La montagne

Mon esprit est un entonnoir, les mots me manquent, les faits s'embrument, ce que j'ai appris n'est plus. Petit à petit, valsent dans ma mémoire les esquisses du savoir, puis, elles disparaissent.

La vie me semble incongrue et injuste en ce moment, pas spécialement la mienne mais celle des autres, celle du monde. Un petit rien me paraît infranchissable.

Je reste, gesticulant vainement dans l'ombre de la montagne, petit être inoffensif qu'une brise de vent pourrait faire basculer, juste bon à trimer comme tant d'autres. Vivre au pied de la montagne est un constant défi pour celui qui s'interroge. Comment faire pour exister sans être happée par la terre, par la ruche omniprésente et oppressante qui s'agite autour de nous. Notre attention est toujours obnubilée par le monde, par le travail et quand nous relevons la tête, c'est pour demander à la montagne «  quand arrêtons nous ? ». Cette fixation sur notre personne est un piège béant et invisible, un trompe l'œil digne de Parrhasios.

Édifiant travail que cet artifice qui nous laisse sans cesse dans l'attente d'une récompense toujours repoussée, toujours exaltée et rarement atteinte. Oui le travail est bien l'opium du peuple, nous nous enivrons de nos réussites, dépérissons à cause de nos fautes, luttons contre les critiques, bien souvent acerbes et inutiles. On ne voit plus que l'argent qui n'arrive jamais suffisamment, jamais au bon moment. On reste anesthésié par cette routine quotidienne pendant que le monde s'effondre, pendant que l'on capitule une journée de plus car nos pauvres souliers sont bien trop usés pour affronter l'âpreté de la montagne.