La perle noire

Geralt était déjà sur Novigrad depuis plusieurs jours quand ses pieds le conduisirent à l'Esturgeon Doré. Il poussa la porte de la taverne dans l'espoir de trouver des informations sur Jaskier ou, à défaut, quelques joueurs de Gwynt qui pourraient lui permettre d'étoffer sa collection de cartes.

Mais ni l'un ni les autres ne furent au rendez-vous. La taverne était peu fréquentée, et même le gérant était avare de paroles. Geralt laissa échapper un petit grognement d'insatisfaction avant de quitter l'établissement. C'est dehors que le sorceleur remarqua quelque chose un tant soit peu intéressant : un homme cherchait visiblement à attirer son attention. Les cheveux tout justes grisonnants, la carrure d'un ancien soldat, le regard cherchant directement celui de Geralt… Il s'approcha sans se faire prier.

« Je n'ai pu m'empêcher de remarquer vos lames Sorceleur… Auriez-vous quelques minutes à accorder à un soldat à la retraite ? »

Le sorceleur se contente d'acquiescer, l'invitant à formuler sa demande.

« Je suis Nidas, ancien fantassin. J'ai parcouru les terres au rythme des guerres et des conflits. Ma femme n'a jamais aimé me voir partir au loin vous savez. Enfin voilà, pour la rassurer, je lui ai dit que je rentrerais toujours, car je lui ramènerais une perle noire de Skellige. Les noires sont plus rares, mais leur beauté est incomparable. »

Geralt opina une nouvelle fois du chef. Il avait aperçu une demande similaire sur l'un des panneaux d'affichage de la ville, il n'était donc pas étonnant donc que Nidas l'ait interpellé lorsqu'il avait reconnu les doubles lames dans son dos.

« Malheureusement les années ont passé, » poursuivit l'ancien fantassin « et mes forces ne sont plus les mêmes que lorsque je combattais les cuirassés sur les terres de la Téméria. J'ai passé trop de temps à guerroyer, et j'ai laissé passer ma chance de ramener une perle à ma Letta. » Son regard changea légèrement, mais il reprit rapidement. « Accepteriez-vous de m'aider ? Vous aurez surement quelques monstres à vous mettre sous la lame ! »

« Si les couronnes sont trébuchantes, je veux bien partir à la chasse aux perles pour une gente dame. »

L'homme se parut d'un grand sourire et alla même jusqu'à s'esclaffer.

« Alors marché conclu sorceleur ! Retrouvons nous au sud du phare d'Eldberg d'ici la prochaine lune. Je sais où l'on peut trouver les meilleurs bancs de perles du coin. »

Le sorceleur réussit à trouver un capitaine qui accepta de le conduire sur les îles de Skellige malgré les pirates et les tempêtes, si bien qu'il fût au point de rendez-vous en temps et en heures. Nidas l'y attendait déjà, un sourire sur ses lèvres usées.

« Enfin sorceleur ! Pendant un instant, j'ai cru que vous alliez laisser le vieux Nidas seul sur son bout de rocher. J'aimerais faire vite, le climat est trop humide pour mes vieux os. »

« Allons-y, mais je vous préviens, si vous n'aimez pas l'humidité, ça ne va pas aller en s'arrangeant. »

L'ancien fantassin commença à répliquer qu'il avait connu pire pendant la guerre, qu'il avait combattu dans les marais, mais il écourta son récit, persuadé que Geralt y était indifférent. Ce qui était faux, car le sorceleur aimait en apprendre d'avantage sur les personnes qui lui confiaient des contrats. Grands soldats ou simples marchands, leurs récits ouvraient une porte sur eux-mêmes qui permettait au sorceleur de deviner l'issue de leurs échanges, ou encore qui lui offrait une vision des choses qu'il ne connaissait pas : les rangs d'une armée, la difficulté de s'approvisionner en temps de guerre, ou encore le souvenir chaud d'un enfant en bas âge.

Ils avancèrent sous la pluie qui s'installait petit à petit. Nidas finit par s'arrêter sur une plage de galets.

« Les meilleurs lits d'huitres sont à quelques pas de là. Vous n'aurez aucune difficulté à en trouver j'en suis certain, mais les perles sont rares. Encore plus les noires. La solution est de plonger encore et encore. »

« Et je suppose que je suis le seul à plonger n'est-ce pas ? »

L'ancien fantassin haussa les épaules.

