La petite feuille
hayate
Un beau jour d’hivers, le long d’un ruisseau qui coupait une forêt, en haut d’un des nombreux arbres qui gardaient son lit, une feuille pensait.
Toutes ses compagnes étaient tombées, elles avaient succombé au pouvoir du temps.
Elle était la dernière, encore bien verte, elle savait que cela ne durerait pas et elle était las de demeurer ainsi agrippé à cette branche, d’admirer encore et toujours ce même ruisseau. Avant de mourir, elle voulait découvrir le monde. Peu être y avait-il autre chose au delà de ces bois ?
Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir alors elle lâcha prise.
Enveloppée par une légère brise, elle vint se déposer sur la surface presque lisse qui reflétait la couleur gris-blanc du ciel. Un faible courant la fit dériver et ainsi portée par ce maigre filet d’eau, commença son voyage vers l’espoir et l’inconnu.
Au début, le ruisseau ne fit que couler, traversant toujours le même bois et c’est seulement quelques fois qu’il fut parsemé de cailloux. Rien de bien intéressant toutefois…
Quelque temps après, la petite feuille fut éblouie par ce qu’elle vit. Elle venait de quitter le ruisseau qui se jetait dans un gigantesque lac. Une immense étendu d’eau s’offrait à elle. Le lac était entouré de montagnes blanchies par la neige et de superbes nuages flottants autour de ces dernières rendaient la vue incomparable.
Elle y resta des heures entières à voguer au grès du courant, peu être même une journée !
Une journée au bout de laquelle elle arriva au bord d’un long mur de béton qui annonça la fin du lac. Elle stagna là encore quelques jours ennuyeux mais au moins, ici, elle pouvait encore admirer ce paysage extraordinaire. C’est alors que soudain, les vannes immergées du barrage s’ouvrirent. A ce moment des courants tourbillonnants l’entrainèrent vers le fond et après plusieurs minutes à être secouée dans tout sens, elle fut propulsée de l’autre coté ou elle chuta le long de la cascade d’eau pour atterrir dans un fleuve. Elle prit rapidement de la vitesse et malgré ces derniers instants éprouvants, continuait de scruter les décors qui s’enchainaient.
Elle retraversa une forêt, puis les arbres disparaissaient peu à peu laissant place à des objets surprenants qu’elle n’avait encore jamais vus.
Des poteaux de bois s’étalaient maintenant à intervalles régulières le long du fleuve transportant l’électricité provenant du barrage, vers le lointain. Commencèrent alors à apparaître des fermes et des manufactures équipées de moulins à eau, la petite feuille était émerveillée.
A mesure qu’elle avançait, elle constatait que le fleuve progressivement devenait en quelque sorte prisonnier d’un canal. Elle s’aperçue aussi que les fermes étaient devenues de grandes bâtisses et que les moulins avaient laissé place à de grandes usines équipées cette fois de hautes cheminées crachant une brume grisâtre. Au début elle trouva tout cela impressionnant et beau, elle qui n’avait jamais rien connu de tel ! Mais très vite le charme qu’elle avait découvert en voyant ces bâtiments avait disparut. Tout finissait par se ressembler, même les ponts qui défilaient au dessus d’elle avait fini par perdre leur originalité. En plus de cela venait s’ajouter le bruit, faible mais toujours présent, constamment. Le fleuve lui-même avait changé. Son eau si claire et si douce s’était transformée en un liquide gras et trouble. De plus, la vie sous-marine semblait se faire de plus en plus rare.
Déçue par l’endroit que lui avait fait découvrir le fleuve, de l’endroit où le fleuve l’avait conduite, elle décida de s’en écarter. Elle emprunta un des conduits qui s’échappaient du canal et, à sa grande horreur, se retrouva dans une eau encore plus dégoutante. Elle accéléra, traversa une grille à large carreaux et, emportée par un torrent, se retrouva submergé pour le restant de ses jours dans un tuyau où un filtre vint mettre fin à son voyage.
Et c’est ainsi que la petite feuille rêveuse qui voulait découvrir le monde fini par regretter sa paisible ignorance et le calme qui régnait dans ses montagnes.
FIN