La pluie pour la vie et les larmes pour la mort.

celle-qui-ecrit

Ce texte est pour toi. Toi qui ne sais plus comment vivre. Je crois en toi, ne la laisse pas te faire penser le contraire. A la fin de cette lecture, tu seras complice toi aussi...


- Prologue -

Yuna parcourt les rayons de l'épicerie à la recherche de sauce tomate. 

Elle déteste ça, mais si Léo n'en a pas sur ses pâtes, il refuse de les manger. Il ne veut pas et c'est comme ça.



Léo à 10 ans, c'est son fils. Un petit garçon timide et attachant. Léo a un petit nez retroussé qu'il tient de sa mère, de grands yeux noirs et une peau blafarde, qu'il tient de son père.

Son père ? Un homme, une ombre, un fuyard, un souvenir...

Oui un pauvre souvenir accroupit au fond d'une boite qu'on ne veut pas ouvrir.

« Mais où est-elle cette foutue sauce ? ».

Léo ne parle pas beaucoup, même pas du tout. Il préfère regarder, observer. Il préfère penser que jouer. Léo n'a que 10 ans et ne veut pas perdre son temps.

Il sait que les vies sont des minutes et des heures qu'on grappille chaque jour. Il en profite, c'est précieux. Précieux comme un papillon dans un bocal. Deux ailes qui tremblent, se cognent et finissent par s'arrêter. Epuisées. Pour lui c'est ça la vie. C'est sa vie. Quelque chose de beau et fragile. Quelque chose qu'il faut protéger et regarder. Léo ne parle pas.

Sa mère pense qu'il est juste un peu perdu. Elle ne sait pas. C'est son garçon, ce petit être calme et sensible. Il n'est pas différent des autres. Seulement pas pareil.

 

-      Excusez-moi, je cherche la sauce tomate…

-      Ah… J'suis nouvelle ici, j'sais pas trop… Attendez ! Simon ?! Bordel Simon t'es ou ?!

Un gamin avec des cheveux dans la figure et un pantalon troué débarque en trainant les pieds.

-      Quoi ? Demande-t-il d'une voix enrouée.  

-  C'est mon cousin, ça fait un mois qu'il bosse là, moi j'débarque ! Explique la caissière à Yuna qui s'en fout complètement.

-      Tu veux quoi ? Redemande Simon.

-      Où c'est qu'tu la ranges la sauce tomate ?

-      Je vais en chercher, il y en a plus en rayon.

 

                                                 * * * * *

 

Yuna ferme la porte d'entrée. La maison est calme et silencieuse.

Comme d'habitude.

Elle pose le sac de courses dans la cuisine, puis retourne dans l'entrée et retire son manteau et ses chaussures. Le chat, étalé sur le canapé du salon la fixe en bougeant la queue. L'air de dire « eh ouais, ta vie est toujours aussi chiante… ».

Yuna soupire et va voir si son fils est bien là. Oui. Il est assis sur son lit et dessine sur une feuille de papier, posée sur un livre pour que ce soit plat. Il la regarde et lui sourit avant de retourner à son dessin. Yuna sourit aussi. C'est comme ça. Peut-être bizarre mais comme ça. Elle ne lui demandera pas « comment s'est passé ta journée mon trésor ? »  ou « Qu'est-ce que tu voudrais manger ce soir ? ».

Elle retourne dans le salon et écoute les messages sur le répondeur. Il y en a un : une femme intéressée par la chambre qu'elle voudrait faire louer. Elle la rappelle. Elles discutent et décident de se rencontrer le lendemain.

 

                                            *  *  *  *  *

 

A table Léo mange ses pates à la sauce tomate et Yuna le regarde. Elle n'a pas faim. Personne ne parle. On entend juste le bruit de la fourchette contre l'assiette.

Yuna ne raconte pas à son fils qu'elle est exprès allée à l'épicerie pour lui acheter sa sauce tomate parce qu'il n'y en avait plus au super marché. Elle ne lui raconte pas que ce soir elle a envie de pleurer. Qu'un type l'a insulté en voiture. Que ses cheveux ne ressemblent à rien. Qu'elle ne ressemble à rien. Qu'elle est transparente partout où elle va. Qu'au restaurant, elle a jeté ses déchets dans le porte-parapluie au lieu de la poubelle. Qu'elle se sent conne presque tout le temps. Elle ne lui dit pas qu'elle l'aime. Qu'elle voudrait…

« Et bah voilà ! Tu chiales maintenant… ! ».

Des larmes roulent sur les joues de Yuna. Elle les essuies. Léo arrête de manger et la regarde. Elle sourit pour ne pas qu'il s'inquiète. Il se lève, s'assois sur ses genoux et la serre dans ses bras.

-      Maman, arrête de pleuvoir… Dit-il tout bas.

Ça devait faire un mois qu'elle n'avait pas entendu sa petite voix.

-      Qu'est-ce que tu as dit mon chéri ?

