La pension passiflore
Stéphane De Saint Aubain
La pension Passiflore
(Première partie)
Il est un village côtier du Morbihan ancré au beau milieu de l'une des plus belles baies au monde, célèbre pour l'alignement de ses mégalithes millénaires, pierres non travaillées des temps primitifs, où un étrange fait divers tout aussi exceptionnel que ces lieux légendaires à la tournure singulière, fut éclairci et enfin répertorié au registre officiel des affaires classées. En effet, le caractère invraisemblable des événements avait mobilisé durant un peu plus d'une semaine l'effectif en homme total de la brigade de gendarmerie locale qui avait consigné le déroulement des éléments pour les besoins de l'enquête dans un épais rapport à l'intention du Procureur de la république, dans lequel on pouvait y lire :
An deux mille dix, mois huitième, jour vingt,
Au lieu dit des Bois noir en la commune de Carnac, à la dite pension du Passiflore, habitation de chambres d'hôtes référencée et labellisée aux gîtes de France, bâtisse implantée à un kilomètre du premier site préhistorique remarquable, eut lieu une disparition inquiétante de deux individus de sexe masculin…..
— « Permettez-moi s'il vous plaît de vous rapporter cette sombre histoire telle qu'elle m'a été racontée à moi-même sans fioritures protocolaires et autres procès-verbaux pompeux du genre, qu'en pensez-vous ? »
Effectivement, ce jour du douze juillet vit arriver à Carnac la famille Duclos originaire des Côtes-d'Armor le département voisin, dans une grosse berline surpuissante, cossue d'un modèle d'outre-Rhin. Ses membres composés des parents et de deux jeunes garçons de huit et deux ans avaient une allure très ordinaire, de celle de la classe moyenne d'aujourd'hui.
Maryvonne la maîtresse des lieux, petite bonne femme d'origine vannetaise, dynamique et accueillante les attendait patiemment devant la grande maison de pays en pleine discussion avec la voisine d'en face. Dans cette petite réunion informelle de commères, il était question du Monsieur de Toulouse qui était arrivé la veille à la pension au volant de sa Renault 19 « savane » verte, sur laquelle était indiqué « série limitée » sur une plaque plastifiée à l'arrière près des feux de reculs. D'ailleurs avec le trafic dense de la circulation routière de ce mois d'août, il avait eu toutes les peines du monde à sortir de la nationale à deux kilomètres d'ici. De prime abord, ce personnage au physique un peu étiolé, voire même négligé pour le commun des mortels, étrangement vêtu d'habits désuets d'un autre temps, plausiblement d'une version soixante-huitarde à la teneur légèrement édulcolorée, les cheveux longs châtain clair très fins d'une nature cassante ; arborait un faciès très quelconque et à la limite du rachitisme. Ce grand bonhomme fluet avait fixé très intensément Maryvonne de ses yeux sombres, elle s'était trouvée un peu décontenancée sur le moment. Ce soir-là, en partie installé, l'homme d'une humeur singulière portait un énigmatique talisman accroché à une chaîne en argent massif autour de son cou, il avait quitté sa chambre vers environ vingt et une heures trente, et s'était rendu tranquillement dans le jardin attenant pour fumer. Pour s'adonner pleinement à son plaisir destructeur, il s'installa au milieu d'une terrasse sur pilotis équipée de tables et de chaises en bois, implantées spécialement pour le confort des résidants. Comme la contemplation de la clairière devenait agréable à regarder là derrière la maison !, ceinte de part en part d'une forêt expansive dans la douceur du soir couchant, où lorsque l'on s'y attendait le moins une ombre furtive traversait ce pré ; pareil à un songe éphémère de ce qui pouvait probablement s'apparenter à un chevreuil. Tous les murs qui délimitaient l'enceinte étaient recouverts et palissés d'une plante grimpante appelée passiflore qui serpentait à son bon vouloir sur des palissades en bois superposées. Elle poussait librement dans cette démesure au gré de la saison estivale par bouture de bois semi-dur seulement en été dans les régions aux climats doux. Remarquable par les éléments de sa fleur : étamines, pistil et stigmate dont les couleurs des fleurs et de ses filaments en anneau portent le nom de « Corona » : pourpre, rouge, rose, bleu mauve, violet et blanc. Ses fleurs ont la particularité de s'ouvrir le matin vers dix heures et de se refermer en fin d'après-midi. Cet être peu commun avait salué avant de s'installer à la table de son hôte, Monsieur et Madame Maistre, charmant couple sexagénaire originaire de la Seine-Maritime, habitué de la pension depuis fort bien longtemps. Les deux tourtereaux, très bons vivants s'entendaient visiblement à merveille, et dans une tendre complicité de surcroît. Notre homme passé les convenances de circonstance, s'était attablé sans dire un mot, la mine grave, il s'était contenté de sortir un pendule de l'une de ses poches de son pantalon de toile totalement flottant, qu'une ceinture de cuir brut peinait à retenir par la taille. Le fond de l'air devenait un peu plus respirable, et la chaleur humide du dehors commençait à retomber un peu, laissant progressivement la fraîcheur saisissante s'installer à sa guise. Maryvonne qui s'y trouvait depuis déjà un certain temps, gesticulait sans cesse sur la chaise Ikea achetée quelques mois plus tôt au magasin de la marque suédoise nouvellement implantée à Quimper. Par cette attitude stressante, elle trahissait aussi l'embarras que lui causait ce vide existentiel vis-à-vis de cet homme étrange. Un sentiment de malaise se mêlait à présent au silence pesant. Face à l'inconnu impassible devant elle, il fallut à tout prix se soustraire au plus vite à la lourdeur de ce délétère climat, son audace légendaire se chargea d'engager pour de bon la conversation et brisa nettement le calme apparent dans une disposition des plus naturelles, surtout dans l'intention de ne rien laisser paraître.
— « Si ce n'est pas indiscret, Monsieur, à quoi un tel objet peut-il vous servir ? »
L'homme restait insensiblement dans les mêmes dispositions comportementales, dont il était à l'évidence coutumier du fait ; à la différence près, qu'il considérait suspicieusement ces nouvelles paroles. Un sourire s'esquissait aux coins de ses lèvres et mettait en évidence l'austère visage émacié. Il balaya machinalement d'un revers de la main une mèche rebelle, de l'une de celles des plus récalcitrantes à toujours vouloir se positionner vicieusement et ne désirant pas regagner sa place respective sur le côté d'un large front découvert.
— « Regardez ma chère dame, comme les énergies aiment à se manifester autour des pierres sur des kilomètres à la ronde !, ressentez-vous dans votre être, dans votre chaire l'extraordinaire puissance des flux magnétiques bienfaiteurs qui vous recouvrent ? »
— « Eh bien, pour être honnête avec vous, et par souci de ne pas vous froisser, je n'en ressens pas particulièrement les effets, je suis certainement moins réceptive que vous, assurément ! »
— « Seriez-vous un spécialiste dans ces domaines-là ? »
— « Oui, en effet, d'une certaine manière on peut dire cela ! »
Son interlocuteur, semblant ne pas avoir été vraiment surpris de cette dernière, redressa énergiquement sa posture faisant craquer au passage les lattes de bois disposées parallèlement les unes aux autres faisant office de plateau de chaise sur lesquelles il était assis.
