La musique : un indescriptible voyage

laltiste

Ayant reçu un héritage important, mes parents décidèrent de faire le tour du monde. J'étais très enthousiaste à l'annonce de cette idée, cela me plaisait de quitter cette société de consommation, cette mentalité, ces injustices, la pollution de notre environnement et plus particulièrement la pollution sonore. J'avais besoin de respirer.

Après avoir visité quelques îles, nous quitâmes le Cap-Vert pour l'Amérique du Sud. à la tombée de la nuit, une tempête de mer survint. Epuisée et légèrement anxieuse, je m'endormis profondément dans les bras de mon frère.

Une douce mélodie et brutale à la fois me réveilla. Cet air si voluptueux, léger et pourtant profond, ne m'était pas étranger, c'était le deuxième mouvement de la septième symphonie de Beethoven. Plus les mesures progressaient, plus les notes m'apaisaient. Un frisson parcourut tout mon corps. C'était joué exactement comme l'avait écrit Ludwig Van Beethoven. Tout était respecté, cela allait du spiccato,des sforzando ainsi que le tempo larguetto et le rallentando jusqu'au dernier soupir. Comment pouvait-on offrir tant d'émotion ? Aux derniers accord, intriguée, j'ouvris doucement les yeux.

Effrayée et surprise, je bondis d'un pas léger lorsque je pris conscience de ce qui m'arrivait. J'étais sous l'eau. De petites bulles formées par le peu de respiration qui me restait sortirent de mes narines et montèrent comme de petites méduses. J'étais désorientée, seule au fin fond d'une eau trouble et sombre. Comment ai-je pu attérir ici ? Je l'ignore. Le seul dernier souvenir qu'il me reste est que la tempête avait causée quelques turbulences.

Derrière moi, j'entendis l'écoulement de l'eau qui tombait en cascade. Je me retournai alors, et je vis un paysage extraordinaire. Une rivière ruisselait entre d'immenses collines verdoyantes. Des champs à la végétation luxuriante s'étendaient à perte de vue. Des sentiers menaient à de splendides demeures aux jardins ombragés. Il y avait donc des signes de vie. Comment cela pouvait-il exister, sous l'eau, sans la moindre connaissance de l'Homme ?

La mélodie reprit. C'était un concerto en sol mineur de Brahms. Une ribambelle d'Hommes surgirent de nul part et s'avancèrent vers moi au battement de la pulsation. Je ne pus les identifier, ils étaient trop nombreux et trop loins. Il me semblait cependant reconnaître un orchestre symphonique. Un sentiment de panique mélangé à un soupçon de jouissance me propagea. Qui était ce peuple étranger ? Plus la musique allait crescendo, plus il m'approchait, jusqu'au dernier son où il  m'encerclèrent et m'effleurèrent. Je restais immobile, tremblante. Leur visage s'éclaircit, je pus les distinguer nettement. Je reconnus immédiatement le chef d'orchestre : Beethoven en personne, ainsi que d'autres compositeurs célèbres : Malher, Mozart, Chopin, Haydn, Bizet puis Ravel et Debussy. Tout ces personnages ressemblaient à des êtres humains excepté que l'un de leurs organes était étonnement remplacé par un instrument de musique.

Au premier plan, en face de moi se trouvait la famille des cordes. Certains possédaient un bassin de contrebasse, de violoncelle, ou d'alto selon les corpulences. Le prolongement des doigts de pianistes sur le clavier émettait un son liant comme sur une bourrée de Bach. Au second plan, la famille des vents jouait. A gauche, les bois : les flûtes, clarinettes, hautbois soufflaient dans leur embouchure liée à leurs lèvres vibrantes sur "Pierre et le loup" de Prokofiev. A droite, les cuivres : les tubas, trompettes, cors, saxophones luisants étaient leur nez. Il grouvaient sur du Duke Elington. Enfin derrière eux se trouvait les percussions : batterie, caisse claire ... Physiquement, il paraissaient être de simples musiciens, des êtres humains, mais leurs poumons étaient en réalité deux timbales avec une caisse de résonnance incroyable. C'était leur coeur. Ils jouaient tous des morceaux différents, ensemble, et c'était harmonieux. La parole n'existait pas, aucune insulte ne pouvait être prononcée. Cependant, leur voix n'était pas monotone, elle avait des couleurs, en fonction des personnes, elle était plus ou moins grave. Les hommes étaient en tenor, bariton ou basse. Les femmes en soprano, mezzo ou alto. Une voix si belle, si chantante, j'étais en admiration devant ce monde supérieur. Aucune discrimination n'existait, tout les genres étaient mélangés, les époques également. C'était un monde pacifique.

Je comprenais tous ce qu'ils disaient, la musique était mon oxygène. Ils se nourissaient de notes. J'étais comme eux. Une brusque averse d'arpèges me recouvrit et je sentis qu'elle nettoyait la noirceur de mes pensées que l'ancien monde m'avait écrit. Un charmant guitariste m'offrit un alto, je le remerciai en commençant à jouer. L'alto s'adapta, les crins de mon archet se déposèrent délicatement carressant les cordes. Un son intense se propagea sous ma peau, le rythme me pénétra, remplissant ma tête, il résonna entre mes tempes et s'amplifia. Mes doigts couraient sur le manche. Mes paupières tombèrent, mon esprit s'envola. Je montai me laissant porter, je levai ma tête vers le ciel lorsque j'aperçus trois silhouettes familières. Mon corps s'éleva à la surface de l'eau pour les rejoindre. Je regardai une dernière fois en bas, ses enchanteurs me saluèrent en choeur, souriant et jouant la symphonie d'adieu de Malher, plus radieuse encore, plus moderne sur un air de Debussy, un son pur. A l'instant où je sortis ma tête de l'eau, le silence revint. La réalité m'assaillit à nouveau. Mais je me remémorai comment c'était, un voyage sur un océan de musique. Un irremplaçable et indescriptible voyage.

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