Elle a cru comprendre « pleuvoir »…

-      Arrête de pleuvoir… Répète-t-il.

-      Pleuvoir ?

Léo va se rasseoir à sa place et se remet à manger ses pates.

-      Léo je crois que tu voulais dire « pleurer », non ?

-      Non.

Son ton froid et sa réponse surprennent Yuna.

Il ne la regarde pas et continue de manger ses nouilles-tomate.

-      Mais ça ne se dit pas, tu sais bien qu'on dit « pleurer », non ?

-      Moi je dis « pleuvoir » parce que tu pleus.

-      D'accord…

Yuna passe sa main dans les cheveux de son fils qui entame son yaourt. Elle ne pleure plus et se dit qu'elle a son enfant avec elle.

« C'est déjà bien, non ? ».

Son bébé. Cette petite vie toute douce et silencieuse, arrivée par accident. Un accident ? Une faute, une bêtise, une connerie… Il dit des choses ce petit, des choses folles et désordonnées. Des gribouillis d'enfants transformés en phrases de vie. Yuna les aime ces mots. Elle sait qu'un jour il n'y en aura plus…


Léo sait que sa mère ne comprend pas. Qu'elle est fatiguée de ne pas parler. Fatiguée du silence. Lui il est heureux comme ça. C'est tout.

Sa mère pleut. Elle ne pleure pas.

La mort fait pleurer.

Oui comme les yeux. Des larmes tombées du cœur.

La vie fait pleuvoir.

Oui, comme les nuages. Des gouttes de pluie tombées des yeux.

 

                                                 *  *  *  *  *

 

Yuna verse son thé dans la tasse.

Elle adore le bruit de l'eau brulante abattue de force contre la porcelaine blanche du récipient. Un petit bruit tout fin et cristallin. Un bruit attirant.

Yuna a remarqué que la plupart des choses dangereuses ont l'air belles et attirantes aux premiers abords.

Ce sont des pièges.

Toutes ces choses.

Tous ces gens.

 

Elles ont l'air d'être innocentes et dépourvues de tout danger…

Ils ont l'air d'être vrais et fiables…

 

C'est tout le contraire.

 

Leo n'est pas encore rentré de l'école. La locataire est assise sur une des chaises en plastique de la terrasse, un mug dans la main.

Yuna s'assois à côté d'elle et bois une gorgée de son thé qui lui calcine l'intérieur. Mais juste un peu plus...

-      Alors ?

-      Alors quoi ? Demande Yuna en regardant le soleil.

-      Votre chat, vous l'avez retrouvé ?

-      Non, j'ai refait le quartier et personne ne l'a vu.

La locataire sourit.

Elle est belle. Ses cheveux noirs sont tressés le long de son cou et s'arrêtent juste au-dessus de sa poitrine. Elle porte une robe en lin et des sandalettes usées. Ses dents sont parfaites, tout comme son sourire. Son parfum lui rappelle son ancien immeuble, devant la porte d'entrée de son appartement.

-     Pourquoi souriez-vous ?

-     Vous n'avez pas remarqué que tout fout le camp ici ? Répond la femme.

Yuna se redresse sur sa chaise et regarde son interlocutrice.

-    Pourquoi dites-vous ça ? A cause du chat ?

-   Eh bien, votre mère est décédée il y a deux mois, votre collègue s'est fait virer, votre amie est partie et ne vous parle plus, vos voisins ont également déménagé,  ce type avec lequel vous couchiez vous a larguée, votre fils ne parle plus, vos…

-      Léo parle ! Arrêtez ça ! Qui vous a dit toutes ces conneries ?! S'exclame Yuna.

-      Vous.

Des « conneries » ? Peut-être, mais vraies…

-      Pardon ?! Quoi ? Mais vous délirez !

Yuna se lève.

-      Je vous assure que non, vous ne vous souvenez pas ?

-      Non !

-      Vous m'avez pourtant raconté toutes ces choses… Réfléchissez : sinon, comment les saurai-je ?

Un oiseau hésite à se poser sur une des branches de l'olivier mais déguerpit à toute allure du jardin.   

Encore un qui s'en va…

-      Je ne sais pas… ! Je… je ne comprends rien !

Yuna panique, sans vraiment savoir ni comprendre pourquoi. Elle se rassoit.

Peut-être qu'elle est folle et qu'elle a oublié toutes ces confessions…

« Absolument rien ne va chez toi ma pauvre… ».

La locataire pose une main sur la sienne et lui sourit pour la rassurer. Yuna ne réagit pas, complètement larguée.

Elle réfléchit et se dit que cette femme ne dit que la vérité : tout fout le camp.

Absolument tout.

Tout le monde et toutes ses conneries.

Il n'y a que des morts et du vide. Des creusasses, des gouffres, tellement profonds qu'ils deviennent des trous noirs. Yuna ne se souvient plus de rien… Rien !

-      Vous vous appelez comment ? J'ai oublié votre prénom… Demande-t-elle.