Maryvonne avait constaté à plusieurs reprises l'omniprésence des mains du locataire sur le médaillon, il paraissait ne plus pouvoir s'en défaire, et totalement absorbé par celui-ci. Était-ce un pendentif avec une connotation en rapport au domaine du sacré ? Ainsi, tout devenait matière à interprétation dans l'idée que Maryvonne se faisait de cette insolite rencontre. Parlons-en un peu plus de cette sympathique logeuse. Dotée d'une générosité sans égale, veuve depuis environ une dizaine d'années et sans enfant, le décès inattendu et foudroyant de son mari, malheureuse victime d'un cancer incurable, que la maladie avait précocement emporté fut, une épreuve insurmontable dans les premiers temps. Elle s'habitua bien malgré elle a sa plus fidèle ennemie, la solitude, cette mauvaise alliée des temps difficiles s'immisça sans invitation durant un certain nombre d'années dans son existence, puis mesurant l'extrême réclusion dans laquelle la fatalité l'avait jetée, elle reprit pied avec l'aide indispensable de ses proches amis. Elle retrouvait progressivement goût à la vie, l'adhésion au cercle celtique des danseurs de musique Bretonne du pays Vannetais participa grandement à éradiquer en profondeur cette situation cauchemardesque, colmatant partiellement une cassure difficilement refermable dans son cœur. Cependant, elle se sentait toujours bien seule et à l'étroit dans cette immense maison à l'architecture régionale si caractéristique du style néobreton, dotée d'un fort potentiel d'hébergement, pouvant accueillir facilement cinq ou six familles avec des enfants. Convertir et rafraîchir ses grands volumes spacieux en chambres d'hôtes avec de la décoration des différents objets à l'image du terroir local coulait de source selon elle. Et en effet, ce pari sur l'avenir s'avéra être un bon retour sur investissement lui octroyant un revenu supplémentaire inespéré non négligeable, améliorant pécuniairement son misérable ordinaire jusqu'ici tellement au plus bas, qu'une très modeste retraite suffisait à peine à payer les factures et les emprunts. L'histoire si triste de cette femme, Charles Gignac, appelons le maintenant par son nom n'en aurait probablement pas grand intérêt à la connaître manifestement perdu dans les dédales de ses pensées, où interagissaient entre elles une multitude de réflexions, que seule une ligne de vie imaginaire conçue de son seul subconscient pourrait ramener à la réalité devrait le tirer de sa torpeur dans lequel un épais voile transparent l'absorbait tout entier. Les bougies contenues dans des hauts verres s'étaient intégralement consumées ; de ce fait les faibles lueurs qui éclairaient les êtres et la nuit noire, laissaient la place libre à la pénombre. Profitant de cet événement opportun, Maryvonne, un peu perturbée par la conversation passée, recula sa chaise et se mit debout.
— « Excusez-moi l'espace d'un instant je vous prie, je vais de ce pas nous chercher un peu d'éclairage ! »
— « Faites donc ce qui est nécessaire ma chère dame, comme cela nous pourrons prolonger notre conversation dans les meilleurs des dispositions, prenez donc le temps qu'il vous faudra, ce soir rien ne me presse vraiment »
L'autre ne croyait pas si bien dire, la bonne femme ne partageait pas du tout son point de vue, avec la ferme intention d'abréger la petite réunion informelle dans les plus brefs délais, en prétextant devoir fermer l'enclos des poules. Mais malheureusement, l'autre insista fortement pour lui raconter une histoire peu banale en rapport avec le fameux médaillon. Il n'en fallut pas plus pour éveiller (il faut bien le dire) la curiosité maladive de notre hôte. Elle se rassit derechef, à la clarté des nouvelles bougies, toute guillerette et tout ouïe, prête à écouter ce que Monsieur Gignac avait de nouveau à lui dire. En fumeur invétéré, il sortit une nouvelle cigarette de son paquet souple à moitié vide, l'alluma avec flegmatisme de son briquet à l'effigie d'une marque française bien connu, le bout devint immédiatement incandescent lorsqu'il en tira une première bouffée de fumée, encore une de plus qu'il ne tarderait pas non plus à recracher dans le vaste environnement atmosphérique. Le temps commençait sérieusement à se gâter, les températures que rien ne laissait présager venaient de chuter vertigineusement, le firmament de cette nuit jusqu'ici visible et clair était subitement masqué par un large et épais cumulus, transporté dans le sillage d'une perturbation dépressionnaire venant de l'ouest. Un amas de mots confus sans réelle signification venaient d'être prononcés par Gignac, lorsque les Maistre firent leur apparition devant le portillon. Le mari d'une forte corpulence laissait par savoir-vivre le passage libre devant lui à sa charmante femme, ces ceux-là se souriant mutuellement semblaient être de connivence, ils sortaient du restaurant les estomacs repus d'avoir si bien mangé, et plus justement de la crêperie familiale d'en face la plage, réputée pour ces fameuses galettes de blé noir. Ils saluèrent bien chaleureusement les deux autres et entamèrent à leur tour la discussion. Il se faisait vingt-trois heures précises, la nuit avait jeté définitivement son dévolu macabre sur cette fin de journée.
— « Alors, dites-moi, n'êtes vous pas déçus de votre diner au moins ? »
— « Allons donc Maryvonne, qu'allez-vous chercher en disant cela ; une fois de plus, nous sommes pleinement satisfaits de vos conseils en ce qui porte sur la cuisine locale, on y mange comme des pachas dans cette gargote du bord de mer », dit l'homme d'une voix enchantée.
— « Oh, oui je suis d'accord avec çà, c'était vraiment très appétissant », confirma Madame Maistre en bégayant un mot sur deux, la voix toute relâchée de sons traînants et approximatifs laissant penser à un diner excessivement alcoolisé au cours duquel la qualité des mets était placée sans conteste au second plan.
— « Et puis, pardi, c'est qu'il commence à ce faire tard les amis !, croyez-moi bien, je regrette de vous quitter en si bon chemin, mais la fatigue me gagne, je suis pompette, tu viens me rejoindre Henry »
— « Mais bien sûr ma belle !, vas te reposer, je te rejoindrais plus tard »
Henry lui, était loin d'avoir sommeil, et n'avait aucunement l'envie de dormir pour le moment. Ce dernier, noceur assumé comptait bien faire honneur à sa réputation, et cela tombait bien, ce soir il ne souhaitait pas en rester là, voyant planté là à sa disposition, une parfaite compagnie susceptible de se joindre à lui pour mettre en application ses idées d'un soir.
Sa femme quitta expressément la terrasse un peu chancelante et manqua de chuter en ratant la marche du perron, elle esquissa un sourire vite dissimulé et récupéra à la hâte les clés de leur chambre à coucher rangée dans la commode prêt de la porte d'entrée. Elle monta péniblement les marches de l'escalier une à une en s'aidant comme elle le pu de la main courante, pressa l'interrupteur de la suite à son arrivée, d'où un jet de lumière s'échappa et jaillit sur l'extérieur en agressant instantanément les pupilles des gens en contrebas encore soumises à l'adaptation d'une vision nocturne. Là encore, l'éclairage agressif fut d'une courte durée, Gisèle s'était (probablement) affalée sur le lit ; encore tout habillée.
— « Dites-moi, où sont passés les autres colocataires avec leurs charmants bambins ? » demanda Henry apparemment surpris de l'absence de la famille Duclos »
— « A priori, ils passent la soirée à Quiberon, la municipalité à organiser une soirée bretonne, avec la présence de deux bagadoù, il va y avoir du fest-noz dans l'air, je pense », s'amusait Maryvonne.
— « Connaissez-vous la côte sauvage, Monsieur ? » Maryvonne tout enjouée, interrogeait le Toulousain avec un large sourire jusqu'aux commissures de ses lèvres, qui méritait bien là une réponse agréable en retour.
— « Non pas vraiment ! » l'expatrié à la petite semaine de la ville rose à la limite de l'insensibilité lui avait répondu sur un ton assez détaché, presque expéditif. Nonobstant le visible désintérêt apporter à sa question, Maryvonne en femme de caractère presque imperturbable serait bien loin de se formaliser de si petits riens ; dotée d'un optimisme naturel à toute épreuve, don de caractère très appréciable hérité de sa défunte mère ; à que cela ne tienne, elle ferait quand même l'éloge de sa belle côte morbihannaise à ce monsieur un brin désinvolte !
