LA MELANCOLIE DU SAC A MAIN
Anouk Mathieu
C'est un été brillant de soleil, solitaire et démesuré qui s'offre à moi.
Les filles ne veulent que du bleu et du sable, normal, ce sont les vacances à la mer. Douze et dix, l'âge des bains interminables et des coups de soleil même pas mal.
Trimballant paniers et parasol, choco-princes et serviettes avec dauphin XXL, j'arrive sur le parking de la plage, encombrée dans les bras et le cœur, comme une sauvage renfrognée prête à tout si on m'emmerde.
Elles se jettent dans l'eau sans prendre soin de mouiller leurs nuques au préalable, comme je leur ai pourtant appris à le faire. Je reste donc seule, observatrice, attendant que tu repères mon sac à main rouge pour te joindre à moi.
Il y a quelques jours, j'ai fait faux bond à la terre entière pour ces vingt-quatre heures passées avec toi, sur cette même plage. Aujourd'hui, les yeux vagues, derrière mes lunettes noires, je fais mon devoir de maman attentive en espérant secrètement un signe de toi qui calmerait et mon attente et ma cervelle frite.
Me reviennent en mémoire ces heures livrées à ton bon vouloir qui m'ont soulevé le cœur et laissée à plat de couture, recousue de fil blanc comme une rescapée du bloc chirurgical.
Seulement trois mois que je t'avais rencontré, que je te courrais après sans aucune honte, ni culpabilité. J'avais jeté mon dévolu sur toi mais sans te demander vraiment ton avis.
J'avais même obtenu à l'arrachée une nuit avec toi dans cet endroit béni de cupidon, en bord de mer… Je me disais que ça changerait des cinq à sept dans ton studio.
Mais, c'était presque trop beau pour toi, je le sentais.
Tu t'es laissé un peu tirer par la main, tu as hésité et puis tu as dit oui. Déjà mon esprit questionnait un pressentiment naissant :
Auras-tu du désir pour moi ? Juste ça ! Du désir à me désirer. De l'inspiration, de la tentation, de la démangeaison, un peu de volonté, de l'appétence, deux sous d'ambition amoureuse ? Tu es si jeune.
Il faisait beau, un début de juillet clair et lumineux, une brise à décoiffer les brushings, une odeur de sève de pin et d'iode mêlée.
J'avais pris avec moi de quoi manger et de quoi boire, de quoi te pardonner tes quelques négligences. Un cabanon prêté par une amie nous attendait, ras les vagues.
Mes filles étaient au chaud, chez leurs grands-parents, j'avais toute une belle nuit devant moi, avec toi.
De la terrasse ombragée, les eucalyptus et la mer méditerranée, ne visaient qu'à satisfaire nos yeux.
Le silence était radieux, je prévoyais d'en profiter. Allongée sur un transat en bambou, arrivée la première, je goûtais l'espoir d'une proximité apte à gommer les imperfections de notre histoire naissante.
Tu es arrivé avec ta nonchalance et ton regard exigeant tout et tout de suite, mais bon, tu étais là aussi, c'était déjà ça.
Je t'ai guetté frimer comme d'habitude, l'air d'être en la place parce que je te l'avais juste demandé, un sourire amusé au coin des paupières quand tu t'es installé sur le deuxième transat près du mien, en poussant du pied mon sac rouge. Je n'avais pas mes cahiers de consignes, ceux qui parcourent cet énorme sac à main d'écritures parfois nauséabondes. La mer était là, mon désir aussi.
J'avais décidé que tout se passerait bien, comme par enchantement. « Tiens, il est léger aujourd'hui ! » as-tu remarqué.
Nous sommes allés nous baigner. Enfin surtout moi. J'ai dû être une otarie dans une vie antérieure car, maladroite sur la terre, je suis gracieuse dans l'eau.