marie savait chasser, c’est une première pour une marie. Je pense que sans hommes dans sa vie depuis sa première vergeture elle avait du se masculiniser, elle voulait m’apprendre comment ramener du gibier. Mais moi je ne voulais pas, tu aurais pleuré si t’avais vu maman tuer ces beaux lapins et ces petits faons. Et je crois que c’est cette fois-ci qu’elle a su que mon fantôme était un enfant, le jour où dans mes bras, comme je t’avais tenue, j’ai bercé les derniers instants de se lapereau blanc. Je lui ai chanté ta chanson, même si les paroles me manquaient, j’ai chanté pour que lorsqu’il te rejoindrait il te reconnaisse. Peut-être même chantez-vous déjà tous les deux, je vous imagine parfois lorsque je me perds prés de la rivière et tous les deux vous me montrez le chemin, tantôt vers la maison, tantôt vers le lit du fleuve. Mais je sais ma poupée, que même si cette Marie crie de me voir rentrer toute mouillée, je peux suivre ta volonté, aveuglement, tu es mon guide.

La Marie me fait de moins en moins travailler. Je crois que je l’ennuie un peu, je n’ai pas la conversation des dames de ce monde. Je ne sais plus parler convenablement. Tu comprends elle veut tout savoir, d’où on vient, comment tu es née et comment tu es morte. Et je lui ai un peu volé la vedette dans le quartier, les gens ne regardent que moi. Elle me jalouse quand on danse toutes les deux dans les prés, et quand je te fais voler si haut que tu touches les étoiles ma poupée. Je la vois elle nous regarde, et elle m’interdit de recommencer, elle dit qu’elle a peur pour moi mais toi tu sais, tu me l’as dite la vérité. Elle est jalouse parce qu’elle ne t’a pas, et qu’elle ne peut pas te caresser les cheveux comme moi, quand elle va se coucher. De toutes façons elle devient vieille, elle ne veut pas me bercer, et c’est moi qui vais la faire enfermer, pas l’inverse, on ne peut pas mettre en cage une mouette, ça a de trop grandes ailes. Et puis si elle essaye de nous séparer, je la tuerai, et puis comme ça tu pourras enfin recommencer à te promener dans la maison la journée. Et maman pourra piquer de la confiture pour toi sans se faire engueuler. Et tu pourras chanter tout fort au lieu de marmonner pour ne pas qu’elle t’entende.

C’est une bien belle idée, tu m’en voudras pas ma poupée, elle ose tuer des animaux devant tes yeux alors que tu les caresses. Puis on sera bien mieux toutes les deux. Tu te souviens la dernière fois.

Tu sais ma poupée, la Marie n’a pas crié, je l’ai bercée tout comme toi, et je lui ai chanté ta chanson même si les paroles me manquaient, j’ai chanté pour que tu la reconnaisses quand elle te rejoindra. Peut-être même te chante-t-elle la chanson, enfin j’espère mieux que les autres. La laisse pas toucher à ton lapin, tu les connais les Marie, elles sont bizarres.

Allez chante maintenant tu peux ! Chante plus fort ma poupée, il n'y a plus personne pour t’embêter.

Tu me fais la tête, la Marie n’est pas gentille avec toi là-haut? Je t’entends plus ma poupée. Tu veux aller à la neige ?

La maison est presque vide, on a plus grand-chose à manger ma poupée, mais maman va aller nous trouver un nouvel endroit pour que tu puisses chanter. Tu verras, il y aura des manèges en bois et des chiens, et tu pourras t’amuser. On dessinera des lapins dans la neige et tu pourras leur chanter ta chanson. Et tu reviendras me parler et me laisser caresser tes cheveux quand je m’endors.

Et c’est comme ça qu’on rejoindra cette nouvelle ville, et qu’on rencontrera ta nouvelle Marie, tu verras elle te plaira bien, elle sera grosse comme une maman, douce comme la vierge. Celle-la je l’a choisirais mieux, et elle me bercera, pour que je te rejoigne ma fille. Toutes les trois dans le ciel on pourra danser, et je te ferai voler pour que tu touches enfin à ton paradis, à celui que tu mérites ma poupée, et tu n’oublieras pas de rire, dis moi que tu ne m’oublieras pas mon bébé.

Fin

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