— « Qu'ils en profitent comme il le faut ; passer la journée sur la presqu'île ensoleillée, c'est la promesse assurée d'y passer avant tout un moment formidable. La côte sauvage, elle sait faire tourner la tête de celui ou celle qui veut bien prendre le temps de la découvrir ; ouverte et résolument tournée vers l'ouest, plein front face aux entrées des courants d'air salins. Comme il est agréable d'écouter les vents siffleurs du large chargés d'iodes et porteurs des blanches écumes, telles des brisures de nuage en suspension dans la douceur de la belle saison, ils aiment à vous murmurer des songes et des contes de rude et valeureux cap-hornier, embarqué de tout temps dans des aventures au long court sur toutes les mers et les océans de ce vaste monde.
— « Eh, bien quelle merveilleuse idée ils ont eue là ! » s'exclama soudainement l'original sur un ton sarcastique, lui qui s'était contenté de formuler quatre syllabes jusqu'ici et depuis l'arrivée des Seinomarins. Sur cette formulation déconcertante, comment fallait-il en interpréter le sens ? Était-ce du lard ou du cochon ? Peu importe après tout, c'était égal. Aussi surprenant que cela laissait paraître, Gignac contre toute attente prenait l'ascendant sur la conversation, il déblatérait à n'en plus finir, ce qui n'était pas pour déplaire à Maistre qui possédait également l'art du verbiage, quoique le sien sonnait un peu plus creux. Maryvonne que les grandes causeries magistrales lassaient commençait fermement à trouver le temps long et de plus en plus ennuyeux dans la durée de ce discours épique et orienté à sens unique. Elle s'était furtivement éclipsée, s'étant vu attribuer le rôle ingrat de ravitailleur de chandelle invisible et reléguée à l'arrière-plan de cette scène exclusivement masculine. Il se déroulait séance tenante au beau milieu du jardin, une véritable joute verbale, entre ces deux hommes, qui ne se connaissaient même pas à peine une heure auparavant. L'un s'acharnait à démontrer à l'autre le contraire des ses affirmations. Le sujet de cette mésentente portait manifestement sur la médecine non conventionnelle de la lithothérapie de laquelle Gignac vantait les effets et se disait d'être l'un de ses spécialistes les plus influents dans son cercle restreint. Le ton était monté d'un cran lorsque Maistre avait fortement irrité Gignac avec ses goguenardises malsaines et maladroites à mettre sur le compte de ses monumentales et ringardes sorties drolatiques, que lui seul avait le secret lors des cuites sans lendemain.
— « Et bien mon vieux, pour être tout à fait franc avec vous, je vous dirais que le pouvoir des cristaux est dans votre tête et nullement ailleurs »
— « Soit mon ami, vous n'êtes décidément pas ouvert à ce qui serait en mesure de pouvoir vous dépasser »
— « Je suis un véritable sceptique par nature au sens strict, comprenez-vous ! On ne se refait pas, c'est ainsi dans notre nature qu'est-ce que vous voulez ! Vous pourrez bien me dire tout ce que vous voudrez, et me démontrer vos théories par A plus B, que rien n'y changerait, je reste par définition, comment appelle-t'on cela déjà ? Ah oui, un empirique, par contre là ou je peux être sur de ne pas me tromper, c'est qu'une bonne bouteille d'un doux nectar et sa sœur siamoise achetées au marché de Locmariaquer ce matin de bonheur, se trouvent être toute deux dans la boîte à gant de l'auto au frais, et n'attendent plus que nous pour leur faire une joyeuse fête ! » Maistre quitta la table précipitamment d'un pas lourd et maladroit en direction des saintes bouteilles en disant ceci :
— « J'arrive tout de suite, et je compte bien sur vous quand même pour m'en dire davantage à propos de votre profession, je ne suis pas tout à fait hermétique non plus, voyez-vous ! »
— « Soit ! » dit l'autre « pourquoi pas, remarquez si vous le dite, çà ne nous fera pas de mal non plus ! » S'exprimant avec un brin de fausse complicité calculée, malgré l'expression de froideur que laissait paraître son visage sur lequel il n'était pas indécelable d'y trouver de la contrariété.
Le caractéristique moteur six cylindres diésel d'une Allemande approchait rapidement et illuminait tout l'espace de ses puissants phares, venant troublée la quiétude du moment. Une fois garée, Madame Duclos donnait ces dernières consignes aux enfants quant à l'attitude à adopter pour le coucher, pendant que Monsieur vidait le coffre de quelques affaires utilisées durant cette belle journée bien remplie qui fut agréable à toute la smala. Duclos en éclaireur improvisé avançait à l'aide d'une lampe de poche électrique à la main dans la totale obscurité, menant à son initiative la troupe à bon port en direction de la pension. La petite famille aperçut la luminosité du dispositif d'éclairage dans le jardinet ou se trouvait encore Gignac attablé. Chacun d'eux ne manqua pas sur son passage de saluer le noctambule, qui le leur rendit en retour par échange de politesse ; et entrèrent à l'intérieur sans un bruit.
Dans ce nouveau calme absolu, il n'était pas difficile de discerner à l'oreille nue le retour de Gignac, celui-ci n'avait absolument rien entendu, il était essoufflé comme une bête et laissait entendre en gémissant des râles de moribonds, lesquels résonnaient et faisaient écho dans tout le quartier. Son état de difficulté respiratoire devait être certainement lié d'une part au surpoids conséquent qu'il accusait, et de l'autre en rapport avec la quantité de nourriture absorbée au cours d'un seul et même diner festif. En réalité il suait de tout son corps et à profusion. Il ne s'était pas que contenté d'amener les deux fioles d'un litre chacune de chouchen. En qualité de scout qu'il fut dans sa tendre jeunesse, aucun de ses lointains réflexes ne lui faisait défaut, il n'omettait jamais de prévoir lors de ces nombreux déplacements, quelques matériels supplémentaires au cas où, pour palier à un éventuel manque lors des longues soirées estivales. Coincée sous son bras, une lanterne Dynamo à manivelle actionnée quelques secondes plutôt éclairait parfaitement l'environnement immédiat, projetant latéralement dans un jeu d'ombre sa grosse silhouette boursouflée sur le mur de la voisine d'en face.
— « Il semblerait mon vieux, que vous soyez de ce que nous pourrions qualifiés dans ce moment de l'homme des situations désespérées »
Maistre, fit de la tête un mouvement approbateur de vas et vient de haut en bas à défaut de pouvoir s'exprimer normalement, il se trouvait littéralement asphyxié dans une apnée prolongée. Les dernières bougies de Maryvonne venaient définitivement de rendre l'âme et furent aussitôt remplacées par la lampe autonome. Maistre désinhibé, et en complet accord avec ses principes paillards de débauché, mis son pouce sur le bouchon du goulot, et exerça une pression jusqu'à l'enfoncement total du morceau de liège à l'intérieur de la fiasque, lequel flottait à présent sur le dos au niveau inférieur du col. Il la présenta à Gignac, et en fit de même pour la deuxième.
— « Vous avez sans aucun doute là, l'art et la manière en ce qui concerne non pas le débouchage, mais l'embouchage d'une bouteille Monsieur, et avec toute cette quantité si je ne trouve pas le sommeil ! »
— « C'est que je n'ai pas la prétention de faire dans la demi-mesure moi m'sieur ; et puis en parlant de çà, à la vôtre camarade »
Ils burent tous deux une bonne et longue rasade en l'honneur de leur rencontre hasardeuse, sauf le lithothérapeute qui maîtrisait intentionnellement sa consommation, n'ayant apparemment pas l'habitude d'ingurgiter autant d'alcool en une seule fois.
