La minute de silence : la construction du commun de l’élève au citoyen.

Sylvain Begon

Et si on éduquait au silence ? Le silence c'est le respect, la politesse, l'écoute, la république : tout ce qui manque à la jeunesse de notre pays.

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La parole c'est construire du commun par le dissensus :

Souvent, on oppose la parole au silence, comme on dualise l'oralité et l'écriture. Ainsi naît le concept d'« oraliture », défini par Paul Zumthor, qui démontre du continuum entre l'oral et l'écrit. Par analogie, on dira que le « silens » et le « loquens » ne s'opposent pas. L'un ne va pas sans l'autre. Ils sont par conséquent une dialectique, que rien ne sépare. Pas de parole sans silence, pas de silence sans paroles qui lui donnent formes et sens. Par conséquent, il existe une « silenloquence », qui nous fait dire que « rien n'est plus éloquent que le silence », comme l'affirme Eric Dupont Moretti dans « Bête noire ». Ce néologisme que nous vous proposons, nous montre que la parole comme le silence ont ce même but : construire du commun. Le premier par le dissensus, en exposant les divergences pour mieux les dépasser, le second en s'appuyant sur l'individualité de l'expérience collective que constitue par exemple la minute de silence.

            La minute de silence c'est construire du commun par l'expérience individuelle :

En effet, la minute de silence, par sa solennité, confronte les hommes à une intériorité qui leur est propre. Les émotions, les intérêts et surtout les raisons de l'engagement sont divers, différents pour chacun. Le retraité rend hommage à ses anciens camarades, le maire accomplit son devoir de mémoire, et la jeune fille accompagne les larmes de son père. A l'instant où le silence retentit, chacun se confronte à son souvenir, à sa mémoire, à son intériorité. Mêmes les souvenirs collectifs donnent naissance à des mémoires individuelles différemment vécues par la sélectivité de la mémoire et l'impact émotionnel propre à chacun. Ainsi, au moment où la minute de silence débute, c'est une grande conscience collective qui prend forme. Celle-ci surplombe les êtres qui se recueillent, unis par le silence, le même pour tous, et pourtant vécu différemment dans l'intériorité qui nous est propre. La minute de silence, c'est l'art de construire du commun, là où il y a d'abord des expériences individuelles.

            La minute de silence c'est « vivre » du commun :

De plus, la minute de silence permet aussi de recréer une unité perdue. Comme un seul homme, sans la division des mots, sans que rien ne puisse briser l'unité du moment, la minute de silence construit collectivement un moment partagé par tous. Chacun gardera le souvenir du silence, le même pour tous, et pourtant si différemment vécu. Aucune parole, aucun dissensus, aucune incompréhension ne viendront briser l'unité, parce qu'elle se produit pour une cause, un souvenir et un horizon communs.

            Oser le silence : Liberté, Egalité, Fraternité.

Enfin, le silence est aussi une œuvre républicaine. C'est faire appel à la responsabilité individuelle de chacun de ne pas briser ce lien tacite que construit le silence entre chacun des participants, et c'est donc forcer à la considération de chacun voire à l'unité d'un peuple. Celui qui brise le silence, brise l'unité. Il détruit le respect, outrepasse la liberté de tous les autres de disposer de ce moment. Ainsi, oser le silence, c'est oser la liberté pour chacun de vivre son moment. Oser le silence, c'est oser l'égalité devant l'instant où l'on oublie les statuts, les temps de parole et le pouvoir, car personne ne saurait prétendre par sa parole rassembler les Hommes unis par les liens sacrés et tacites du silence. L'égalité est démocratique car le peuple se construit par lui-même et pour lui-même, oubliant qu'il existe en cet instant encore des gouvernants et des gouvernés. Oser le silence, c'est oser la fraternité par la construction d'un lien social invisible, construire du commun par le souvenir individualisé. Le silence est un ciment républicain et mémoriel.

            Pédagogiser le silence.

Exactement comme le non-mouvement, l'inconscient, l'écoute, le calme, la retenue, la mise à distance, la prise de recul, et j'irai jusqu'à dire l'ennui, le silence n'a pas de place pédagogique apparente, parce qu'il se construit comme une négation. Le silence, négation de la parole. L'inconscient la négation du conscient, la prise de recul la négation d'aller de l'avant, l'ennui la négation du divertissement, le calme et la retenue la négation de l'action. Or, aujourd'hui c'est dans ces interstices que peuvent, nous l'avons vu se construire des actions éducatives concrètes et ce d'autant plus qu'elles constituent autant de manquement chez nos jeunes âmes. Comment ne pas faire le constat que les jeunes ne savent plus « demeurer seul au repos dans une chambre » comme dirait Blaise Pascal ? Comment ne pas remarquer que l'écoute est remplacée par la distraction du portable, quand des adolescents essayent de communiquer entre eux ? Comment ne pas voir que le calme, la tempérance et le recul sont parasités par les excès de colère, les réactions parfois abruptes, d'une jeunesse qui n'a pas reçu d'éducation aux émotions et réagit comme elle le peut … c'est-à-dire à chaud … !

Ainsi, le silence loin d'être une perte de temps peut être une vertu. La minute de silence, notamment lors des grands moments républicains, pourrait être le vecteur des valeurs universalistes de notre pays. En invitant les jeunes à penser à des images, à des personnages, en construisant cet instant, voilà poindre dans les consciences, les cœurs et les corps le début d'une conscience citoyenne. L'étincelle est là, et elle est essentielle.

Mais plus encore, le silence a sa place en classe. Il est celui que je demande une fois la porte de la classe franchie. Les élèves apprennent le respect. Leur silence fait exister ma parole de professeur et en cet instant débute un contrat social solide, par lequel le cours peut se dérouler. L'inverse prévaut aussi. Chaque parole se doit d'être respectée par un silence puis une écoute active, favorisée par les auto-évaluations des productions orales, la prise de notes et la reformulation.

            Le droit au silence, le temps d'une respiration.

Le droit au silence est essentiel dans une société où le bruit et les vociférations sont permanents, lorsque la liberté d'écouter sa musique à 300 décibels dans son Audi TT perce littéralement la liberté de tous les autres de pouvoir demeurer en silence. Ce moment de silence dans l'entrée en classe, se poursuit par l'appel des élèves et pendant ce temps, chacun s'approprie ce moment de calme et de silence pour « entrer » dans le cours par une petite séance de respiration en cohérence cardiaque. Chacun à son rythme prend 5 secondes d'inspiration par le nez, puis 5 secondes d'expiration par la bouche. Cette respiration et ce silence régule les émotions, les battements du cœur sont aussi plus réguliers. Puis, un léger flottement survient, c'est le moment parfait pour faire redescendre la pression, construit une frontière avec l'univers bruyant des cours de récréation ou des intercours. A termes, un réflexe pavlovien se créé : une fois le silence et les respirations effectuées, le cours peut commencer. Ce rituel est alors une éducation au respect, un temps personnel (pour soi), une éducation aux émotions et à la conscientisation du corps et de ses effets, en même temps qu'un rituel qui fixe le cours et peut devenir par la pratique de la minute de silence, le ciment républicain du commun.

Il est grand temps de redonner une place au silence.

 

Sylvain BEGON

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