La Mouette et la Ville

Geneviève Padovani

conte pour enfants

La jeune mouette blanche aux ailes grises a pris ses quartiers dans une anfractuosité de rochers près de la plage. Elle aime se reposer quelques heures en fin de nuit , à proximité des galets inconfortables pour l'homme mais qui lui ménagent de jolies surprises à l'aube. Elle aime cette ville si italienne, ocre et parfumée, et si française, terriblement innovante. 

Dès l'aube, alors que le soleil se lève à peine au-dessus de la colline du château, elle prend son envol et ses ailes battent gracieusement dans les rues étroites de la vieille ville où elles se déploient de bonheur à un tel point qu'elles semblent s'étirer pour toucher les façades opposées. Elle pique sur les badauds, remonte, semant au passage à la fois peur et ravissement parmi les touristes, très nombreux en toutes saisons. Et son bec peut, au  passage, attraper un morceau de socca, une pointe de pizza, un soupçon de viennoiserie. Les vieilles rues sont tellement accueillantes, vivantes dès les premières heures du jour et jusque tard dans la nuit que la Mouette est certaine d'y trouver compagnie et subsistance. Ce quartier est pour elle un immense restaurant, chargé de voix, de musique et de senteurs.

Elle s'aventure aussi dans les autres quartiers plus récents, plus aérés, plus modernes mais tout aussi animés. Elle y fréquente les terrasses des cafés où des consommateurs émiettent leur pain pour l'attirer. Elle y voit des commerces luxueux qui lui procurent un autre bonheur : les énormes vitrines reflètent son image fugitive sur fond de vêtements chatoyants, de bijoux scintillants, d'objets presque aussi gracieux qu'elle.  Elle aperçoit dans un éclair sa silhouette fulgurante, ses deux ailes dressées comme des voiles, et repart joyeusement vers le ciel en une immense arabesque pour plonger vers d'autre délices.

Elle longe des immeubles résidentiels, effleure leurs terrasses noyées de soleil puis elle vole vers les parcs municipaux autour desquels s'enroule la ville.  Elle jette un coup d'oeil distrait aux pelouses impeccables et aux parterres disciplinés, mais ce n'est pas son élément : ses éléments à elle, ce sont le ciel, la mer, la Ville.

Avant de revenir vers le centre, plus dense et plus intéressant, elle fait un détour par le musée qu'elle préfère : par une haute fenêtre, elle peut apercevoir un certain tableau aux couleurs vives où se niche un oiseau immaculé, presque lumineux, qui semble attirer les couleurs à lui, centre du désordre apparent, origine et fin. Elle aime cet oiseau dont elle envie la destinée. Elle vient le voir presque chaque jour pour y puiser énergie et inspiration.

Mais le jour décline, le ciel passe de l'outremer à l'outrenoir. Alors elle amorce un large virage et pique vers les rues commerçantes de plus en plus bruyantes et agitées. Elle s'approche des enseignes lumineuses. 

Tout à coup, affolement, stupeur, froissement de plumes : elle voit une enseigne double, une enseigne faite à son image ! deux mouettes, une rouge, une verte, se dressent face à face, posées sur un socle qui figure sans doute un rocher. Elles surmontent une vitrine  illuminée et clignotent avec frénésie. C'est un appel!

La Mouette, d'abord sous le choc, laisse ensuite éclater sa joie. Elle pousse son célèbre cri, le cri strident et nasillard de sa race, avec toute la puissance dont elle est capable.  Un cri de victoire qui scelle son union avec la Ville.  Elle y est enfin acceptée et la fusion sera totale, elle en est certaine. Folle de bonheur, elle remonte vers le ciel, regarde avec tendresse les rubans rouges et blancs des voitures qui sillonnent la ville et sa banlieue.

Quelque chose attire à nouveau son attention: des faisceaux lumineux éblouissants dansent dans le ciel nocturne, s'écartent , reviennent. Elle veut participer à ce ballet aérien. Il lui semble que les rayons la cherchent, l'invitent. Ivre de bonheur, elle virevolte de plus en plus vite, de manière un peu erratique. Et soudain, les rayons se croisent sur son corps fuselé, la poursuivent impitoyablement dans son vol et la pulvérisent. Elle explose alors en une myriade de particules lumineuses qui planent en voûte et se renouvellent à chaque instant.

Elle a donné la Ville qu'elle aime une nouvelle source de lumière , multicolore, éclatante, infinie et éternelle. Elle a enfin accompli son destin.

Elle rejoint alors l'oiseau blanc.


Signaler ce texte