La More dans l'âme, roman de Patryck Froissart, extrait court

Patryck Froissart

Extrait court

 

Là, ils se desséchèrent de plus belle le gosier en inspirant incessamment des nuées de fumée bleue, et ils se l'irriguèrent en s'envoyant de nouvelles gorgées de bière fraîche, et, plus tard, dans la brume du lieu d'ambiance, ils reconnurent la fille.

 

Esperanza, là, lalala, lalalala, chantonnait, yeux mi-clos, et dansait seule, autant ivre en printemps qu'ils l'avaient connue saoule en hiver.

 

Ils la halèrent au bar, la hissèrent sur un tabouret et l'y épaulèrent afin qu'elle y tînt, la surhébétèrent de bière à la pression, puis, l'étayant de leurs bras entre eux deux, chacun animé des mêmes malhonnêtes intentions, ils la tractèrent tout au long du corridor ténébreux et la remorquèrent au travers du trottoir où, éteints qu'étaient à cette heure-là les rais des réverbères, régnaient des ténèbres propices.

 

— On va où, chéri ? radotait-elle.

 

— On y va, lghzala, on y va, querida mia, vamos, tu verras ! baragouinait Jean doucement.

 

L'air frais fouetta leurs desseins et la ranima un petit peu.

 

Ils l'affalèrent sur la banquette arrière.

 

Jean s'assit auprès d'elle et lui entoura le col, qu'elle avait long, d'un bras propriétaire.

 

— On est où, chéri ? bavassait-elle en une rengaine résignée, alors que la voiture quittait à toute vitesse les remparts millénaires et s'enfonçait dans la lueur pâle et fantasmagorique semblant émaner des immenses plaines à blé qu'il fallait traverser avant d'atteindre les premières sinuosités de la route grimpant abruptement vers le marabout qui marquait l'accès aux hauts plateaux.

 

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