— « Cette fois, je suis fin prêt à vous écouter, parlez-moi un peu de votre boulot ! »
— « Appelons ce que vous dite par son nom, et mesurez un peu plus votre langage voulez-vous bien ? Il s'agit avant tout d'une profession honnête et honorable vous savez ! » rétorqua Gignac assez agacé du manque d'égard accordé à sa personne que lui témoignait l'hirsute personnage se trouvant devant lui.
— « Excusez moi M'sieur le thérapeute, ce n'était pas dans mes intentions de vous froisser ! ». Maistre, désormais, abattait les formes langagières, de la même manière qu'il sifflait ses verres, c'est-à-dire sans aucune modération.
— « Oui, oui, passons, n'en faisons pas un drame, je vous disais tout à l'heure en quoi consistait ma profession, premièrement, il faut prendre pleinement conscience de la mesure de cette science ancestrale, et d'avoir toujours à l'esprit qu'il s'agit d'une médecine alternative qui cherche à soigner par les cristaux. Nous considérons qu'ils émettent naturellement une dimension de “résonance” ou une “vibration” singulière, capable de régénérer l'état de bien-être d'une personne à son contact ou à distance. C'est pour vous dire, moi-même et certains de mes confrères obtenons des résultats surprenants en matière de rémission, bien souvent au détriment de l'impuissante médecine conventionnelle, elle-même n'étant pas en mesure de proposer une solution d'alternative. Pour obtenir de tels résultats, nous utilisons une méthode dite “d'élixir” » : cela consiste à plonger et laisser baigner dans une solution spéciale un cristal au contact des rayons du soleil, de la lune, ou dans l'obscurité totale, en fonction de la réponse à donner à ce que vous voulez résoudre. Le liquide obtenu est ingéré par le requérant selon une posologie précise »
— « Ah, vraiment !! Et comment cela est-il possible ? Vous avez certainement une explication rationnelle à vos explications ? »
— « Pourquoi chercher systématiquement de la rationalisation partout ? »
— « Parce que figurez-vous, je suis un peu comme l'autre là, vous savez le saint qui croit seulement à ce qu'il voit »
— « Vous faites très certainement allusion à Saint Thomas il me semble »
— « Ouais, c'est c't'apôtre là, enfin on se comprend quoi ! »
— « Ne nous éloignons pas du sujet s'il vous plaît, mais revenons de préférence à ce qui nous intéresse si vous le voulez bien : les cristaux émettent une énergie fine, les pierres peuvent être portées sur soi sous forme de pendentif… »
— « Un peu comme celui que vous portez autour du cou là, dis-moi, pour faciliter un peu les échanges, çà te dirait qu'on se tutoie, comme les vrais mecs que nous sommes, ce serait peut-être mieux non ? » Maistre osait une première tentative de rapprochement familière, histoire d'enlever un peu du ridicule de la situation dans laquelle il pensait se trouver, et par la même occasion de baisser les barrières naturelles de ces formalités d'usage »
— « Je n'y vois aucun inconvénient, c'est comme il te conviendra »
Maistre pensait se voir opposer un refus ou un peu plus de résistance de la part de son allocutaire.
— « Oui, effectivement, comme celui que je porte actuellement, la pierre qui y figure est une Anatase, l'une des plus puissante du règne minéral, il faut l'utiliser avec parcimonie. Elle est très active et toute action entreprise par la charge n'est contrôlable qu'avec une parfaite maîtrise de l'acte magique »
Maistre sursauta, par un mécanisme inconscient d'autodéfense que l'on pourrait attribuer à son scepticisme, lequel devenait lisible sur son visage dès l'apparition du mot magie, ces réflexions centrales à propos de ce que lui racontait l'autre espèce de shaman le troublait dans son esprit. Les effets des vapeurs alcooliques commençaient à embrumer ses gros yeux clairs, un peu comme ceux des poissons que l'on retrouve sur les étalages des poissonneries, lorsque la bestiole semble vous observer allongée sur le flanc presque à l'agonie de ses grosses mirettes voilées et globuleuses.
— « Attends t'es pas sérieux là ! Tu me racontes des histoires à dormir debout ! »
Gignac souriait ; l'expression machiavélique que prenait sa face, et ses yeux que l'on aurait dit charger des flammes de l'enfer par l'effet miroir de la pupille reflétant les lueurs de la lampe mobile, interloqua Maistre. L'invraisemblable compagnon de discussion qui avait été sur la défensive, subissant les agressions répétées et déplacées depuis le début de la soirée, venait subitement de changer d'attitude et se trouvait actuellement en position de force.
— « Ais-je l'air de plaisanter selon toi ? Écoute-moi bien, tu commences sérieusement de me fatiguer à me prendre comme tu le fais pour un hurluberlu et depuis un certain temps déjà ». Sur ces paroles offensives, il rapprocha la bouteille de chouchen qu'il porta bien vite à sa bouche et prit une légère gorgée du doux breuvage.
— « Ce n'est pas la peine de t'énerver comme çà l'ami, j'ai compris le message, et je m'en excuse, aller calme toi je te laisse continuer, je ne te couperais plus la parole, je te le jure »
Gignac considérait Maistre sur l'instant d'une manière condescendante, l'observant dans sa suffisance à demi avachie sur sa chaise qui peinait à contenir ce gros sac désobligeant, tout en se demandant encore pourquoi il se donnait encore la peine d'expliquer les grandes lignes de son métier à ce type grossier manifestement ivre mort.
— « Bon, écoute, je veux bien terminer, ensuite je pense qu'une petite promenade digestive autour des mégalithes nous ferait le plus grand bien, comme cela je finirais peut-être de te convaincre des pouvoirs des pierres par une petite expérience, allons serrons nous la main pour effacer ces petites superficialités sans importance ! »
Après l'acte réconciliateur, et avec l'approbation de la proposition d'une mise en pratique, Maistre pensait encore dans un soupçon de lucidité, que Gignac allait couper court à l'aparté derechef ; décidément il le trouvait bien surprenant ce grand bougre tout maigrichon.
— « Mais où en étais-je déjà ? Ah oui l'Anatase, cet aérolithe irradie très fortement autour de lui, parfois trop intensément et opèrera d'une façon très franche et rapide vers le but qui lui a été fixée. On l'utilisera donc prioritairement lors des rituels visant à atteindre un but précis ou pour matérialiser une volonté. Elle peut également s'avérer être redoutablement efficace pour éloigner une mauvaise personne qui serait susceptible de nous vouloir du mal, mais il ne faut pas perdre de vue que cet éloignement sera net et irréversible, voir mortel dans certains cas. L'Anatase a d'autres spécificités, par exemple former une carapace, une véritable protection pour autrui. À n'utiliser que dans des circonstances précises et à de très rares occasions lors de derniers recours au cas où toutes les autres protections possibles ne soient inefficaces ou inadaptées pour couper certaines personnes de certains milieux. Voilà pour l'essentiel de ses propriétés. En définitive, pour faire court chaque pierre est associée à une ou plusieurs facettes de notre état de santé physique ou mentale, sa vibration peut donc influencer nos propres vies positivement ou négativement… »
— « Je t'avouerais que tout ce que tu me dis là me semble incroyable et assez fascinant » Maistre à la limite de l'endormissement optait pour l'emploi désormais d'un ton nettement plus courtois et respectueux.
