La nuit et la grotte
feebrile
Un soir, je fus mort. Depuis lors mon esprit s'était éparpillé dans une sorte de nuit sans fin, j'étais comme toutes les étoiles à la fois mais je savais que j'étais encore moi, que toutes ces étoiles étaient liées à moi. Rien ici n'avait de limite, ni mon esprit, ni cette nuit. Un jour pourtant je me suis senti comme compressé, écrasé, ramené à un tout étroit et unique, je me suis alors retrouvé dans une grotte chaude et humide. J'avais compris. Mais je ne voulais pas. Plus le temps passait ici et plus ma vie d'avant semblait avoir été un rêve, je devais faire de gros efforts pour me souvenir, je tapais contre les parois, je tapais tellement j'étais en colère, tellement je me sentais impuissant, je savais que ma vie m'échappait, encore une fois. L'angoisse m'étreignait, je ne voulais pas repartir à zéro, je ne voulais pas revivre tout ça, tout recommencer encore alors que ça avait été si dur, alors que j'étais devenu enfin fier de moi. Je voulais continuer à être moi. Peu à peu, le tout devenait matière. La lumière alors m'aveugla et je me sentis précipité dans un monde froid et trop clair. Je pleurai. Je voulais parler, expliquer aux ombres qui commençaient à se dessiner autour de moi qu'il y avait une erreur mais seuls des cris pouvaient sortir. Alors je criai encore et encore, jusqu'à ce que le contact chaud et doux d'une poitrine me calma. J'avais soudain envie de me laisser aller, d'être ce qu'on attendait de moi, d'abandonner mon moi maintenant si lointain. Mais non, une dernière révolte, je me répétais encore et encore tu es toi, tu es toi.
Le temps passait bien plus vite ici, un homme et une femme m'avaient ramené chez eux puis enfermé derrière des barreaux en bois. Il fallait que je me dépêche, je devais les prévenir ou bien laisser une trace avant que ma mémoire ne devienne une page blanche. Malheureusement, dans mon état je n'avais aucune force et je ne pouvais toujours pas parler. Je ne pouvais que pleurer nuit et jour en espérant qu'ils comprennent, qu'ils lisent dans mes yeux. Je dus attendre plusieurs jours avant d'avoir la bonne opportunité : une feuille et un crayon avaient glissé du bureau où travaillait l'homme, je réussi à ramper jusqu'à eux. Mes doigts pouvaient à peine tenir le crayon, je mis plusieurs heures à écrire trois mots tremblants “Je suis moi”. L'homme était alors entré.
“Mais que fais tu là ?” Il avait ramassé la feuille et l'avait lu puis il avait appelé la femme. Enfin ! Ils allaient comprendre. Le mystère de la vie serait élucidé et moi, moi je pourrais rester moi. La femme était arrivée:
“Qu'y a t'il chéri ?
- Regarde le ptit bout a fait des bêtises, il a gribouillé mon rapport !
- C'est fou, on dirait presque qu'il a écrit quelque chose ! Je… Ja… La… Nuit… Ploie ! Eh ben ! C'est un futur poète notre ptit bout !
- Tu parles, il va falloir que je retape toute la page…”
J'ai vu l'homme froisser la feuille et la jeter. Mais je ne savais plus pourquoi c'était grave, je ne savais plus que c'était parce que j'oubliais. La signification même des mots m'échappait maintenant. Je. AGAGA