La mort du fantasme

zoetrop

« La Camarde, qui ne m'a jamais pardonné

D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez,

Me poursuit d'un zèle imbécile. »

Georges Brassens, Supplique pour être enterré à la plage de Sète

Mon fantasme à moi c’est de mourir. Vous savez ce que ça veut dire mourir ? Être vivant. Puis mort. C’est dans cet instant ineffable, point de convergence de ces deux états antinomiques et pourtant indissociables l’un de l’autre, que se situe mon fantasme.

Avant toute chose, je souhaiterais clarifier mon opinion à propos d’un élément : le suicide. Je l’exclue rigoureusement, sous quelque forme qu’il soit, du champ des possibilités. Car se suicider, c’est faire un choix contre-nature : celui de renoncer à sa vie. Mes convictions m’obligent à critiquer ce choix sur deux aspects. Celui-ci incarne à la fois la défaite de l’imagination face à l’absurdité du monde et la victoire de l’esprit rationnel face à l’esprit de la nature. En d’autres termes c’est un choix mathématique dont le raisonnement logique pourrait être retracé par une intelligence artificielle grâce à une équation très simple:

Si « J’ai envie de mourir » supérieur ou égal à  « J’ai envie de vivre », alors « Je me suicide ».

Le suicide, c’est la mort froide et mécanique. Certains répliqueront que le suicide est une particularité humaine et qu’il nous différencie en cela des animaux. Mais je n’aurais qu’à leur répondre que le sadisme est aussi une chose qui nous différencie des animaux. D’autres encore diront que le suicide est l’acte de liberté ultime. À ceux là je n’aurais qu’à rétorquer que la liberté se manifeste justement dans la vie et non dans la mort. Se retrouver entre quatre planches est loin de ce que j’appelle être libre.

Arrivé à ce stade de la réflexion il me paraît important de vous confier quelques informations me concernant. J’aime la vie. Je suis heureux. Et surtout je ne veux pas mourir. J’ai une femme et deux enfants que j’aime profondément. J’ai des amis formidables que je vois régulièrement. J’ai le temps de pratiquer mes passions tous les jours. Je m’épanouis dans mon travail et dans ma vie privée. Je profite des petits plaisirs de la vie à chaque seconde. Et pourtant pas un jour ne passe sans que je ne pense à la mort. L’idée de la mort fait naître en moi des émotions et des sentiments qui me procurent une sensation d’existence incomparable. A aucun autre moment de ma vie je ne suis plus heureux qu’en pensant à la mort et à mon éventuelle rencontre avec elle.

Vous voulez savoir ce qui m’attire en elle ? Sa perfection tout simplement. Comme une femme, elle est insaisissable. Pour peu qu’on la cherche, on pourrait y passer des jours avant de la trouver. Mais si c’est elle qui nous cherche, voila qu’elle nous tombe dessus dans la seconde. Et sans prévenir en plus. Elle sait tout faire de ses mains. Parfois délicate pour les fins subtiles, parfois bourrue pour les fins tranchantes, elle sait s’adapter en toutes circonstances, qu’elle doive agir dans le sommeil d’un ancêtre ou dans le feu de l’action. Quoi qu’il en soit, on la rencontre tous qu’une et une seule fois. Dans l’absolu, tous les autres fantasmes pourraient être assouvis une multitude de fois. Mais pourtant après l’avoir réalisé, le fantasme disparaît aussitôt. Et alors tout est beaucoup moins excitant jusqu’à ce qu’on en trouve un autre. C’est là que le fantasme de la mort se différencie. Ce qui fait de la mort le meilleur fantasme de ce monde selon moi, c’est qu’après l’avoir réalisé il est vain d’en trouver un autre car réaliser son fantasme de mort c’est engendrer la mort du fantasme et de tous les fantasmes.

Mais le plus étrange avec la mort, c’est qu’on lui doit tout. Du moins notre vie. Car on peut dire sans exagérer que la vie n’est rien d’autre qu’une question de mort ou de mort. Nous tous qui sommes en vie pouvons remercier la mort de ne pas venir nous rendre visite. A vrai dire, je me demande si cela ne va pas encore plus loin. Si la mort n’existait pas, pourrait-on vraiment supporter notre vie ?

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