— « Passons des mots à la pratique, je serais ravi de te faire ressentir ces belles énergies subtiles, présente dans nos êtres et pourvoyeuses de vitalité. Pour ce faire, à mon tour je vais nous préparer une potion bienfaitrice, à base de végétaux et baies naturellement présente dans notre environnement commun. Pour ce faire, laisse-moi un peu de temps pour nous concocter cette tisane bien chaude qui réchauffera nos corps à n'en pas douter. »
Gignac entra dans la pension à pas de velours mesurant avec précision la lourdeur de ses pas, il disparut vingt bonnes minutes, pendant lesquels Maistre voyant la silhouette s'évanouir progressivement dans les ténèbres, se posait intérieurement la question de savoir en baillant aux quatre vents tout en s'étirant fermement les bras au-dessus des épaules dans quoi il allait encore s'embarquer cette fois-ci. Il réapparut, tenant dans ses délicates mains une sorte de bassine remplit d'eau à ras bord, qu'il posa délicatement sur la table, pour ne pas à avoir la mauvaise surprise d'en renverser le trop-plein. Dans celle-ci, Maistre y observait avec curiosité une nuée de plantes, de fleurs, et de baies ; en somme, un véritable panaché végétal multicolore en suspension infusait dans le liquide encore bouillant. Dans ce bain hétérogène, des fumées translucides émanant vers les cieux laissaient échapper dans l'air froid de la vapeur d'eau aromatisée de délicats parfums sauvages. Comme le voulait le rituel, il fit un ou deux signes de la main inexplicable, puis retira le pendentif de son cou et l'immergea tout entier dans le récipient de fortune. L'incantateur murmurait à voix basse des textes théurgiques dans une autre forme de langage. Le solennel cérémonial dura en tout et pour tout une dizaine de minutes, elles parurent une éternité à Maistre, un peu désarçonné par le protocole magique. Il en retira l'amulette et l'association végétalienne, plongea ses mains refermées sur elles-mêmes les doigts d'une main imbriquée à ceux de la main opposée à la manière d'un récipient creux et étanche formé des extrémités articulées dans l'aquosité élémentaire, il les retira pareillement dans des dispositions égales et en présenta le contenu à la bouche de Maistre qui avala la composition savante et subtile d'un trait comme a son habitude « cul sec » et sans rechigner.
— « Aller mon brave, avale-moi çà sans détour, et concentre-toi sur la beauté du monde. Ensuite, toi et moi irons communier avec l'infiniment grand »
Ils burent tous deux et se levèrent simultanément sans un mot, ne se donnant aucunement la peine de ranger l'attirail sacrificiel déployé anarchiquement sur la table. Gignac prit la tête du cortège restreint, suivi de Maistre à la démarche titubante à trois pas derrière, un peu abasourdi par la tournure des évènements. Au même moment dans la rue adjacente des chats se disputaient et émettaient des vocalises à en réveiller le quartier endormi. Quelques minutes plus tard, nos deux compères prirent la direction des alignements monumentaux par les bois noirs, ils se confondaient parfaitement dans le lointain avec les imposantes masses noires des troncs des nombreux arbres pluri centenaires qu'hébergeait cette forêt domaniale et disparurent sans un bruit peu à peu dans l'obscurité.
Le 13 juillet 2010
Il se fait exactement sept heures du matin pas une minute de plus ni une de moins, Maryvonne ouvrait les volets battants de sa chambre au sous-sol, elle peinait à sortir du songe dans lequel cette courte nuit l'y avait plongée. Réglée comme une horloge comtoise, son quotidien se répétait à l'infini, ce petit soldat au service permanent de ses occupants, commencerait sa longue journée dans un ordre bien précis. Prioritairement, elle avalerait les trois kilomètres journalier aller-retour qui sépare son domicile de la boulangerie Huguet, réputé pour la qualité de ses pains encore élaborés à l'ancienne, puis au retour dresserait un royal petit déjeuner dont elle seule a le secret. Des confitures maison présentées dans des petits bocaux de verre individuels façon grand-mère viendront garnir les tronçons de baguettes encore chauds et son assistance encore soumise à l'éveil des sens ne manquerait pas comme toujours de lui faire valoir des éloges par l'importance de cet agréable petit service rendu. Mais ce matin son organisation sera mise à mal, à la vue du bazar qui règne dans le jardin au moment du départ chez le boulanger. Un peu contrariée par tout se désordre à l'image d'un champ de bataille et de surcroît par l'attitude irrespectueuse des deux hommes qui avaient occupé son jardin la veille, voir l'équivalent d'une bonne partie de la nuit, elle ne manquerait pas de signaler son mécontentement en apportant poliment l'incident à leur connaissance au moment du premier repas de la journée, enfin, s'ils daignent encore vouloir venir déjeuner pensa-t'elle. Les Duclos occupaient l'espace de la salle de bain à tour de rôle, toute la famille armoricaine s'était levée au diapason. Il était programmé à l'emploi du temps ce matin, la visite du musée de la préhistoire de Carnac, avant de faire route à l'issue de celle-ci en direction des embarcadères maritimes à destination de la bien nommée belle-îloise. Au même moment dans la salle à manger au rez-de-chaussée Maryvonne se démenait à terminer les derniers préparatifs, préludes à la réussite d'une bonne journée, après avoir remis au préalable de l'ordre à l'extérieur. Elle avait plus exactement jeté les bouteilles vides dans les containers à verre au bout de la rue, vidé les cendriers, et rangé chaque élément à leur place respective. Les deux jeunes marmots firent les premiers leur apparition dans la salle à manger ; suivis quelques minutes plus tard des parents, probablement attirés eux aussi par les émanations des odeurs de café, ils ne manquèrent pas en entrant dans la salle à manger de saluer respectueusement la taulière tout en observant les différents cadres avec les photos à l'intérieur des enfants et petits enfants de Maryvonne. La décoration des murs se voulait relativement minimaliste, mais de très bon goût, une tapisserie murale moderne à la forme d'une frise géante exprimait remarquablement l'esprit de l'époque et reflétait les tendances contemporaines du moment.
— « La nuit était-elle profitable et réparatrice ? »
— « Nous avons dormi comme des loirs, absolument assommés par la fatigue, cela est certainement lié à l'air marin ! » répondit Duclos les traits du visage tirés à l'extrême avec de grosses poches pendantes et boursouflées bien visibles sous la partie inférieure des cavités orbitales.
— « En même temps vos chambres sont tellement confortables, une véritable invitation au relâchement corporel !, et entre nous l'effet inverse en aurait été surprenant, j'ai beaucoup apprécié les décorations individualisées de chacune d'elles, je vous félicite » déclara Madame Duclos en émettant un bon gros rire bien sincère.
— « Vraiment ! Vous m'envoyez ravi en me disant cela !, aller, ne perdons pas de temps, je crois savoir que la journée vas être bien chargée aujourd'hui, n'est-ce pas ? ». Ils approuvèrent ces sages et simples paroles et débutèrent les festivités sans plus tarder, et sans effet de surprise ils apprécièrent beaucoup toutes les petites attentions de Maryvonne.
Les gamins avaient avalé à la hâte un ou deux morceaux beurrés du succulent pain frais, trempé dans un bol de chocolat chaud, et s'étaient dérobés avec empressement dans l'intention d'aller incommoder le vieux berger allemand impotent couché dans toute sa longueur sur l'allée dallée qui mène au garage. À leur approche, il releva difficilement la tête et péniblement son arrière-train à demi paralysé, l'effort lui coutait énormément ; en déplaçant sa lourde carcasse paralytique, l'animal fit face aux enquiquineurs. Celui-ci ne partageait pas vraiment les idées malveillantes des garnements, et n'avait nullement l'envie de se laisse caresser, il les fixa calmement dans les yeux d'un regard perçant et menaçant, les deux autres comprirent instinctivement que celui-là il ne fallait pas trop l'incommodé. Voyant la réticence du cabot à vouloir se laisser approcher, ils changèrent aussitôt de plan et décidèrent avec préférence d'aller observer la basse-cour à l'opposé du carré de verdure, laquelle était accessible après avoir retiré dans un premier temps le verrou sécuritaire d'un portillon en bois. Un farouche coq se pavanait devant ses dames, observant de près les deux intrus qui s'apprêtaient sans ménagement à faire irruption sur son territoire, avant d'être stoppés net dans leurs ardeurs par la maîtresse de maison. Depuis une vingtaine d'années qu'elle accueillait les familles de France et de Navarre, elle savait d'avance que les petits chenapans n'avaient d'yeux que pour son chien et son poulailler ; ces petits monstres de curiosité devaient être intrigués à l'arrivée par l'impressionnante taille du chien et par les gloussements intempestifs de la volaille.
