La première fois que j'ai écrit sur un papier
nord--est
Chère torrent de passion,
Je n'ai jamais écrit une lettre auparavant. Du moins, une lettre comme celle-là. Une lettre que j'écrirais du haut de cette terrasse. Que je penserais la tête accottée contre la vitre peu transparente du métro. Que je relirais avant de la sceller d'un coup de doigt. Avant de la laisser se déposer sur un tas de lettres que je ne lirais jamais.
Comment dois-je m'y prendre pensais-je dans l'ascenseur. « Troisième étage ». Devrais-je faire un brouillon avant ? Ou déposer sur la feuille qui se tiendra dans tes mains mes pensées brutes. « Quatrième étage ». La feuille que je touche actuellement, tu la toucheras aussi pensais-je. « Cinquième étage ». C'est une drôle de sensation. « Terrasse ».
Vu sur le Mont-Royal. Royalement beau. Ce doux brouillard de fin de soirée. Sur un fauteuil de bord de piscine. Du haut de Montréal. Personne d'autre que moi et cette lettre en devenir. Le brouillard rend net mes écrits. Accotée sur la planche de cuisine en bois que j'ai sacré teneuse de feuille. Cette feuille sur laquelle un dessin aurait pu être fait. Un budget aurait pu être écris. Cette feuille que j'ai sacré nomade. J'aimerais bien être cette feuille. Transporter des idées, des sentiments, des envies au bout du monde. Faire voyager des mots. Mais n'est-ce pas ce que je fais en quelque sorte ?
Enfin, bref.
Il faut que je te raconte.
Hier soir,
J'ai vu une étoile filante voyager dans un ciel ombré. Je m'étais mise à me murmurer un paragraphe de ma vie. Celui de la nuit d'étoiles. Étoiles filantes le représentant bien. Belles, plus belles que des étoiles stagnantes. Impossible à garder prisonnières. Elles ne repasseront plus. Est-ce ce qui en fait leur beauté ? Si elles repassaient constamment, même filantes, elles ne seraient plus aussi belles, parce qu'on n'aurait plus le temps de les embellir dans notre esprit, dans nos souvenirs. Nous n'aurions plus le temps de s'en souvenir à notre manière.
Je suis une nostalgique stagnante. Stagnant dans ces souvenirs dont je ne peux me sortir. La réalité est trop vraie pour moi. Je me transporte par la musique, par la lecture, par les écrits, par les souvenirs, je ne m'aventure que trop peu en dehors de ces beautés que je me sculpte. Alors comment fais-je pour me créer des souvenirs ? Les aurais-je créés à partir d'anciens souvenirs, rendant ceux-ci encore plus majestueux, si accablant qu'ils me possèderaient maintenant ?
Enfin, bref.
Je m'imagine tenir ta lettre et c'est déjà beau. Ce moment connecté au futur, je le garde en souvenir. Accordé au passé, mais conjugué au futur, c'est ainsi que je le conçois. Mais je ne crois pas qu'il sera plus beau que la réalité. Je m'aventurerais certainement dans cette réalité filante de cette première lettre. Les autres ne seront pas moins belles, juste différentes. La seule chose qu'elles auront en commun, ce sera leur imitation d'étoiles filantes. Chaque moment n'est-il pas filant au rythme du temps ? Même routinier. Chaque moment. Peut-être suis-je plus aventureuse que je ne le crois.
Il faut que je te dise.
Je sais bien que plusieurs cherchent l'âme sœur. Je me souviens l'avoir cherché durant tellement d'années. J'allais presque abandonner. Depuis 3 ans maintenant, je suis dans les bras de ce que j'ai obsessionnellement cherché. Je me murmure toujours ces paragraphes filants de ma vie. Ceux où je me brûlais les lèvres sur ces baisers éphémères. Ceux dont je ne me doutais de rien. Ceux qui m'ont fait frissonner par toutes les émotions possibles. Tu sais, ce genre de moment qu'une fois vécu, cela nous prend un temps fou pour sa courte durée pour en faire le deuil, pour se réconcilier avec ce qui ne se passera plus. Ce genre de moment où tu as mal partout, en particulier au cœur. Ces moments où tu souhaites t'arracher ce cœur qui te fais vivre pour ne pas sortir de ce qui l'avait fait palpiter.
J'ai trouvé ce que plusieurs cherchent. Je me suis perdue en chemin. Je crois. Peut-être. Quand je repense à ces moments damnés, je me sens vivre. Je me fais souffrir et je trouve cela beau. Sadique ? Est-ce un crime envers mon être que de trop vivre ? Je m'envie. Est-ce encore mon syndrôme de la nostalgie qui se manifeste ? Je suis triste terne. J'étais triste ténèbres. Je suis normalement heureuse. J'étais indomptablement heureuse. Ai-je vraiment envie de revivre ces moments où je m'arrachais le cœur ? J'ai tout pour être heureuse. Je le suis. Mais je ne brûle plus. Je suis comme cette lampe brancher à l'électricité rationnel. En continu. Heureuse continuellement. Toujours à la même intensité. Jamais éteinte. Jamais illuminée.
Enfin, bref.
Il faut que je te montre...
Ce monde où, les pieds dans ma tête, un champ de marguerites me chatouillait les orteils. J'arrachais une par une chaque pétale de fleur en regardant les étoiles filer. Je reste, un peu, beaucoup, pas longtemps, jusqu'à la folie ? J'espérais que la dernière fleur me donne sa réponse sur sa dernière pétale... Mais le champ de marguerites repousse à chaque fois que j'en arrache une. Il repousse un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Il repousse comme je repousse ce que je souhaiterais. Comme je me repousse. Tu as raison. Mais il semble que je m'en tiens à ma raison. Pas à ma passion. Ai-je raison ? Toujours une question irrésolue. La réponse est que je ne saurais jamais. Je connais bien le confort d'une routine désormais. J'en ai besoin. Mais en ai-je besoin autant que la fureur du feu et sa liberté de brûler où il veut ? Je repousse toujours. J'espère que le mot « toujours » ne sera pas toujours celui qui me tiendra en laisse. À jamais, pour toujours. Je n'aime pas savoir ce qui m'attendra. Mais j'ai besoin aussi d'une certaine stabilité. Une énigme. Moi-même l'ayant écrite, je ne suis toujours pas capable de la résoudre.
L'énigme qu'est la vie.
Mais je l'explore, je frôle sa raison, sa solution à chacun de nos textes. Que ce soit les tiens ou les miens. Mais si on la résolvait un jour, que nous resterait-t-il ? Regrettera-t-on ces moments filants ? Où ne pas savoir nous arrachait le cœur ?
Enfin, bref.
Je dois filer vers ce que je surnomme la réalité.
On se reverra à notre prochain rendez-vous qui n'a jamais de date ni d'heure ni d'endroit.
À bientôt, je t'embrasse,
Ta pensive,
Nord.Est
les étoiles filantes sont belles car elles ne font que passer. :o))
· Il y a plus de 3 ans ·"La lettre" Renan Luce.
Hervé Lénervé