« J'ai toujours été plus à l'aise sur la terre ferme. Et avec mes vieux poumons… »

Geralt soupira. « Le client est roi. »

Sans se faire prier d'avantage, le sorceleur avança dans l'eau froide. La pluie n'arrangeait rien au niveau de la vision, mais ses sens aiguisés lui permettraient de localiser facilement ce qu'il cherchait. Les eaux étaient encore assez calmes, bien qu'il dut sortir son arbalète plusieurs fois afin d'éloigner les sirènes qui lui tournaient autour, fâchées qu'un tel intrus convoite leurs précieuses huitres aux perles. Il creva la surface plusieurs fois, quelque peu déstabilisé par le rideau opaque qui rendait peu visible la frontière entre mer et air.

Il trouva plusieurs huitres vides, mais réussit à récolter plusieurs perles. L'obscurité devenait de plus en plus étouffante, aussi il ne savait pas trop si l'une de ses trouvailles était de jais ou non. Il décida de revenir sur la plage pour pouvoir observer son butin à la lueur d'une torche.

Son instinct de chasseur l'avait une fois de plus mené sur une bonne piste. Il aperçut au loin Nidas en proie aux noyeurs, et accéléra sa nage vers le rivage. Il sortit de l'eau en vitesse, dégainant aussitôt sa lame d'argent. Un des noyeurs était déjà à terre le ventre ouvert, grâce aux réflexes d'escrime de l'ex fantassin. Le sorceleur fit appel au signe d'Igni pour embraser le cadavre et les survivants, et ne leur laissa aucun répit. Nidas le surprit agréablement, car ils vinrent rapidement à bout des monstres.

« Je suis désolé, j'ai été imprudent. J'ai dû attirer leur attention en plongeant à plusieurs reprises. »

« Ne vous en faites pas sorceleur, j'ai survécu à Sodden, je peux bien survivre à ça. Et vous, vous avez réussi à trouver des huitres ? »

Geralt porta la main à son butin, et l'examina de plus près.

« J'ai même mieux que ça, j'ai de quoi vous permettre d'honorer votre promesse à votre femme, comme convenu. »

Le vieil homme ne put cacher son sourire.

« Ah, belle et précieuse, comme ma Letta… Eh bien comme dirait le prévot Nathalis, vous méritez une médaille… ou mieux, une semaine de perme au bordel ! »

Geralt laissa échapper un petit rire.

« Les couronnes me suffiront. »

« Malheureusement, par précaution, je n'ai rien pris avec moi… Rentrons ensemble à Novigrad, je vous retrouverai à l'Esturgeon Doré avec votre récompense après un bref détour par chez moi. Je vous paierez jusqu'au dernier sou, parole de fantassin ! »

« Alors en route. »

La route jusqu'à Novigrad fut agrémentée de récit de guerre et de fêtes de victoire, aussi le sorceleur ne regretta pas l'excès de zèle de l'ancien soldat. Ils se séparèrent devant le domicile de Nidas, et se donnèrent rendez-vous le lendemain.

Ne voyant pas le soldat aux alentours, Geralt entra et le trouva au comptoir de l'Esturgeon Doré.

« Geralt, Sorceleur et chasseur de perles ! Chose promise, chose due, voici votre or. Sans vous je n'aurais jamais réussi à honorer ma promesse. »

« Et Letta était contente que la promesse soit honorée ? »

Les yeux de Nidas se voilèrent de tristesse, subtilement.

« Oh, oui, Letta avait l'air contente quand je lui ai offert la perle…. »

Il laissa sa phrase en suspens. Après leur chevauchée de la veille et l'enthousiasme dont semblait naturellement doté le fantassin, la curiosité du sorceleur était piquée à vif.

« Elle avait l'air ? Elle n'a rien dit ? »

Un soupir prit l'ancien fantassin.

« En fait, ma Letta est malade depuis des années. Elle a commencé par oublier des choses, puis ne plus reconnaitre les gens, même moi ! Pour finir, elle ne parle même plus…. » Il leva les yeux vers le tueur de monstres. « J'espérais que le souvenir de cette promesse stupide la ferait réagir, réveillerait des choses en elle… ! Mais la promesse a été honorée trop tard, et je ne peux plus que vivre avec mes regrets… »

Le sorceleur resta tard au comptoir ce soir-là à échanger des récits d'aventure avec Nidas. L'alcool aidant, ils occultèrent la morsure glacée du temps qui passe pour la nuit.