— « En route mauvaise troupe, il n'y a pas de temps à perdre, l'aventure n'a que faire des retardataires ! » avait lancé le chef de famille sur un ton autoritaire. En réalité cet ordre déguisé, se devait d'être exécuté dans la minute, sinon gare à vous !
Sans se faire rappeler à la manœuvre une deuxième fois les deux garçonnets se gardèrent bien de ne pas désobéir en y mettant la meilleure des volontés. Ils délaissèrent avec empressement et sans arrière pensé les deux morceaux de bois empruntés du tas de bois de chauffage, recouvert d'une bâche de couleur verte, avec lesquelles ils s'imaginaient combattre des flibustiers, des pillards mal intentionnés. Dans cette péripétie imaginaire, ils se trouvaient dans la peau de corsaires intrépides à la solde du royaume et défendaient les marchandises de l'état au péril de leur vie. Mais au moment fatidique de rendre jugement aux adversaires vaincus une voix céleste et toute puissante, les ramenèrent à la réalité. S'agissant ici de celle du dieu le père, ils s'élancèrent alors rejoindre leur paternel qui fignolait les derniers préparatifs dans le coffre de la voiture juste avant le départ. L'air chaud annonçait déjà une journée caniculaire, égale par ces températures à celle de la veille. Cette dernière avait été par moment extrêmement étouffante par l'absence du vent de nord-est si présent habituellement dans le golfe du Morbihan, partant pourtant du principe que cette baie est en partie tributaire d'un climat de type océanique tempéré. Maman Duclos était tout enjouée, et pour l'occasion, elle n'avait pas hésité longtemps à revêtir sa courte robe d'été pour mettre en valeur ses belles formes féminines que deux grossesses rapprochées n'avaient nullement altérées. Elle le savait, et aimait attirer le regard des inconnus sur sa ligne parfaite, ce qui finissait de la rassurer sur l'emprise de son charme. Son mari en revanche, n'avait que faire de ses détails, qu'ils considéraient être superficiels, en outre une perte de temps à reléguer absolument au rang de l'inutilité, grosso modo du domaine de l'insignifiant. Finalement, en opposition totale avec sa conjointe, il arborait sans complexe le look d'un type quadra ordinaire sans prétention. Physiquement son embonpoint visible sous sa chemise, ne choquait pas non plus, nous pouvions dénoter par cette attitude mesurée une absence d'extravagance superflue, tout était donc dans le moment dans le bon ordre, il n'y avait rien à signaler. Ils quittèrent les lieux aux environs de onze heures, et nous ne les reverrions pas certainement avant la fin de la soirée.
Maryvonne trépignait sur place, aucun des autres pensionnaires ne laissait présager la perspective d'un éventuel réveil. Allons donc, quand je vous disais que cette étonnante journée allait être fortement perturbée pour notre petite bonne femme. Toutefois les consignes étaient très claires au moment de l'installation, le petit-déjeuner était servi seulement à partir de sept heures trente et jusqu'à onze heures maximum et pour en bénéficier, il fallait prévenir le propriétaire de ses intentions, en l'occurrence Maryvonne la veille pour le lendemain matin. De mémoire, elle ne se souvenait pas avoir été confrontée une seule fois à ce cas de figure depuis les débuts de son activité et se trouvait présentement contrariée du laxisme dont faisaient preuve ses clients.
Onze heures vingt-cinq, Madame Maistre descendais les escaliers à la cadence des battements cardiaques pulsatiles qui frappaient ses tempes aux rythmes d'une samba endiablée ; comme la veille, elle ne lâchait pas la rampe de peur de voir ses pieds se dérober dans l'entreprise. Ayant conscience du temps qui passe, elle se savait en retard au rendez-vous pantagruélique du petit jour, de toute façon peut importait dans l'état actuel des choses elle n'aurait absolument pas avalée quoi que se soit. Elle avait cette étrange et désagréable perception d'être trahie par ses sens, sa vision troublée par l'ingestion du trop-plein d'alcool de la soirée d'hier produisait du désordre dans son champ visuel. Confuse dans ses idées, le cerveau comprimé dans sa boîte crânienne, elle en arrivait à se maudire par son comportement excessif à certaines occasions. La maison apparaissait vide de ses occupants, dans le coin-repas sur la nappe de coton maculée de miettes de pain dispersées inégalement et un petit beurrier en argile à la forme ovale témoignaient du reste qu'avait été le petit-déjeuner de l'aube. Mais pour quelle raison Henry ne m'avait-il pas averti de son absence et de ses intentions s'interrogeait-elle un peu crédule après réflexion ? Après tout, il avait peut-être jugé plus sage de me laisser dormir et de toute manière, nous avions décidé de passer notre temps à flâner au marché ce matin, il y était sûrement allé seul, supposa-t'elle. Le doute était maintenant levé sur ces interrogations ontologiques, il ne lui restait plus qu'à se préparer convenablement, et effacer les traces des abus de la veille qui faisaient déjà cause commune avec les abonnés absents. Notre rescapée d'un jour, fît une vraie toilette de princesse et se vêtit des plus beaux apparats qu'elle possédait. L'ensemble de la garde-robe était rangé au cordeau répondant aux critères d'un gabarit très précis sans la présence d'un moindre pli rebelle dans l'une des étagères de l'armoire de la chambre d'hôte avec l'espoir et la ferme intention de retrouver bien vite son cher et tendre sur la place marchande. Chacun pensait vaquer librement à ses occupations comme cela profitant pleinement des joies et des plaisirs qu'offraient les innombrables charmes de la belle échancrure morbihannaise.
Après avoir fait la tournée des marchands ambulants de sa connaissance, et échanger quelques mots toujours bien choisis sous les rayons bienfaisants du soleil qui transperçait de part en part les auvents des étals, Maryvonne se trouvait au croisement communal des différentes routes touristiques majeures du secteur, les bras chargés de sacs contenant tous les différents ingrédients de base nécessaire à la confection d'un plat de saison. Elle rejoignait sans perdre de temps à pas rapides et décidés avec la goutte de sueur perlant au front le lotissement ou la maison pavillonnaire vit le jour dans le début des années quatre-vingt. De l'un de ces pochons plastifiés ; contenant de légumes mélangés, elle en sortit de grosses aubergines toutes luisantes au-dehors, en forme de massue sous sa belle robe noire, de longues et fines courgettes cylindrique, verte de peau, dont la forme était comparable à un bâton de gendarme. De l'autre un peu moins volumineux, elle en extrayait de belles et moyennes tomates de la variété appelée « Rose de bernes » ce fruit charnu aux différents coloris et à la chair tendre et juteuse, dotée d'une saveur sucrée sans son pareil, faisait paraît il tourner la tête des jardiniers. Il y avait aussi de gros poivrons, appelés aussi piment doux, de forme carrée ; l'enflé fibreux originaire d'Amérique centrale jouait de ses notes épicées des contrées ensoleillées. Et pour achever cette liste exhaustive des emplettes du champ de foire, nous terminerons avec les condiments, il s'y trouvait parmi ces voisins proches du potager un oignon de Roscoff violet doré que l'on cultive dans une zone délimitée du littoral nord du Finistère à l'appellation d'origine protégée qui se trouvait fort bien là, accompagné deux belles échalotes allongées et régulières en habit rose et jaune cuivré, et en dernier lieu une gousse d'ail bien encore accoutrée de sa blanche enveloppe champêtre. Ce menu, dans lequel une ratatouille subtilement parfumée d'herbes de Provence et d'huile d'olive cuisinée dans le respect de la tradition méridionale lui tenait à cœur, ferait à coup sûr le bonheur de son ami René. Ce camarade de classe des premières années s'était arrêté au volant de son véhicule tout terrain hier en début d'après-midi, il lui avait fait profiter de la pêche du jour qui avait été miraculeusement fructueuse, ayant eu lieu très tôt au soleil levant. Ravie des attentions si chaleureuses de son ami, elle l'avait convié le lendemain au déjeuner de midi avec la ferme résolution de déguster le résultat de la pêche avec l'une de ces recettes préférées. Car figurez-vous, notre hôtelière telle que nous l'a connaissons aujourd'hui avait été une cuisinière réputée dans sa jeunesse, et n'avait aucunement perdu la main, bien au contraire.