-      Je ne vous l'ai jamais dit.

-      Pourquoi ?

-      Vous le connaissez déjà.

-      Comment ?

-      Rappelez-vous…

Elle retire ses lunettes de soleil, la regarde dans les yeux et sourit.

« Eh bah quoi ? ».

Mais oui… Ce sourire… Ce visage ! C'était elle !

-      C'est vous ? C'était vous ?

-      Chez votre voisine, je lui louais une chambre.

-      Dans mon ancien immeuble…

-      Elle s'est tuée.

-      Oui ! Et je vous ai vu sortir de l'appartement, vous souriez… Je n'ai jamais compris pourquoi… Se souvient Yuna.

-      Ce n'est pourtant pas compliqué.

-      Mais vous n'étiez pas allé voir la police, pourquoi ?

-      Je ne voulais pas qu'on m'enferme en prison.

-      Mais vous n'aviez qu'à expliquer la vérité !

-      Qu'elle vérité ?

-      Son suicide ! S'exclame Yuna.

-      Ce n'était pas un suicide.

-      Mais vous avez dit qu'elle s'était tuée ! Ce que vous dites n'a aucun sens…

-      Oui elle s'est tuée, car je lui avais dit. Je l'ai tuée.

-      Vous lui avez demandé de se suicider ?!

-    Je lui ai dit de se tuer, elle l'a fait. Comme vous : tous ces soirs, je vous ai dit de me faire confiance, de me raconter vos problèmes et vous l'avez fait. Il y a beaucoup plus de tués que de suicidés sur Terre, je suis la mieux placée pour vous le dire…

-      Je ne me souviens absolument pas de ces soirs… !

Une voiture klaxonne de l'autre côté de la rue, faisant aboyer des chiens.

-    Personne ne se souvient avec moi, c'est pour ça que vous mourez. Vous croyez que je suis fiable, vous êtes si naïfs. Je vous piège. Vous croyez que vous êtes bien avec moi. Vous oubliez tout. Vous mourez car je vous le dit. Vous avez tout oublié, il n'y a aucune chance que vous surviviez.

Yuna se lève et s'écarte brusquement de sa locataire.

Cette femme qui se dit tueuse.

Cette femme qui parle si surement, qui lui fait perdre la tête.

Qui lui prend sa raison pour la balancer bien trop loin.

Qui lui vole ses souvenirs, sa vie…

-      Vous connaissez mon nom. Tout le monde le connait, me connait. Mais personne ne me reconnait. Je vous donne une chance de vous sauver Yuna. Vous êtes la seule. Je ne donne de chance à personne. La solitude ne donne jamais de chance.

-      Partez ! Partez de chez moi ! Partez maintenant ou… Hurle Yuna.

-      Vous appelez la police ? La coupe la solitude.

-      Oui ! Croyez moi je vais les appeler !

-      J'ai tué plus de gens que quiconque sans qu'ils ne m'aient un jour recherchée. Je vous ai tout dit, vous êtes désormais complice. Je ne vous dis pas adieu, je sais qu'on se reverra, je ne dit adieu qu'aux morts. Bonne chance Yuna, tentez de me repousser, peut être que vous y arriverez. Certains… certains y arrivent.

La solitude se leva, sourit à son ex-victime et sortit.

Yuna tomba à genoux sur le carrelage et déglutit. Elle posa ses deux mains à plat par terre et ne bougea pas pendant quelques minutes.

Tout ce qu'il venait de se passer était complètement incroyable mais pourtant tellement croyable.

Yuna se sentait bien. Cela faisait longtemps… depuis qu'elle était seule.

La porte d'entrée s'ouvrit. Léo entra dans la maison. Il avait le chat dans les bras et son sac de cours sur le dos. Yuna remarqua son bras écorché.

-      J'ai retrouvé le chat maman ! s'exclama-t-il.

Léo ne s'était jamais exclamé auparavant. Il n'avait jamais dit maman.

Yuna éclata en sanglots.

-     Maman pourquoi tu pleus ?

-    Je ne sais pas mon chéri, je suis contente de te voir, c'est tout, mais qu'est que tu t'es fait au bras ? Tu saignes…

-   Non maman, je pleure. Tu pleus et moi je pleure. Tu comprends ?

-      Oui, je comprends… La pluie pour la vie et les larmes pour la mort. Mais tu sais tu vas guérir Léo, tu ne mourras pas !

Yuna se releva et pris les mains de son fils qui lâcha le chat.

-      Ils disent pas ça les médecins… Ils disent que ma maladie est grave et que je vais mourir. Comment tu sais que je vais pas mourir ?

 

 

-      Parce que je sais comment vivre. Répondit-elle.



- Epilogue -

Plus tard dans la soirée, alors qu'ils dînaient sur la terrasse, Léo refusa sa sauce tomate. Il n'en voulait plus. C'était comme ça...



Cécile.

 

 

 

 

 

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