Madame Maistre s'était mêlée sans d'autres choix possibles à la nombreuse foule des grands jours d'affluence du marché, elle s'était littéralement immergée dans le grand bain des eaux sinueuses de cette marée humaine. Ce rendez-vous hebdomadaire estival se tenait sur les deux places principales du centre bourg les mercredis matin ; fort de sa notoriété grandissante depuis quelques années d'existence, sa réputation n'était plus à faire. Il n'avait cessé de s'étendre au fur et à mesure que les années passaient ; son expansion avait été promptement exponentielle et dépassait maintenant géographiquement et largement les limites du cadre originel. Ce grand bazar à ciel ouvert comptait facilement des centaines d'étals dans son étendue, composé d'artisans locaux et d'artistes de tous poils. De toute évidence, ces marchands ambulants et itinérants ne rencontraient aucune difficulté pour écouler leurs stocks de marchandises. Giselle n'avait que faire de cette grande comédie existentielle de plein air, elle cherchait désespérément son mari du regard ; littéralement absorbée par la populace compacte et hétéroclite environnante. Dans ce brassage social d'individus, touristes, chineurs, riverains, curieux se confondaient avec les vendeurs, crieurs, aboyeurs et tout cet ensemble d'individus des plus jeunes aux plus âgés baguenaudaient dans l'exigüité manifeste sans difficulté majeure apparente, ces derniers étaient reconnaissables aux sons de leur grosse voix portante. Ces spécialistes chevronnés de la réclame s'en donnait à cœur joie d'ameuter les âmes de passage, vociférant et vantant leurs merveilleuses camelotes à tout-va, avec l'aide de formules d'accroches familières très séduisantes destinées à qui veut bien les écouter ou surtout les entendre à s'en faire exploser les cordes vocales : Aller Messieurs Dames, ici on ne fait que des affaires !, ou encore, tout doit disparaître !, croyez-moi, il n'y en aura pas pour tout le monde aujourd'hui !
On ne s'entendait plus parler et il n'était pas possible de repérer quoi que ce soit à moins d'un mètre autour de soi. Une sorte de frénésie collective animait les badauds qui peinaient à se frayer un chemin au travers de cette ruche vivace tellement étroite et bondée à certains endroits que certains excités étaient à la limite de jouer des coudes dans ce gigantesque essaim urbanisé aux milles couleurs de fleurs. D'autres encore, en qualité de consommateurs excessifs sortaient à tous vas des billets de banque délicatement rangés dans l'un des compartiments d'un portefeuille, comme si du simple fait de les toucher, les morceaux de papier leurs brulaient les doigts et faisaient ressortir inconsciemment leurs vraies natures d'acheteurs compulsifs. Progressant tant bien que mal dans sa quête désespérée, à la limite de l'évanouissement parfois, son esprit se substituait à ses jambes, cependant elles avançaient encore mécaniquement, désorientées à l'image d'un navire en perdition sans capitaine, voguant dans des eaux houleuses et déchainées de l'océan, menaçant de chavirer et à la limite de rompre au contact d'une incommensurable vague géante. C'était vertigineux, une véritable traversée du désert, martelée sans cesse par les rayons assommants de l'astre solaire qui redoublaient d'intensité à cette heure chaude de la journée. Et pour ne rien arranger, il y avait là, de la nourriture de toute sorte et à profusion dans chacune des allées marchandes, des odeurs se dégageaient instantanément des stands, et diffusaient leurs émanations parfumées à des centaines de mètres à la ronde. Son estomac malmené par tant de contrariété menaçait de rompre à tout instant et d'éjecter son trop-plein d'aliments en macération prolongée, n'importe où. Des crampes opportunistes finissaient de tirailler tous ces viscères à la limite de l'occlusion, s'en était trop, elle abandonna les sentiers battus hâtivement au profit d'un banc qui se trouvait libre sur l'un des trottoirs dans une rue perpendiculaire jouxtant un lavoir remarquablement bien préservé et entretenu ; dans tous les cas elle se trouvait bien assez loin de se brouhaha discontinu à en perdre la raison.
Avec René, inutile de tourner autour du pot, ce grand gaillard au caractère entier d'environ un bon mètre quatre-vingt-dix, arborant un physique de gladiateur ne faisait pas dans la demi-mesure. Il fallait absolument l'entendre parler de son imposante stature ; la parole facile, le langage d'un vrai charretier, personne ou pas grand-chose ne lui résistait à celui-là. Sans jeux de mots, il avait pris possession de la salle à manger chez Maryvonne depuis approximativement un bon quart d'heure.
— « Dit moi cher amie, c'est bien calme dans cette maisonnée aujourd'hui, y a même pas un faubourien de parigot à ce farcir dans les parages ! Tu nous avais pourtant habituées à mieux » dit l'armoire à glace en plaisantant.
— « Tu en as de bien bonne toi grand nigaud, je me demande toujours où tu vas cherchez tout cela, enfin figure toi René, que justement c'est amusant que tu en parles, cette journée me dépasse, mes locataires, enfin une partie d'entre eux tout du moins, ne donnent plus signe de vie, je trouve cela quand même inquiétant, qu'en pense-tu ? »
— « T'es marrante toi petit poussin !, qu'est-ce que tu veux que je te dise, j'les connais pas moi tes locataires, t'as qu'à les tenir en laisse comme Tom (le chien), comme çà au moins tu seras sur de ne plus les perdre » ils se mirent tout deux à rire de bon cœur comme les deux gamins d'une jeunesse retrouvée, autant qu'ils en avaient l'air.
— « Non, mais plus sérieusement René, sans plaisanter, la situation est anormale, il y a certainement des évènements qui nous dépasse, quelque part au tour de nous » Maryvonne instinctivement pressentait arrivé le pire, dépassées par la tournure que prenaient le cours suspect des circonstances.
— « Ah, sacrée toi, je te reconnais bien là vas, si t'n'existais pas faudrait t'inventer mon p'tit poussin !, sert nous donc à manger au lieu d'aller chercher des histoires là ou y en a pas, c'est que çà sent bon dans cette gargote, et puis entre nous qu'est-ce qui ne nous dépasse pas à l'heure actuelle dans cette époque épique ! »
Le déjeuner était exquis, il n'y avait rien à redire là-dessus, la ratatouille et le poisson frais ajouter en fin de cuisson, cuit à l'étouffée et délicatement assaisonnée au plus juste par notre cordon bleu avait tenu toutes ces promesses après avoir mijoté délicatement et le temps nécessaire dans le jus de légume. Un sorbet de citron vert, arrosé largement d'une bonne rasade de vodka, ce que l'on nomme plus familièrement une coupe colonel bien servie ; clôturait digestivement et en dernière intention ce repas de mets terre-mer si raffiné de ses accents iodés. L'illustre gaulois avait presque saqué à lui tout seul, les deux bouteilles de vin rosé et quittait Maryvonne rassasié, la tête dans les étoiles. En refermant le lourd portail vert, il fredonnait des airs de chansons de marins, la lumière intense projetée de l'azur lui réchauffait ses tempes grisonnantes bien fournies, et une rafale de vent attentiste balaya d'une traite une mèche de cheveux récalcitrante la remettant aussitôt à son emplacement capillaire initial, et cela le temps de s'engouffrer dans son engin quatre roues motrices d'une marque américaine bien connue. À quelques encablures de cette scène banale d'une tranche de vie ordinaire du Pays-Bas bretons, esseulée et encore toute retournée du traumatisme subit par une perturbation intérieure ne voulant pas se dégager à l'avantage du beau fixe dans ses entrailles, Gisèle avançait le regard dans le vague, inexpressive et la posture légèrement courbée sur l'avant, à la voir dans cet état-là, l'on aurait dit qu'elle portait tout le poids du monde et avec lui tous ses malheurs sur ses épaules. René venait de démarrer sa bête de motorisation, elle faisait comme qui dirait parler son immense puissance mécanique au vrombissement tonitruent de l'étonnant huit cylindres en ligne sous le capot lorsqu'il s'amusait à appuyer sur la pédale d'accélération de son joujou adoré, attitude il est vrai un peu puéril comparable à un petit enfant en admiration devant son nouveau jouet. Que voulez-vous ? S'était le truc à René. Dans l'esprit il s'imaginait être dans le cockpit d'un avion de chasse, atteignant de fulgurantes vitesses, galvanisé par l'écoute d'une compilation de bagad breton provenant d'un Cédérom qu'il venait tout juste d'insérer dans le lecteur audio tout neuf.
Gisèle levait ses yeux laiteux soudainement en direction d'un bolide croisant sa route à toute vitesse, le son excessif des instruments criards de la musique qui se dégageait des fenêtres ouvertes lui triturait les tympans.
— « Satané chauffard irresponsable, dégénéré de danger public vas, à enfermer d'urgence, je te mettrais çà en taule moi, bon Dieu ! » maugréa-t-elle vulgairement encore toute sonnée et avec colère du si peu d'énergie encore disponible qu'il lui restait.
Elle laissait la route principale derrière elle, et s'engageait dans l'espace résidentiel des bois noirs, et comme à l'accoutumée Maryvonne était en pleine discussion avec sa pipelette de voisine qui était une authentique experte en la matière
— « Oh, bonjour madame Maistre, comme je suis soulagée de vous voir, quel plaisir, vous ne vous imaginez vraiment pas à quel point je suis rassurée de votre présence, mais vous vous trouvez sans votre mari »
La voix aiguë pourtant si bien intentionnée de Maryvonne incommodait Gisèle au plus haut point ; dans un ultime sursaut de lucidité, elle lui aurait tordu le cou pour l'empêcher de sortir d'autres paroles aux sonorités torturantes de sa bouche.
— « C'est un plaisir partagé, vous ne croyez pas si bien dire, cela vas faire maintenant trois bonnes heures que je suis parti à sa recherche, tout ce temps-là pour rien !, j'ai une migraine de tous les diables et l'estomac tout retourné, excusez-moi je monte me reposer, nous éclaircirons cette histoire un peu plus tard je vous prie ! »
— « Voulez-vous que je vous apporte un efferalgan dans un verre d'eau Madame Maistre, cela vous feras le plus grand bien »
J'ai surtout besoin de repos, le plus grand bien en effet serait de m'allonger, sans perdre davantage de temps dans un lit bien confortable pensa-t-elle.
— « Non vraiment, permettez-moi de vous remercier de vos bonnes intentions, mais là je ne suis plus en mesure de tenir debout, je vous laisse »
Elle s'excusa du mieux qu'elle le put au regard de ces manières expéditives avec le ton autoritaire qu'elle avait employé pour couper court au dialogue et monta illico s'allonger dans un cocon très confortable, sans pensées parasitaires susceptibles de majorer ce malaise général qui la rongeait de toute part, et s'endormit d'une traite. Plus rien à présent n'avait de sens, que fallait-il comprendre ? Peut-être était-il encore trop prématuré de tirer de quelconques suppositions à l'emporte-pièce. L'ombre des mystères planait lourdement sur la pension passiflore et persécutait les esprits, laissant Maryvonne et sa chère voisine perplexe.
Dix-huit heures, Gisèle sortait enfin de ces états indésirables de léthargies et de souffrances qui auraient probablement eu raison d'elle quelques heures auparavant, les questions fusaient dans sa tête, elle s'empressait à vouloir retrouver Maryvonne constatant toujours et encore l'absence prolongée de son mari. Au moment ou elle dévalait les escaliers comme une aliénée, sans cette fois utiliser la main courante qui lui avait été d'un si grand secours les heures passées, un bruit sourd de tuyauterie, de celle qui se charge d'approvisionnée l'eau courante dans une habitation était envoyer en pression jusqu'à la lance d'arrosage que Maryvonne employait à diffuser à grand jet sur les parterres de fleurs bordant fièrement et latéralement les allées qui mènent au couvoir des poules. Madame Maistre ressuscitait en récupérant progressivement ses facultés sensorielles, rudement altérées de ce début de journée qui ne l'avaient pas du tout ménagée jusqu'au milieu de l'après-midi. Sa mine déconfite d'une pâleur excessive, laquelle avait laissé entrevoir des yeux révulsés de leurs orbites et injectés de sang, avait repris quelques couleurs. Lors du passage de la revue quotidienne ce matin dans la salle de bain avant toutes les dispositions vestimentaires dont vous savez, remarquant les effets désastreux de cette nuit assassine sur ce joli minois, elle n'avait pas hésité longtemps à prendre le parti d'un port de grosses lunettes de soleil noires aux épaisses branches, suffisamment hautes et larges de ses carreaux feutrés pour masquer l'intégralité de ses deux perles bleues océanes un peu suspectes, noyées dans la profondeur des abymes immensurables.
— « Dieu soit loué, vous êtes là Maryvonne !, avez-vous des nouvelles de mon mari ? »
— « Non hélas, toujours pas, Monsieur Gignac n'a pas réapparût non plus, quelle drôle d'affaire nous vivons là ma pauvre dame, votre conjoint vous aurait-il fait part de quelques paroles susceptibles d'expliquer les causes de son absence »
— « Pas du tout, voyez-vous si s'était le cas je m'en serais souvenu voyons ! »
— « Les hommes nous jouent de vilains tours parfois, c'est dans leur nature ! »
— « Garder ses considérations de jugements sans fondement pour d'autre je vous prie, il n'est nullement question de cela en ce moment, je connais parfaitement Henry, c'est un homme de confiance, et ce n'est pas dans ses habitudes de me laisser sans nouvelles, çà ne lui ressemble pas du tout, j'appelle immédiatement la gendarmerie ».
(Deuxième partie)
Le gendarme de faction du standard de la gendarmerie présent au moment de l'appel, avait écouté le récit de Madame Maistre attentivement avec un grand intérêt dans les premiers temps, mais devinant une tout autre ampleur dramatique dans cette description à caractère inhabituelle, relatée avec tant de zones d'ombres et de confusions, préféra interrompre l'entretien téléphonique et invita les deux femmes à se rendre physiquement au poste le plus proche dans les meilleurs délais possibles.
L'adjudant Ziegler Alias « Zig » de son diminutif, comme on aimait l'appeler à la brigade, un grand gabarit poids plume et alsacien dont il tirait son origine, en était aujourd'hui à son huitième procès-verbal de la journée, comme il se plaignait de le dire sans s'en cacher, qu'il aurait été tout aussi bien compétent et apte à exercer en tant que secrétaire de bureau sténodactylo dans un office notarial que dans une gendarmerie de province.
Je vous remercie de l'intérêt que vous apportez à la lecture « la pension passiflore » ceci en est un extrait, si vous désirez lire le roman intégralement, je vous invite à bien vouloir télécharger la suite sur ce site (gratuit): http://www.monbestseller.com/manuscrit/la-pension-passiflore
Cordialement;
Stéphane
Stéphane De Saint-Aubain